1.Questions sur les points problématiques du Soulier à traiter au plateau après lecture:
- scénographie car l'histoire se passe dans beaucoup de lieux différents, spectacle-monde: l'Espagne conquérante du siècle d'or, le nouveau monde, l'Afrique du Nord avec Mogador, des villes en Europe: Pragues, Rome, la mer etc Quel dispositif imaginer pour rendre compte des changements d'espace et de leur variété? Première recherche à faire pour jeudi prochain: une proposition de scénographie: Distribution des indications d'espace pour la première et la deuxième journée.
-Expression du désir amoureux des personnages à jouer: passion, amour absolu, séparation, éloignement pour faire perdurer le désir. Plusieurs couples dans la pièce: Rodrigue/ Prouhéze, Musique et le vice-roi de Naples, Prouhèze/Camille, Jobarbara/le Sergent, le chinois: version burlesque du couple en contrepoint.
- la poésie de Claudel, vers, versets, la nécessité du souffle pour dire le texte, travail sur la syntaxe, la construction des phrases. Comment trouver le concret de ce qui se dit si poétiquement? la langue de Claudel imagée, parfois philosophique, parfois concrète, terrienne. En tous les cas texte à dire, à mâcher, à mettre en bouche.
- Comment jouer les personnages surnaturels, non humain: l'ange gardien, la Lune, L'ombre Double...
-Comment jouer les personnages méta théâtraux: L'Annoncier, l’Irrépressible? Lecture de la préface de Claudel qui indique comment il voit la mise en scène, la théâtralité de son texte. très instructif et moderne. désordre d'objets manipulés à vue dans un dispositif qui se fait et se défait avec les machinistes et les acteurs, théâtralité élisabéthaine: panneau pour dire où on est , objets symboliques, plateau nu rempli peu à peu, pas de temps mort, acteurs qui se préparent à vue avant d'enchaîner sur d'autres qui sortent, importance de la mise en condition du public, rôle de la musique en live, personnage clownesque de l'Annoncier interrompu, commenter par des instruments de musique qui viennent du monde entier, quelque chose aussi de la distanciation brechtienne avant l'heure.Phrase à retenir sur l'ordre et le désordre.
2. Commentaire du titre Le Soulier de satin: lecture du passage du don du Soulier et de la prière à la Vierge de Prouhèze. Aller vers le mal d'un pied boiteux.
Dona Prouhèze, en effet, en se délestant symboliquement, mais réellement, d’un « soulier », dans les premières scènes de la Première Journée, ne peut désormais que « boiter » jusqu’à la fin, littéralement (et Jeanne Balibar donnait remarquablement cette impression...). Lors d’un échange avec Don Balthazar, chargé par Don Pélage, son mari, de veiller sur elle, Dona Prouhèze (amoureuse de Don Rodrigue), nous dit la didascalie, « Monte debout sur la selle et se déchaussant elle met son soulier de satin entre les mains de la Vierge », une statue qui est là, au-dessus d’elle (p.685 ; éd. Jacques Petit, La Pléiade, 1965). Cet objet symbolique, qui figure métaphoriquement l’objet de son désir, Don Rodrigue en l’occurrence, Prouhèze s’en défait en disant : « Je me remets à vous ! Vierge mère, je vous donne mon soulier ! Vierge mère, gardez dans votre main mon malheureux petit pied ! (...) Mais quand j’essaierai de m’élancer vers le mal, que ce soit avec un pied boiteux ! » (ibid, p.685-686 – C’est moi qui souligne, FLD). Et Dona Prouhèze pourrait presque dire, avec Jaroslav Seifert, cité par Sylvie Germain (Chanson des mal-aimants, Gallimard, 2002, exergue) : « C’était ma propre destinée. Après elle j’ai claudiqué à perdre haleine toute ma vie »
Symbolique du soulier: parallèle avec la pantoufle de Cendrillon qui permet aux amants séparés de se retrouver. Allusion au jeu du sliper pendant les traversées en bateau et qui aurait permis la rencontre avec Rosalie Vetch, objet érotisé, fétichisé. voir histoire de la chaussure dans l'art.)
Sous-titre: Le pire n'est pas toujours sûr.
Commentaire des exergues et de la dédicace au peintre José Mariat Sert ( recherche sur la peinture dans le Soulier. Le costume de L'annoncier est assimilé à un Vélasquez.)
- L"époque de la pièce est l'époque baroque: recherche sur le baroque en art. Le Soulier une esthétique baroque.
L'auteur Paul Claudel, parfois déconsidéré comme auteur conservateur et catholique, mais le metteur en scène Antoine Vitez, pourtant communiste, le considère comme le plus grand dramaturge du XXème siècle. extraordinaire poète , extraordinaire homme de théâtre, qui pense un théâtre nouveau.
L’œuvre est écrite entre 1919 et 1924 essentiellement rédigée au Japon où Claudel est ambassadeur entre 21 et 27. La 3ème journée est d’abord détruite dans un tremblement de terre à Tokyo. C’est ele Grand œuvre théâtral de Claudel « celle ( l’oeuvre) qui résume toute ma vie » disait-il, mais aussi une somme poétique de plus de 4680 vers au sens où l’entend Claudel ( le vers non pas régulier et rimé mais qui est le rythme respiratoire de la vie.)
