dimanche 1 mai 2022

Trace de spectacle de Julia: Huit heures ne font pas un jour de Fassbinder, mise en scène Julie Deliquet

 


Jeudi 24 février 19h spectacle : Huit heures ne font pas un jour de Julie Deliquet, d'après une série de Fassbinder


 JOCHEN : Eh bien, si vous n’êtes ni hystérique, ni mariée, ni enceinte, vous pouvez m’accompagner à l’anniversaire de ma grand-mère. 

 

Le titre de la pièce m’interpelle. Pour moi, cela signifie que les huit heures de travail de l’ouvrier ne doivent pas accaparer les vingt-quatre d’un jour, leur journée de travail ne doit pas représenter leur vie. Cela me rappelle le garçon de café de Sartre dans L’Etre et le Néant. Le garçon de café joue à être garçon de café, à se fondre dans ce rôle comme s’il n'était plus que ça : comme le rappelle Sartre, ses gestes sont automatisés, un peu trop appuyés, machiniques. Il mime le garçon de café, oubliant d'être lui-même, un homme avant tout. Pour moi, cela illustre bien la situation des ouvriers de cette pièce. Les personnages passent leur vie au travail, à penser à leur travail, à être avec des gens du travail, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C’est comme si leur travail résumait toute leur existence, on aurait du mal à imaginer la possibilité de leur vie sans ce travail. 

 

Le spectacle de Julie Deliquet contracte en trois heures les cinq épisodes de la série télévisée de Rainer Werner Fassbinder, figure du nouveau cinéma allemand. La série originale est considérée comme une série familiale. Cette pièce suit donc deux des fils rouges de la programmation de la Comédie de Colmar c’est-à-dire celui de la famille, que nous avons retrouvé dans plusieurs spectacles Héritiers de Nasser Djemai, Meeting Point Heim, et celui du cinéma. Ce spectacle place l’action au sein d’une famille ouvrière traditionnelle allemande qui est mêlée à la lutte ouvrière en Allemagne.

Avant d’aller voir ce spectacle ce qui m’a peut-être le plus intriguée c’est de voir l’adaptation d’une série ‘optimiste’ de Fassbinder, que je connaissais déjà pour sa vision terriblement pessimiste du monde et en particulier de ses critiques acerbes de la société de consommation allemande.

De plus, sur le plateau se trouvaient treize comédiens, c’est la première pièce que nous voyons cette année avec tant de comédiens sur scène. J’avais donc hâte de voir comment un si grand nombre d’acteurs pourrait jouer tous ensemble, je me demandais si on arriverait à bien suivre la fable compressée de Fassbinder. Le thème de la famille est central dans cette pièce. Selon Julie Deliquet, c’est un hommage au collectif. ‘Beaucoup d’acteurs de la série appartiennent à la troupe de Fassbinder et ce projet est pour moi un grand hommage au collectif, à ses idéaux, ses forces et ses utopies. Depuis que je fais de la mise en scène, la notion de troupe m’obsède, elle m’inspire, me questionne et me porte. Avec le Collectif In Vitro, nous avons, depuis dix ans, créé une famille.’ En cela nous pouvons trouver le lien de la famille tant dans l’histoire que dans les familles professionnelles. La scénographie de Julie Deliquet et de Zoé Paute montre bien la porosité qui existe entre la famille ‘ de sang’ et celle du travail que forme leur équipe. Toutes les scènes se déroulant dans le même cadre, les collègues étant comme une autre famille, par le temps passé ensemble mais aussi par l’intimité qui existe entre eux (douches collectives.) La scénographie symbolisait à la fois l’espace familial et l’espace de repos des ouvriers. La scénographie n’a presque pas changé, quelques modifications étaient apportées par les comédiens eux-mêmes lorsqu’ils installaient des tables pour le repas de mariage par exemple. Donc, l’espace, toujours le même, se divisait en plusieurs parties : au lointain à cour, à l’étage supérieur se trouvait une chambre à coucher, à cour en bas, se trouvait la cuisine, au centre l’espace convivial (salle à manger/ séjour) puis lointain cour les douches (salle de bain), et enfin le bureau du contremaitre à jardin. Cette division spatiale à nouveau rappelle les différentes pièces d’une maison traditionnelle. C’est dans ce même espace que se réunit la famille, les ouvriers, d’abord séparément, puis à la fin, ils se rassembleront tous ensemble autour du repas de mariage, comme pour sceller l’union entre la famille et les ouvriers.

