Celui de Patrice Chéreauavec Gérars Desarthe dans le rôle titre.
Patrice Chéreau présente la pièce en 1988
Le traducteur Yves Bonnefoy revient sur son travail avec Chéreau:
Votre analyse d’« Hamlet » a nourri la mise en scène, qui a fait date, de Patrice Chéreau, en 1988, avec Gérard Desarthe dans le rôle-titre. Quelles sont les mises en scène shakespeariennes qui vous ont marqué ?
Je ne sais pas si ma lecture d’Hamlet a influencé la mise en scène de Patrice Chéreau, qui aimait réfléchir aux œuvres et prenait le temps de le faire, mais je me souviens, avec émotion maintenant, puisque nous l’avons perdu, des heures qu’avant ses grandes décisions de mise en scène d’Hamlet au Palais des Papes, à Avignon, nous avons passées à lire la pièce, texte et traduction, mot par mot, lui s’arrêtant à tout ce qui dans mon texte français mettait en question le sens qu’il élaborait. Si bien d’ailleurs que j’ai tiré de ce travail en commun deux bonnes dizaines d’amendements de ma traduction, parce que sa pensée était judicieuse.
Après quoi je n’en fus pas moins surpris par les inventions de son spectacle, par exemple ce coup de génie, le cheval noir qui déboulait sur la scène avec le roi mort en selle.
Celui d'Ostermeier avec Lars Eidinger 2008 mais encore en tournée en 2017
C'est à la fin de l'année 1601 ou au tout début de 1602 que William
Shakespeare (1564-1616) écrit son Histoire tragique d'Hamlet prince du
Danemark inspirée des Histoires tragiques extraites des œuvres
italiennes de Bandello de François de Belleforest (1556). C'est sans
doute pour un comédien qu'il admirait particulièrement, Richard Burbage,
qu'il écrit cette tragédie, certainement la plus mystérieuse et la plus
freudienne, en même temps qu'il termine la plus joyeuse de ses
comédies, La Nuit des rois.
Accompagné de Marius von Mayenburg,
auteur associé à la Schaubühne de Berlin qui a assuré la traduction et
l'adaptation du texte shakespearien, Thomas Ostermeier s'engage dans la
traversée de l'une des œuvres maîtresses du génial dramaturge anglais.
Inépuisable Hamlet, première d'une série de tragédies écrites au
crépuscule du règne d'Élisabeth Ire. Ici au bord de la folie
paranoïaque, aux prises avec ses visions, ses angoisses et son
incapacité à décider, à choisir, à assumer son statut d'homme et son
statut de prince héritier, Hamlet joue, se cache, veut manipuler son
entourage, dissimulant sous une folie librement choisie un plan
meurtrier censé le sauver, le libérer du “marécage putride” qui
l'entoure. Pris au piège de la cour, pris au piège du monde politique,
devenant alors véritablement fou, il retourne contre lui-même les armes
qui devaient servir à sa libération. Cherchant l'honnêteté et la vérité
dans un univers où règnent la dissimulation et le mensonge, Hamlet se
perd dans son impuissance à agir, dans un dilemme grandissant qui le
submerge et le condamne à mourir. Pour recentrer l'œuvre de Shakespeare
autour de son héros interprété par Lars Eidinger, Thomas Ostermeier a
choisi une équipe réduite de comédiens ; six acteurs pour jouer une
vingtaine de rôles, privilégiant les scènes où Shakespeare dépeint, à
travers la cour danoise, un système politique fait de meurtres, de
corruption, de passions au service d'une volonté de pouvoir. Impossible,
semble dire Shakespeare, de donner place à la complexité de la pensée
quand il faut agir, et agir vite, politiquement. C'est ce handicap à
choisir dans le champ des possibles qui rend Hamlet inapte au pouvoir et
le conduit inexorablement vers sa mort, elle-même annonciatrice de
l'effondrement du royaume danois tel qu'il fonctionnait. Sommes-nous
alors si loin des questionnements d'aujourd'hui ? se demande, et nous
demande, Thomas Ostermeier. Après Büchner et Sarah Kane, c'est à
Shakespeare qu'il s'adresse pour nous donner matière à réflexion dans un
ici et maintenant plein de zones d'ombre, d'incertitudes et de manque
de repères. JFP
Entretien avec Ostermeier et programme de salle
Celui de Peter Brook avec Adrian Lester que vous pouvez regarder à partir d'Educ ARTe sur Mediacentre. Le DVD existe aussi au CDI.
