jeudi 23 novembre 2023

L'utilisation de la video par Ostermeier dans Richard III ( complément sur la scénographie de Pappelbaum)

 Nous avons vu en cours mercredi 23 novembre qu'Ostermier utilise lui aussi la video dans sa scénographie. En revoyant la captation, vous pouvez noter leur apparition.Voici un complément d'analyse à lire.

Thomas Ostermeier collabore depuis le spectacle Hedda Gabler (2005) avec le vidéaste français Sébastien Dupouey. Généralement, ce dernier est associé aux répétitions dès le début. Pour Richard III, il raconte avoir trouvé difficile son intégration à la mise en scène, en raison de sa noirceur : les costumes en noir et blanc, l’espace très imposant par sa hauteur, son aspect frontal et sa proximité avec les spectateurs. La vidéo est alors apparue comme un moyen d’intégrer de la lumière.

Ostermeier et Dupouey ont choisi comme point de départ la condition physique de Richard, à savoir sa maladie, qui est l’essence même de son personnage. Le vidéaste s’est donc emparé d’imageries médicales à l’échelle microscopique. C’est ainsi que ce qui semble une avancée irrépressible dans un tunnel est en réalité une caméra chirurgicale glissant dans des artères. Ou encore, ce travelling sur ce qui semble être une carte des côtes de l’Angleterre – et qui nous fait alors penser au célébrissime générique de la série Game of Thrones – n’est autre que « des images de cellules cancéreuses qui ressemblent parfaitement à une image satellite de Google Earth » (traduction personnelle, The Theater of Thomas Ostermeier, Peter M. Boenisch, The Routledge, 2016, p. 71). Voilà qui place le spectateur dans du purement organique, faisant écho à l’intérieur du corps souffrant de Richard. Ostermeier veut en effet montrer « comment un personnage vit une situation depuis la perspective intérieure » (Sylvie Chalaye, Thomas Ostermeier, Actes sud, 2006, p. 51) ; il semblerait que cette préoccupation récurrente ait pris ici la forme d’une vidéo au premier abord énigmatique.

La projection d’images vidéo intervient principalement aux changements de scènes, servant d’ellipses. En effet, les pendaisons du frère et du fils de la reine Élisabeth (Rivers et Dorset), ainsi que celle de Hastings avaient été mises en scène par Ostermeier, qui les a finalement coupées quelques jours avant la première. Elles ont été remplacées par des images vidéo de Sébastien Dupouey, figurant un envol d’oiseaux noirs, du brouillard, un ciel tourmenté de nuages, la chute virevoltante des derniers cotillons dorés… Ce qui est passé sous silence prend la forme de ces images non narratives et de ce monde par moment abstrait, produisant un effet d’étrangeté comme pour extraire un instant le spectateur de la fiction, le laisser s’éloigner et s’interroger, avant de reprendre le fil de la narration, incarnée par les acteurs. 

Dans la captation, la vidéo est d’ailleurs mise à l’honneur, car elle occupe alors tout l’écran, faisant disparaître totalement l’espace théâtral. Nous sommes plongés dans un véritable petit film.

Une fois le micro associé à la mise en scène, c’est Sébastien Dupouey qui a amené l’idée d’une caméra intégrée, avec le choix d’un grand-angle. Celle-ci devient alors, comme dans la précédente mise en scène d’Hamlet (2008) par la même équipe, une sorte de journal du personnage principal : il s’y confie. Mais la caméra s’avère plus polysémique qu’il n’y paraît de prime abord : elle devient aussi une métaphore du miroir, quelque peu déformant et ô combien baroque, ainsi que la preuve évidente de la terrible solitude de Richard.

Attention, expliquer l’origine des vidéos vient déranger ce qui était voulu par Ostermeier pour les spectateurs, à savoir ne pas reconnaître immédiatement les paysages ni les objets.

Thomas Jolly utilise lui aussi la video , mais plutôt pour renvoyer au passé en utilisant des scènes filmées dans Henry VI ou pour évoquer la société de surveillance mise en place par son frère Edouard Cf la Tour vue à travers des couloirs filmés par des caméras de surveillance.