De plus, tout au long de la pièce la famille et les collègues du travail se rapprochent de plus en plus, la meilleure amie de Marion va tomber amoureuse d’un des ouvriers par exemple. La question de la solidarité et de l’union qui fait la force sont centrales dans la pièce. A travers la scénographie de Deliquet nous pouvons retrouver certains éléments du décor original de Fassbinder, comme l’atelier et les douches qui sont très ressemblants. On comprend donc une certaine volonté de Deliquet d’être fidèle au film et à l’époque esthétiquement notamment. Cette metteure en scène travaille depuis des années avec son collectif sur les années soixante-dix mais également sur l’adaptation du cinéma au théâtre, portant au plateau différents réalisateurs, Fassbinder, Bergman... Souvent, on adapte au cinéma le théâtre, (du moins au début du cinéma c’était comme cela), mais dans cette pièce, c’est l’inverse. On retrouve les personnages de l’écran avec leurs caractéristiques bien particulières au plateau qui les définissent, les comédiens surtout Jochen et Marion (on s’en aperçoit lorsqu’on regarde un extrait de l’original). Le vintage de cette pièce nous rappelle la théâtralité, c’est comme si elle était en quelque sorte affichée, à mon sens, tout y contribue, la scénographie dans l’ensemble , les costumes, l’éclairage, la musique. Une scène en particulier me vient à l’esprit, la scène du premier soir entre les deux amoureux. Leur premier baiser est très esthétique, l’éclairage s’affaiblie peu à peu, les LED sont éteintes, seule une lampe de bureau est allumée, lumière plus chaude, plus intimiste/intime. La musique iconique des Beatles Something 1969/70,commence lorsqu’ils montent l’échelle pour aller à la chambre à coucher. Cette chanson d’amour, qui raconte l’histoire d’un coup de foudre, est une référence musicale universelle, pour le sentiment d’amour qu’elle transmet, pour le succès qu’elle a fait, mais aussi elle est le symbole de toute une époque, c’est en cela qu’elle accentue le côté vintage de cette pièce .Nous avons l’impression avec ce spectacle de plonger dans une capsule temporelle, cependant on n’y plonge pas entièrement. Tout d’abord, par la théâtralité affichée, l’esthétique très présente, on ne peut oublier qu’on est au théâtre, l’illusion du réel ne fonctionne pas aussi bien qu’au cinéma.

Initialement la pièce était en allemand, cela traite de la société allemande, la mentalité reste encore bien française, l’illusion de réalisme de la scénographie, le vintage des costumes et même des utopies de cette époque sur lesquelles nous sommes quelque peu revenues aujourd’hui, nous rappelle toujours, que nous sommes bien au théâtre. Pourtant, cela ne fait pas de la pièce une version moins bien que l’original, c’est une force plutôt, la metteure en scène a vraiment réussi à adapter à sa façon, ce n’est pas un pâle reflet de l’original. Le quatrième mur n’est presque jamais cassé, sauf à certains moments comiques, comme lorsque Giuseppe annonce l’entracte, c’est le personnage qui s’adresse au public et non pas le comédien. En revanche, je dirai, que le message que transmet la pièce, celui de la solidarité, que tous ensemble on peut changer les choses, ce message ‘casse le quatrième mur’ pour mieux atteindre.

Les comédiens étaient vraiment convaincants dans leur rôle, en particulier la grand-mère, Évelyne Didi. C’est inspirant de voir une comédienne de soixante-dix ans toujours aussi dynamique, drôle et pleine de malice. Le duo de dispute qu’elle formait avec le père était très drôle. Le personnage aussi était inspirant :Luise refuse de se plier aux normes en vigueur, elle cherche à redéfinir le monde de manière conforme à ses désirs, à ses espoirs, elle lutte comme son petit-fils et ses collègues pour une société moins individualisée. La grand-mère est la vivacité, l’indignité, l’ingéniosité, la spontanéité et l’impertinence incarnées. Hérissée par l’ordre triomphant de la bêtise et de l’injustice, elle ne s’avoue jamais vaincue et débrouille tous les problèmes. À ses côtés, Gregor, personnage totalement lunaire, qui rit tout le temps et se montre disponible à tous, est son nouveau fiancé.

Cette pièce nous montre comment la lutte individuelle entraine la lutte des autres, passant par l’émancipation de la femme par le personnage de Monika qui va finir par laisser un mari violent, par la grand-mère et ledroit des personnes âgées de se loger dignement, et enfin à l’esquisse d’une première tentative d’auto-gestion. Cette fresque sociale est un hommage à la solidarité.

 

 

Trouver un geste qui rappelle le film : je pense que le poing levé (comme sur la photo à gauche) conviendrait pour rappeler la pièce, car la thématique centrale de cette pièce est quand même la lutte ouvrière, dans le but d’obtenir plus de droits et de reconnaissance. Ce geste est le symbole universel de la lutte.

Exercice du "je me souviens" pour raviver les images de la pièce et entrer dans l'analyse de la scénographie, du jeu, du propos de la pièce : je me souviens de la grand-mère dans la pièce, au jeu espiègle et subtile, la comédienne qui l’interprétait ne tombait pas dans le cliché de la bonne vieille mamie ayant perdu la tête. Je me souviens de la meilleure amie aux principes de petite bourgeoise, son jeu m’ayant fait vraiment rire. Je me souviens également de sa transformation, au début raciste et conservatrice elle évolue positivement en se fiançant à un ouvrier maghrébin. Cela montre qu’il est toujours possible de se libérer des principes poussiéreux d’un certain milieu social, personne n’est inchangeable, c’est le message de la pièce : se changer, changer les autres et changer la société.