Arrêtez
quelqu'un, n'importe qui, dans la rue et dites lui : "que
connaissez-vous de Shakespeare ?" Il y a de fortes chances pour que la
réponse soit : "To be or not to be, être ou ne pas être..." Pourquoi
cela ? Qu'est-ce qui est caché derrière cette petite phrase ? Qui l'a
prononcée ? Dans quelles circonstances ? Pour quelles raisons ? Pourquoi
cette petite phrase est-elle devenue immortelle ? On monte Hamlet
partout, tout le temps...En clochard, en paysan, en femme, en pauvre
type, en homme d'affaires, en star de cinéma, en clown et même en
marionnette...
Hamlet est inépuisable, sans limites.. chaque décade nous en offre une
nouvelle analyse, une nouvelle conception...Et cependant, Hamlet demeure
un mystère, fascinant, inépuisable...
Hamlet est comme une boule de cristal, tournoyant dans l'air,
immuablement, ses facettes sont infinies...La boule tourne et nous
présente à chaque instant une nouvelle facette...Elle nous éclaire, nous
pouvons toujours redécouvrir cette pièce, la faire revivre, partir à
nouveau à la recherche de sa vérité...
Ainsi, avec un groupe international d'acteurs, nous allons présenter une
nouvelle adaptation d'Hamlet, en anglais, dans la langue de
Shakespeare, car la vie même de la pièce est contenue dans la musique de
ses mots, il n'est pas question pour nous de chercher la nouveauté pour
elle-même. Derrière la surface de cette pièce se cache un mythe, une
structure fondamentale, que nous allons tenter d'explorer ensemble.
Peter Brook
Brook coupe, comme d'habitude, dans le texte et renomme son film La Tragédie d'Hamlet, avec un casting de seulement huit acteurs dont Adrian Lester jeune acteur noir britannique.
Comme
elle est très longue, il est rare que la pièce ne soit pas coupée.
La première grande question, la première grande ligne de partage,
quand il s'agit d'interpréter Hamlet est de savoir si la pièce
est "la tragédie d'un homme incapable d'agir", comme Laurence
Olivier le pose dès l'ouverture de son Hamlet (1948), ou le parcours d'un combattant luttant contre le monde ? Longtemps,
c'est l'image romantique et mélodramatique qui a prévalu : le
Hamlet en pourpoint de velours noir, le regard tourné vers ses tourments
intérieurs, tel que représenté par Eugène Delacroix
dans son Autoportrait
en Hamlet de 1821 et dans nombre de mises en scène du XIXe siècle.
La décision de faire jouer Hamlet par une femme est souvent allée
dans ce sens d'une vision névrotique et fragile du personnage. Dès
le XVIIIe siècle, Hamlet a régulièrement été
interprété par une actrice, en Angleterre comme en France :
Sarah Siddons, lançant le mouvement outre-Manche dès 1777, a
été suivie, à partir de la fin du XIXe siècle,
au pays de Molière, par Sarah Bernhardt (dès 1886), bien sûr,
mais aussi par Suzanne Desprès (1913), Marguerite Jamois (1928) ou
Esmé Beringer (1938). En 2000, l'iconoclaste metteur en scène
allemand Peter Zadek confiait le rôle à l'actrice Angela Winkler.
Avec elle, Hamlet était un enfant observant froidement, autour de lui,
un monde plus médiocre que tragique, tout en gardant une forme d'innocence.
"Le théâtre dans le théâtre n'est pas pour
rien le centre et l'apogée de la pièce, remarquait Peter Zadek
au moment de la création de son spectacle. C'est comme dans la vie,
tous jouent des rôles comme des fous, pour empêcher que d'autres
les reconnaissent, et en espérant qu'ils détermineront ainsi
leur propre identité. Mon Hamlet vit dans un monde chaotique, un monde
d'apparence, il joue des rôles et observe d'autres personnes qui jouent
des rôles. Il interroge le monde, qui ne s'arrête jamais assez
longtemps pour donner des réponses convaincantes." Hamlet était
un enfant, encore, mais là rempli de larmes, dans la mise en scène
d'Antoine Vitez, qui elle aussi a fait date, en 1983. Richard Fontana portait
une douleur inguérissable, tout son corps appelant le moment de "se
perdre et se dissoudre en rosée", selon un vers de la pièce.
Mais, au XXe siècle, un certain nombre d'acteurs ont tranché
avec cette vision de la fragilité et de l'indécision d'Hamlet.
