jeudi 3 février 2022

Place du Tartuffe dans le programme: Molière et les femmes ( cours du jeudi 3 février)

 

Présentation générale

Dans le récit qu’il fait de la réception du Tartuffe (« Enfin Tartuffe vint », in Forestier, 2018), Georges Forestier mentionne les critiques formulées par Gabriel Guéret, membre du cercle de l’abbé d’Aubignac et fin observateur de la vie littéraire de l’époque, à l’encontre de plusieurs aspects de la pièce, en particulier les déclarations peu vraisemblables du prudent Tartuffe à Elmire, la scène à ses yeux inutile du dépit amoureux, et le développement excessif du rôle de la servante. Georges Forestier commente son jugement en ces termes : « Guéret avait mis le doigt sur les tensions dues à la longue série de transformations par lesquelles Molière avait allongé sa comédie, bouleversé sa structure, ajouté un couple de jeunes amoureux, accru la présence de la servante, transformé son personnage principal […] » (p. 402). En lisant ces lignes, on prend conscience que c’est à l’histoire mouvementée de la création du Tartuffe – la version initiale en trois actes, interdite en 1664, devint une comédie en cinq actes créée le 5 février 1669, après avoir connu une étape intermédiaire en 1667 – que l’on doit à la fois l’existence du rôle de Mariane et l’importance de celui de Dorine. Les difficultés rencontrées par Molière pour faire jouer sa pièce ont paradoxalement renforcé la place des femmes dans sa structure initiale.

 

La perspective choisie par le programme limitatif du baccalauréat théâtre (« Les femmes dans trois comédies de Molière ») est une contrainte de lecture  qui a aussi sa part de chance, puisqu’elle nous invite à décentrer notre regard pour analyser la pièce à partir des femmes, plutôt qu’à partir du couple Orgon-Tartuffe généralement placé au cœur des lectures. Ce programme nous conduit en somme à passer de la comédie originelle en trois actes, centrée sur les personnages de Tartuffe, Orgon, Elmire et Damis, à la pièce en cinq actes qui accorde une place accrue à Dorine et qui invente Mariane. Cette dernière version ajoute en outre à l’intrigue farcesque du trio mari-femme-amant, l’intrigue galante du couple d’amoureux contrariés par les projets matrimoniaux du père ; or cet affrontement père-fille, au sujet du mariage, constitue précisément l’assise de L’Amour médecin et de L’École des femmes, les deux autres pièces du programme, ce qui permet de les rapprocher pour les comparer, tout en éclairant leurs singularités respectives.