notes sur l'adaptation par Catherine Umbdenstock
Il a été d’emblée convenu que nous ne monterions pas la tragedie d'Hamlet dans
son intégralite. D’après nos recherches, il n'existe de toutes façons pas une seule
et unique version d'Hamlet, mais plusieurs, toutes signées Shakespeare (Editions
Quarto, Editions Folio etc...) Le travail de l'adaptation nous permet d'affirmer
notre point de vue sur Hamlet, que nous voulons en mouvement, loin d'une vision
psychologisante, une version qui mette l'accent sur l'action, sur la dynamique au
plateau, sur les mouvements de double, en redonnant toute sa place a l'intrigue
de Fortinbras et en insistant sur le caractère impulsif de Laertes, ces deux
« semblables » d'Hamlet.
La dramaturge Katia Flouest-Sell et moi-même, venons de « l’école allemande ».
Nous avons notamment travaille au Théâtre de la Schaubühne de Berlin où tout
projet sur un texte commence toujours par : « faire les coupes ». Dans ma
formation a la mise en scène à l'ecole Ernst Busch (Berlin), ce fut le même
procédé : le metteur en scene (assisté ou non d'un dramaturge) s'empare de la
pièce donnée, qui peut dans un premier temps lui paraître obscure ou eloignéee...,
pour en extraire le noyau – mais aussi les contours ! – qui lui apparaît le plus
intéressant : au niveau des thèmes de société, au niveau de l’actualité, mais
aussi au niveau des enjeux pour les acteurs et la théatralité recherchée... Par la
j'entends qu'effectuer des coupes dans un texte est un exercice essentiel, c'est le
point de départ formel et intentionnel de ce que sera la mise en scene.
Jouer /Déjouer les attentes du public
Avec une pièce comme Hamlet, de nombreuses versions sont déjà connues du
public de theatre. Ce classique « parle » a chaque spectateur et spectatrice, a
différents niveaux bien sûr, mais a toutes et a tous, sans exception, avant même
de rentrer dans la salle : une vague image d'un crane tenu fermement dans de
jeunes mains, un extrait en cours de littérature au lycée, une version noir et blanc
au cinéma pour certains, un sketch des Monty Python pour d'autres... Et bien sûr
l’éternelle citation détournée à l'envi : « to be or not to be ». C'est une des raisons
fortes pour lesquelles nous choisissons des pièces du répertoire classique avec
Epik Hotel : la réception joue un rôle constant, le public est présent (comme un
« spectre ») des les premières lectures, le dialogue avec les spectateurs est
omniprésent pendant la conception et les répétitions. Nous jouons avec leurs
attentes et c'est ce qui fait la force du theatre : les mêmes histoires, sans cesse
racontées, mais toujours différemment...
Les personnages « mythiques » ont cette force de cohésion, qui n’amène pas au
compromis mais a la discussion, à l’échange. Nous avions pu expérimenter cela
dans la création de Dom Juan d’après Moliere en langue allemande (traduite par
Brecht et Heiner Müller), alors que nous étions encore étudiants : une version
ramassée pour 4 comédiens, et où le Grand Commandeur, attendu par tous tel
un Deus ex Machina, n'apparaissait pas au dernier repas... Il a manque a
certains spectateurs, a d'autres il a évoque ce vide existentielle... Discussion.
Ou bien dans notre version de L'Avare toujours d’après Moliere et écrite par
PeterLicht, un auteur pop allemand, dans laquelle Harpagon/le père/l'avare, était
absent, vaguement pointé du doigt comme s'il se dissimulait la-haut, dans la
régie, et qui laissait alors toute la place aux jeunes sur le plateau, eux-mêmes
réclamant leur part... Le père a manque a certains spectateurs, à d'autres il a
évoqué cette omnipresence par l'absence et cette jeunesse abandonnée
essayant de se construire... Discussion.
Et puis il y eut Don Karlos de l'auteur allemand Schiller, moins connu du public
français, mais dont le vers le plus fameux résonne tout de même comme un dejavu
ou deja-entendu : « Donnez-nous la liberté de penser ! », un mot (en allemand
« Gedankenfreiheit ») pour la première fois prononce publiquement sur une
scene. Une pièce ecrite quelques années avant la Revolution Française, et dont
l'auteur partageait l'esprit des Lumieres. Cette réplique est prononcée par le
meilleur ami du prince Don Karlos : le Chevalier de Posa, dont Schiller ne cesse
de nous dire qu'il est en avance sur son temps. Dans notre version, ce
personnage a été interprèté par une jeune comédienne, et feminisee...
Discussion.
Ces choix forts concernant l'adaptation d'un classique nous permettent de jouer
avec les attentes du public, mais aussi de sonder au plus profond les intentions
de l'auteur et les problematiques de son temps afin de les traduire pour ici et
maintenant. Traduire... Traduire c'est trahir, comme dirait l'adage. Évidemment,
notre point de vue d'aujourd'hui sur une oeuvre comme Hamlet ne peut etre que
biaise par rapport a la reception lors de sa creation. Beaucoup d'expressions, de
concepts voire meme des aspects dans la forme theatrale nous sont etrangers a
present. Mais c'est par ce « biais biaise » (cette « trahison » par la traduction),
qu'un classique, a son tour, nous permet de sonder notre epoque, les
problematiques de notre temps. Assumer sa version.
Inspirations
Pour etablir notre version, qui consiste dans un premier temps a operer un tiers
de coupes par rapport a l'original, nous nous sommes inspirees, avec Katia
Flouest-Sell, de plusieurs versions.