Dès 1964, Richard Burton livrait une magnifique interprétation
où il montrait le prince de Danemark comme un fauve en cage, électrisant
l'air autour de lui, puissant, pervers, moderne, en pull et pantalon noirs
– la version, signée par John Gielguld, a été filmée
et éditée en DVD aux Etats-Unis, des extraits en sont visibles
sur YouTube. En 1983, Bruno Ganz, dans la mise en scène de Klaus-Michael
Grüber, portait "une douleur inhumaine, contre laquelle il se défend[ait]
par la merveilleuse mécanique de l'intelligence, par une énergie
barbare qui éclat[ait] en colère rauque, s'égar[ait]
sur les chemins de fuite du sarcasme", écrivait la critique de
théâtre Colette Godard dans Le Monde du 13 janvier 1983. Et puis
il y a eu Gérard Desarthe dans la mise en scène historique de
Patrice Chéreau, en 1988. Dans la nuit d'Avignon, puis dans les clairs-obscurs
du Théâtre des Amandiers de Nanterre, c'était un Hamlet
qui tranchait absolument avec ce qu'on avait vu jusque-là, un cheval
noir et fou, d'une lucidité et d'une puissance inoubliables.
L'autre question centrale qui préside aux interprétations du
rôle, c'est de savoir si le héros de Shakespeare est fou, s'il
joue au fou ou si le rôle du fou finit par lui coller à la peau,
à force de le jouer. En 2008, quand il a monté "son"
Hamlet au Festival d'Avignon, le grand metteur en scène allemand Thomas
Ostermeier en a livré une vision saisissante, avec un Hamlet, interprété
par l'extraordinaire Lars Eidinger, dont on voyait la raison se fissurer sous
nos yeux.
"Souvent, on présente Hamlet en personnage romantique intègre
dans un monde corrompu, analysait Thomas Ostermeier au moment de la création.
Je ne pense pas que ce soit si simple et j'ai eu envie de me mettre en colère
contre Hamlet parce qu'il n'agit pas. J'avais envie de le violenter un peu
et de lui mettre un bon coup de pied aux fesses ! Ce qui m'intéresse
aussi, c'est l'éternel problème de la folie d'Hamlet, et j'ai
envie d'émettre l'hypothèse que la folie prend possession d'Hamlet
et qu'il ne peut plus se cacher derrière le masque du fou dont il s'est
couvert au début de la pièce." L'interprétation
du personnage était le reflet de la réflexion qui sous-tendait
la mise en scène : "On a dit qu'avec Hamlet on entrait dans la
période de l'homme moderne, de celui qui a la conscience de la complexité
des actions, dans une période où s'opposaient une société
de guerriers et une société de penseurs, d'intellectuels, précisait
Thomas Ostermeier. Cette conscience de la complexité des actions possibles
pourrait rendre les gens fous, de même que la philosophie des Lumières
en France, au XVIIIe siècle, a pu le faire en développant trop
le raisonnement. Trop réfléchir entraînerait obligatoirement
une paralysie de l'action. Il me semble que c'est un sujet très actuel
pour nous qui savons très bien analyser les problèmes nés
de l'injustice sociale mais qui n'arrivons pas vraiment à agir politiquement
et globalement contre. Cette non-action peut nous rendre fous, puisque nous
en avons conscience et que nous nous maintenons dans l'impuissance."
Denis Podalydès, dans la mise en scene de Dan Jemmett (2013) pense que la question de la démence d'Hamlet "doit rester indécidable". "Au début, il décide de manière volontariste d'endosser le manteau de la folie, remarque le comédien. Mais dans la scène avec sa mère, on a l'impression qu'il passe de l'autre côté du miroir. Ce qui est beau, et j'en reviens à la dimension de mise en abyme théâtrale de la pièce, c'est qu'Hamlet met à distance la folie par le théâtre, en jouant. Ce qui n'est pas le cas d'Ophélie : si elle sombre, elle, totalement, c'est parce qu'elle ne sait pas jouer, qu'elle n'est pas actrice du tout..." Folie du monde, qui rend ses enfants fous... de rage, d'impuissance blessée et meurtrière : c'était la vision du jeune metteur en scène Vincent Macaigne, dans l'adaptation fracassante qu'il a donnée de la pièce, au Festival d'Avignon de 2011, sous le titre Au moins j'aurai laissé un beau cadavre. Hamlet, joué par le jeune comédien Pascal Rénéric, s'y cognait, comme tous les personnages de jeunes gens de la pièce, contre un monde boursouflé d'insignifiance et de cynisme, ubuesque. Un Hamlet absolument d'aujourd'hui, détruit par ce monde "hors de ses gonds" qui est le nôtre, comme au temps de Shakespeare. Hamlet est toujours là, quand il s'agit de dire qu'il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark.
Fabienne Darge, Hamlet, avatars d'un prince, Le Monde du 3 octobre 2013.