vendredi 10 novembre 2023

A propos d'Extra Life de Gisèle Vienne ( vendredi 10 novembre à la Filature)

 Site de la compagnie de Gisème Vienne

Au bout d’une nuit de fête, une sœur et un frère se retrouvent. Vingt ans auparavant, encore enfants, ils étaient unis par un lien fusionnel qu’un drame a déchiré. Actant l’effondrement du système qui a provoqué cette expérience traumatisante, traversés par une sensibilité et une capacité d’analyse nouvelles, les deux adultes dessinent un champ d’action et un avenir possibles. Avec EXTRA LIFE, Gisèle Vienne poursuit son travail sur les systèmes de perception. En développant et dépliant l’expérience de ce moment bouleversant, la chorégraphe invente une forme où les différentes strates de l’expérience sensible se côtoient : passé, présent, futur anticipé, construction du souvenir, imagination. 

Pièce chorégraphique d’une densité extrême, EXTRA LIFE s’écrit en articulant le jeu des interprètes, la musique de Caterina Barbieri, le travail sonore d’Adrien Michel et la lumière d’Yves Godin. Pour penser les hiérarchies perceptives, Gisèle Vienne s’appuie sur un travail de collage, conçu avec les interprètes Katia Petrowick, Adèle Haenel et Theo Livesey. Un langage scénique singulier, où les expériences sensibles nourrissent une pensée et une parole possibles. 

Vincent Théval 

Teaser 

Dans Crowd (2017), Gisèle Vienne ralentissait à l’extrême le mouvement des danseur·euse·s d’une rave pour mieux exacerber les sentiments et révéler les désirs. Avec L’Étang de Robert Walser (2021), elle dissociait les voix et les corps d’un récit obscur, celui d’un enfant en quête de l’amour de sa mère. Avec EXTRA LIFE, elle combine une nouvelle fois le jeu sur la perception à l’exploration d’une relation intime. Un frère et une sœur se retrouvent au terme d’une nuit de fête, après 20 ans de séparation suite à un drame familial. 

Interprétés par Adèle Haenel, Theo Livesey et Katia Petrowick, accompagnés d’une marionnette, les personnages révèlent au fil du spectacle toutes les strates du moment vécu : le passé y côtoie le futur, le souvenir l’imagination. Lumières, musique, corps : les médiums du théâtre sont ici conjugués pour diffracter notre regard et interrompre les hiérarchisations qui le déterminent. La metteuse en scène et chorégraphe ajoute un nouveau chapitre à son travail inlassable de déconstruction de nos systèmes de pensée. Elle invite à repenser les relations humaines, et affirme le pouvoir émancipateur et créatif de l’émotion.

Formée à la musique avant d’être initiée à l’art de la marionnette, nourrie de philosophie et d’arts plastiques, la chorégraphe, marionnettiste et metteuse en scène franco-autrichienne Gisèle Vienne met en scène un univers où coexistent plusieurs réalités et temporalités. Elle déploie des visions fascinantes, peuplées de marionnettes et de mannequins, de masques et de poupées, où elle questionne et déplie les cadres du récit et de la perception. Elle collabore étroitement avec l’écrivain Dennis Cooper, le duo KTL, le plasticien Étienne Bideau-Rey ou plus récemment la comédienne Adèle Haenel. Au Maillon, elle est accueillie avec This is how you will disappear (2013), The Pyre (2014), Showroomdummies #3 (2015), I Apologize (2016), The Ventriloquists Convention (2016), Crowd (2017) et L’Étang (2021). EXTRA LIFE a été accueilli au Maillon en résidence de recherche en février 2022.

Gisèle Vienne : « Je considère que le texte nous ampute de la lecture du réel »

« Dans la construction de mes pièces, cela fait vingt ans que j’élabore un langage scénique, que j’arrive à enrichir et à peaufiner, d’années en années, langage qui me permettrait de déplier dans l’espace, ce qui constitue les expériences perceptives. Il y a, par exemple, la mémoire, le souvenir, les différentes strates qui constituent ma perception. Je cherche à montrer, comment développer la conscience de ce qui constitue notre perception, et comment inventer un langage qui va déplier, et rendre visible et sensible, ce qui forme toutes les strates perceptives qui constituent l’expérience du présent. C’est la raison, dans ma mise en scène, de ces jeux de dissociation. »

Quels ont été les principaux moteurs de cette création ?


J’ai commencé à réfléchir concrètement à ce projet en 2018, à partir du travail de la philosophe Elsa Dorlin, notamment son essai Se défendre. Une philosophie de la violence. La pièce aborde avec un humour subversif et de manière dramatique, l’encodage perceptif qui construit le déni, et celui qui permet son dévoilement et sa compréhension. Le moteur, c’est le désir de travailler avec ces artistes exceptionnels que sont Katia Petrowick, Theo Livesey et Adèle Haenel avec qui la collaboration est déjà longue. Ce qui est très beau et passionnant dans la rencontre entre chorégraphe, metteur en scène et interprètes, c’est le développement d’une capacité à pouvoir s’entendre et se parler dans un langage protéiforme. Ce que j’amène aux comédiens et aux danseurs, c’est une manière de jouer, un langage formel que je développe depuis 23 ans, et qu’ils contribuent à cultiver en s’en emparant. Puis la création devient un dialogue, qui se construit dans cette langue. La poursuite du travail à la lumière avec Yves Godin et du travail sonore avec Adrien Michel, le travail avec les lasers, sont également des moteurs dans ce processus. Enfin la découverte des musiques de Caterina Barbieri au même moment, avec qui nous travaillons désormais, influence aussi énormément l’écriture de cette pièce.


 

Le titre EXTRA LIFE appelle plusieurs interprétations : l’idée de cette reconstruction possible, d’une « vie supplémentaire », mais aussi d’une vie dépliée.


La pièce déplie un moment important pour le frère et sa sœur, une fin de nuit, quelques heures, où une ouverture sensible nouvelle, commune aux 2 personnages, va leur permettre de se rencontrer. Formellement, l’enjeu est d’imaginer – comme chez Proust ou Walser – comment on peut déplier un moment. Dans EXTRA LIFE, la dissonance formelle et les effets de collage permettent de rendre compte de différentes strates
perceptives, aux qualités rythmiques et esthétiques différentes. Je pousse davantage ici mon travail sur le collage des formes, qui correspond à une interrogation sur le processus de pensée.

Vous êtes intervenue à l’École du TNB. Quels ont été vos axes de travail ?


J’envisage la formation comme un processus créatif et le processus créateur comme une formation continue. Avec les élèves du TNB, nous avons travaillé la sémiotique du geste : penser et parler avec le  mouvement, en nous appuyant sur Crowd. La sémiotique du geste est trop souvent ignorée dans le théâtre, reflétant le cadre perceptif imposé, au service d’une société inégalitaire. J’y vois l’amorce d’un travail essentiel que ces artistes pourront, je l’espère, approfondir par la suite. L’autre chantier que nous avons dirigé en collaboration avec Adèle Haenel s’est tenu durant la pandémie, à distance, et a porté sur le doublage, l’invention de voix différentes, le travail sur le jeu dissocié, avec des techniques liées aux arts de la marionnette. Nous avons également eu de nombreux moments d’échanges. C’est un travail qui m’intéresse énormément car on construit le théâtre et la société aussi dans les écoles.