mercredi 13 décembre 2023

Traitement de la couleur dans Richard III de Thomas Jolly ( prolongement de la réflexion sur la lumière)

 

Traitement de la couleur dans Richard III

Dans cette mise en scène de Richard III, le noir omniprésent domine tous les éléments : le sol du plateau et la cage de scène dans son ensemble sont noirs. S’il y a des lumières et parfois très présentes, elles n’éclairent que ponctuellement le plateau, laissant l’essentiel de l’espace scénique dans une sombre pénombre.

La plupart des costumes sont noirs, avec éventuellement une touche de gris pour Élisabeth, son frère Rivers et son fils Dorset (on pourra rappeler aux élèves qu’avant d’épouser le roi Édouard, elle s’appelait lady Grey...) et parfois agrémentés de fourrure comme pour Ratcliffe et Catesby, ce que l’on peut associer à leur nom respectif. Les marches menant au trône, la table de la salle du Conseil, le mobilier est noir, ou éventuellement gris métallique.


On pourra préciser que la mise en scène d’Henry VI, dont les premiers mots sont « Cieux, tendez-vous de
noir ! Jour, fais place à la nuit ! », présentait une évolution progressive d’un univers coloré vers une atmosphère de plus en plus sombre. Avec Richard III, la nuit et le deuil sont tombés durablement sur l’Angleterre.


Le blanc est l’autre couleur la plus fréquente : lumière blanche des projecteurs, maquillage blanc des comédiens qui les rend blafards, déjà marqués par la mort. Le blanc apparaît également dans quelques rares éléments de costumes.

Seuls certains personnages arborent un costume où le blanc domine : les enfants d’Édouard portant chemise, chaussettes et perruque blanches, lady Anne, quand elle apparaît enceinte et qu’elle devient reine, et Richard devenu roi. Le blanc peut évoquer une forme de pureté et d’innocence pour les enfants d’Édouard et pour lady Anne, seul personnage parmi les adultes qui n’a pas les mains couvertes de sang et qui n’a pas été impliqué de près ou de loin dans l’assassinat de quiconque. Concernant Richard, on pourra relever que plus il avance dans l’horreur de son règne, plus le blanc domine dans ses tenues : le spencer rouge qui recouvre encore ses épaules au début de son règne disparaît au profit d’un spencer blanc après qu’il a fait assassiner les deux fils d’Édouard,  comme une pureté revendiquée alors que le caractère monstrueux de ses actes est de plus en plus manifeste.


Dans cet univers en noir et blanc, la moindre couleur est d’autant plus repérable. La première touche arrive avec le mouchoir imbibé de sang d’Édouard : alors qu’une violente toux ponctue son discours de liesse à la Cour, il se saisit d’un mouchoir blanc sur lequel il crache du sang. Le rouge sang réapparaît à de multiples reprises. On pourra penser au rouge des trois rubans de la tenue de Marguerite, à associer aux rubans rouges qui sortent du corps poignardé d’Édouard, le fils d’Henry VI et de Marguerite son assassinat, au rouge des lettres HENRY VI sur le linceul couvrant le corps poignardé de ce dernier, au rouge du sang qui en surgit quand apparaît Richard, au rouge des fraises demandées à lord Stanley lors de la séance du Conseil au cours de laquelle Richard s’apprête à faire condamner à mort Hastings pour trahison, à la couleur rouge des bijoux et du spencer qu’arbore Richard lors de la scène de son couronnement, puis à la couleur de l’iris de ses yeux, au rouge qui sort des fusils à chaque exécution (Rivers, Hastings) et qui couvre peu à peu le sol du plateau, à la lumière rouge sang des projecteurs lors de la bataille de Bosworth et pour finir au rouge qui jaillit des armes brandies par les victimes de Richard lors des multiples coups portés au roi dans le tableau final.
Le vert fait une courte apparition : c’est la couleur du tissu portant l’ordre d’exécution de Clarence que Richard donne aux deux meurtriers 3

Quelques autres touches de couleur font ponctuellement leur apparition : l’orange des perruques portées
par les enfants de Clarence, le bleu des fleurs données à la reine après la mort de son époux, qui finissent
par la masquer complètement, marquant ainsi symboliquement son éviction du pouvoir qui résulte de la
mort du roi Édouard, ou encore le rose du nœud de tissu qui décore la tenue du maire, relique dérisoire
d’une écharpe disparue qui renvoie au pouvoir tout autant dérisoire de ce maire bedonnant.

Une des interprétations possibles est la référence à la guerre des Deux-Roses qui opposa les Lancastre
(rose rouge) aux York (rose blanche) : le rose, synthèse des deux couleurs, peut évoquer la neutralité ainsi
affichée du maire dans cette rivalité.


Le dernier acte, consacré à la bataille de Bosworth rompt quelque peu avec le caractère très largement dominant du noir, du gris métallique et du blanc dans les actes
précédents. Avec l’arrivée de Richmond réapparaissent des couleurs et des lumières nouvelles : si les hommes du camp de Richard arborent des tenues noires et argentées, ceux du camp de Richmond portent sous leur manteau noir des plastrons dorés. De même si les lumières qui éclairent la tente de Richard sont blanches (et bleues avec les bougies), une atmosphère plus chaude règne dans la tente de Richmond avec des lumières orangées,
et la comparaison des lumières lors des deux scènes des spectres qui visitent Richmond et Richard dans la nuit qui précède la bataille de Bosworth – lumière blanche aveuglante de stroboscopes pour Richard, douce lumière chaude jaune orangé pour Richmond – est à cet égard exemplaire. Le rouge y prend une nouvelle signification :Richmond porte un pantalon rouge puis un plastron de même couleur, les tentures qui recouvrent sa couche sont également rouges. Le rouge ne renvoie pas qu’au sang et à la mort, mais aussi – au-delà de la couleur de la rose des Lancastre, branche dont Richmond est issu – à la chaleur, à l’énergie et à la vie. Il reçoit d’ailleurs une faisceau de rouge dans ses mains , signe de son élection pour venir apporter la vie au Royaume