Quatre Journées sur le modèle du drame espagnol mais aussi une proximité avec la tétralogie de Wagner : L’Anneau des Nibelungen. Le Soulier est d’une certaine façon une anti tétralogie, réponse de la religion chrétienne ( le salut par le sacrifice) à la mythologie païenne ( gréco germanique du moins dans les Nibellungen) de Wagner. C’est effectivement le moment où l’Europe se repose la question du mythe ( nazisme montant) fondateur d’une identification à une nation ethnique. C’est ce que pourfend Brecht par la distanciation et la réflexion politique. C’est ce que combat Claudel par l’universalité de la religion catholique priseen charge par la langue française ( malgré l’habit espagnol). Il s’agit là d’une hypothèse de lecture. Mais chez Claudel ne s’agit-il pas encore d’un mythe ? Chrétien ? Le pb pour Claudel = le pb du sens de l’existence et de l’histoire du monde. Le théâtre = au service d’une pensée de la totalité déchirée destinée à se réconcilier. La Totalité du monde est théâtre c’est-à-dire drame pour Claudel :
« Nous sommes capables de faire un bien infini et un mal infini. Nous avons à trouver notre route, conduite ou égarée, comme des héros d’Homère, par des amis ou des ennemis invisibles, parmi les vicissitudes les plus passionnantes et les plus imprévues, vers des sommets de lumière ou des abîmes de misère. Nous sommes comme des acteurs d’un drame très intéressant écrit par un auteur infiniment sage et bon où nous tenons un rôle essentiel, mais où il nous est impossible de connaître d’avance la moindre péripétie. » Claudel in Religion et Poésie, conférence de Baltimore 1928
D’où proximité avec Shakespeare ( Le Monde est un théâtre- toutefois différence entre Shakespeare et Claudel : « Au monde de Shakespeare il manque le ciel, la direction verticale » dit Claudel, d’où aussi le choix de l’époque du soulier, le siècle d’or espagnol- quasi contemporain de Shakespeare- moment où la Terre ( le monde) est découverte et asservie par l’homme occidental ( Magellan, Galilée)
Cf Première journée : « La scène de ce drame est le monde et spécialement l’Espagne… » Là encore la préoccupation est très proche de celle de Brecht qui en appelle à un théâtre de l’ère scientifique mais débarrassé du religieux alors que Claudel réintroduit le religieux par le théâtre. Il faudrait montrer comment le théâtre est ici au cœur de la question moderne du religieux, de son dépassement ( Brecht) ou de son retour (Claudel).
Inspiration autobiographique de la pièce: journal intime secret de Claudel selon Vitez, une peuvre somme, un testament littéraire.Relation avec Rosalie Vetch
Edition du texte : 1928-1929
Mises en scène:
Création théâtrale : 27 novembre 1943 (extraits des trois premières journées J.L Barrault Comédie Française. Barrault reprend le Soulier en 81. Il crée en 72 la quatrième journée Sous le vent des îles Baléares.
9 juillet 87 : première version totale de l’œuvre à l’exception de la scène 1 de la 2ème journée par Antoine Vitez.
Version Py en 2010 à voir sur Cyrano. la mise en scène de Vitez n'existe qu'en DVD et extraits , elle n'est pas libre de droits.
Distribution de la mise en scène de Vitez donnée en cours. Captures d'écran pour montrer tous les acteurs. La plupart sont devenus des acteurs très renommés.
3. Lecture de répliques avec personnage à deviner. ( voir autre article)
Comment comprendre Le Soulier ?
En 1980, Barrault présente l’œuvre de la manière suivante :
« Le sujet du Soulier est l’amour.
Sur cette terre il y a toujours deux êtres qui sont faits l’un pour l’autre mais les destins ont leurs caprices. Ces deux êtres peuvent ne jamais se rencontrer. C’est triste. Parfois ces deux êtres se rencontrent, se reconnaissent mais cet amour leur est interdit. C’est le cas des héros du Soulier de satin. Ces héros ne sont pas des avocats de leur cause, ce sont des croyants. En proie à leur passion malheureuse, ils se débattent comme en pleine tempête. Que peut faire un marin en perdition en mer, sinon s’en remettre à Dieu. C’est ce que fait l’héroïne…au moment de s’élancer vers Rodrigue, vers un amour interdit et irrésistible, elle s’en remet à la vierge en lui déposant son soulier de satin. Le pêcheur perdu dans l’amour par une ruse sublime met Dieu dans le coup. Mais ce dernier a de la ressource, il va aider nos amants malheureux à comprendre que par delà le « oui » sacrilège qui les consumerait, on peut accéder au « non » sacramental qui les unit à jamais « Rodrigue, dépouille-toi, jette tout, donne afin de recevoir. »
L’amour sacrifié de deux êtres déchirés est ce qui unit à jamais. L’amour est ici plus que ce qui relie un homme et une femme », ce qui relie le ciel et la terre, la moitié du monde à l’autre, le visible à l’invisible, tout ce qui est déchiré et qui appelle l’harmonie.
« c’est parce que je suis un homme catholique, c’est pour que toutes les parties de l’humanité soient réunies » Rodrigue 4 ème journée II (Catholikos = universel)
Le sacrifice parce qu’il est pour Claudel le cœur de la religion catholique est aussi au centre du drame. La conférence de Baltimore sur La poésie et la religion qui comparait notre vie à un drame se conclut ainsi : « Le dernier acte , comme dit pascal, est toujours sanglant mais aussi il est toujours magnifique car la religion n’a pas seulement mis le drame dans la vie, elle a mis à son terme, dans la mort, la forme la plus haute du drame qui pour tout vrai disciple de notre Divin Maître , est le sacrifice. »
Cf également Soulier 1ère Journée 7, 510 et préface de Partage de midi : « Ce qui est refusé à la passion, le sacrifice, qui sait si d’une manière ou de l’autre, il ne pourra l’obtenir. »
Pour entrer dans la signification du soulier et s’approcher
de ce « cœur sacrificiel » nous reprendrons à Vitez ce qu’il nomme les
trois grands fils conducteurs ( Entretien Théâtre en Europe 1987) « le fil
biographique, le fil théologico-politique, le fil théâtral. » à suivre...