Patrice Pavis écrit à l’article « catharsis » ceci : « Aristote décrit dans La Poétique la purgation des passions (essentiellement pitié et terreur) lors même de leur production chez le spectateur qui s’identifie au héros tragique. (...) La catharsis est l’un des buts et l’une des conséquences de la tragédie qui, « suscitant pitié et crainte, opère la purgation propre à de pareilles émotions. » Il s’agit d’un terme médical qui assimile l’identification à un acte d’évacuation et de décharge affective ; il n’en est pas exclu qu’il en résulte un "lavage" et une purification par régénérescence du moi percevant. » (Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre, Dunod, 1996, p. 43)
En quoi ce retour aux sources grecques du théâtre peut-il nous aider à appréhender Richard III ? C’est que Thomas Ostermeier fait sans cesse référence à la catharsis en parlant de cette mise en scène. Il associe Richard à la tradition des vice figures, ces personnages allégoriques des Mystères médiévaux représentant le mal, arrivant sur la scène depuis le public et parlant le langage du peuple. Les vice figures sont donc des relais des spectateurs sur scène, ils émanent d’eux. Leur succès prit d’ailleurs le pas sur les figures allégoriques du bien, et Shakespeare sut s’en souvenir dans cette pièce de jeunesse qu’est Richard III. Thomas Ostermeier fait donc de Richard le représentant de nos plus bas instincts et de nos ressentiments les plus enfouis – par d’« heureuses couches de civilisation », ajoute-t-il encore.
« Nous sommes heureusement civilisés, mais il reste un monstre à l’intérieur de nous-mêmes. Richard est un envoyé du public et agit à la place du public qui aimerait pouvoir agir de cette façon, mais qui heureusement ne le fait pas. Tout le monde a un sentiment d’exclusion en soi et de vivre dans un monde qui est ‟hors de ses gonds”, comme dit Hamlet. Et tout le monde voudrait prendre sa revanche, mais heureusement presque personne ne le fait. Comment vivre ensemble en étant une bête civilisée ? Le théâtre est l’endroit de la catharsis, l’endroit où on peut vivre les choses sans les faire. »
Le choix de Lars Eidinger, acteur doté de charisme, et son jeu, plein d’émotions, ne sont pas étrangers à ce sentiment cathartique : pour que celle-ci fonctionne, nous devons nous identifier à lui. Thomas Ostermeier ajoute également : « On ne voit pas la monstruosité sur le visage. Et chacun a un monstre en soi, comme on le voit pendant les périodes de guerre. Mais la couche de civilisation peut se fissurer facilement. »Propos de Thomas Ostermeier recueillis à Avignon en 2016 dans le cadre d’une rencontre sur le thème : « Richard III, un monstre en société ».
Richard III revêt alors une forte dimension émotionnelle pour le spectateur, qui s’identifie d’abord, se trouve peut-être soulagé de trouver un relai à son ressentiment, mais finit par se détacher progressivement de son « héros », en étant bien avisé du risque encouru – bien que la scène finale suscite à nouveau beaucoup de pitié en nous. Mais Thomas Ostermeier n’oublie pas d’être dialectique, en bon brechtien, et nous sommes, nous spectateurs, tout à la fois Richard III, ce monstre (cette « bête immonde » aurait dit Brecht), et cette société qui fait de Richard III le monstre qu’il est…