Celle de Peter Brook, que nous avions pu voir chacune quand nous etions
adolescente en l'an 2000, elle aux « Bouffes du Nord » et moi a Strasbourg, et
bien sûr la merveilleuse captation qui en a ete faite. Une version qui nous inspire
en ce qu'elle met en lumiere les tourments interieurs d'Hamlet. Elle place le
personnage au centre et offre une magnifique relation mere/fils.
Celle de Laurence Olivier dans son adaptation pour le cinema. Un chef-d'oeuvre
d'inspiration visuelle notamment, dans lequel le personnage principal n'est autre
que le Chateau d'Elseneur lui-meme : l'atmosphere, le dedale, le labyrinthe dans
lequel Hamlet tourne en rond...
Celle de Thomas Ostermeier, avec qui j'ai pu travailler quelques scenes d'Hamlet
lors de mes etudes alors qu'il etait professeur. Ici, une fonction essentielle est
donnee a chacun des personnages dits « secondaires », ce qui donne a Hamlet
sa dimension epique. Le personnage d'Hamlet s'eloigne de l'image du romantique
torture pour faire place au stratege.
Celle de Luk Perceval au Thalia Theater de Hambourg, projet dans lequel j'ai ete
assistante a la mise en scene, et dont le texte Hamlet a ete traduit, ou plutot
volontairement reecrit, par le dramaturge allemand d'origine turque Feridun
Zaimoglu. La mise en scene tient toute en entiere dans le genial concept du
« double » : Hamlet est joue par 2 comediens (simultanement present sur le
plateau) pour renforcer l'idee du combat interieur, Rosencrantz et Guildenstern ne
forment qu'un personnage (schizophrenique), le role d'Ophelie est jouee par une
dizaine de jeunes comediennes... Un effet de miroir qui place la folie au coeur du
drame, et qui propose un reel plaisir de jeu et nous invite a jongler avec la
distribution
Les langues
Curieusement, et ce n'etait pas une volonte consciente au depart, nos
inspirations et nos references sont allemandes ou anglaises. Nous n'avons
travaille sur aucune version française pour etablir la notre. C'est une des
particularites de notre compagnie Epik Hotel : nous tissons depuis longtemps un
lien etroit avec les pratiques theatrales Outre-Rhin, et la rencontre avec l'autrice
et traductrice Dorothee Zumstein nous ouvre egalement aux dramaturgies
d'Outre-Manche. Un jeu avec les langues, que nous retrouverons dans notre
distribution, dans laquelle certains comediens n'ont pas pour langue maternelle le
français.
La question du bilinguisme ou du multilinguisme est un des points centraux de
notre travail theatral au sein d'Epik Hotel, car il reflete pour nous cette idee
(ideale) de « l'Europe unie » dans laquelle nous avons grandi et baigne, et a
laquelle nous avons cru. Pour mieux se forger notre avenir et pour l'elargir :
apprendre la langue de l'autre. Le defi du monde du theatre dans lequel nous
evoluons est bien celui-la : alors que cet art reside dans la parole, les mots,
comment lui faire sauter les frontieres ?
Jouer justement avec la langue.
Alors meme que le texte d'Hamlet nous est traduit en français, et que la
traductrice Zumstein tient a cette « fidelite » au texte original, trois comediens de
l'ensemble n'ont pas, comme langue maternelle, le français.
La comedienne Charlotte Krenz, qui est allemande et qui travaille depuis ses
debuts avec Epik Hotel, interpretera le role de la Reine, apportant a la musicalite
de la langue une curieuse etrangete.
J'e souhaite que le musicien franco-americain Frank Williams, dont la presence
reste aujourd'hui encore a confirmer, interprete Horatio, le meilleur ami d'Hamlet.
Il jouera des « balades » et des passages d'Hamlet en anglais. L'idee est qu'on
puisse se dire : « mon meilleur ami, le seul qui ne me trahisse pas, ne parle pas
la même langue que moi ». Et ce n'est pas un sujet car l'amitie est au-dela des
mots.
La comedienne qui interpretera, entre autre, le role d'Ophelie, et pour lequel nous
sommes a ce jour en train d'auditionner, s'exprimera en français avec un accent
etranger. La dimension ici recherchee est celle de la filiation : si je ne parle pas la
meme langue que mon pere, qu'est-ce qui definit mon appartenance, mon
identite ?
Autant de questions essentielles, quand on sait qu'aujourd'hui en France, un
nombre croissant d'enfants parlent plusieurs langues a la maison, ou que la
langue de l'ecole et celle de la sociabilisation, n'est pas forcement celle parlee
avec les proches.
Le cadre : Fortinbras ou l'avancée des troupes
De toutes les versions dont nous nous inspirons, aucune ne met en scene le
personnage de Fortinbras. Son intrigue est coupée, car elle aurait le défaut de
détourner l'attention de l'intrigue Hamlet. Et pourtant. De mon point de vue, elles
sont toutes les deux essentielles car elles permettent de dégager les différences
de comportement, les décisions prises par ces deux jeunes hommes, en age de
diriger leur royaume. Fortinbras, fils de Norvège, avance avec son armée sur les
terres du Danemark pour venir réclamer un « lopin de terre » que son père a du
concéder à Hamlet-pere. Hamlet-fils ne cesse de se dénigrer par rapport au
« courage » de ce jeune Norvège, qui est prêt à enrôler ses soldats pour sauver
l'honneur de son pays, vaincre la où son père a été jadis vaincu. Des le début de
la pièce il règne à Elseneur une atmosphère de préparation de guerre, on assiste
a une « course aux armements », qui fait douter le peuple, et notamment les
sentinelles de première ligne. De son cote, en proie a sa tragédie intime, en deuil
de son pere, Hamlet tergiverse et se reproche de ne pouvoir tuer un homme, son
oncle assassin, alors que le jeune Fortinbras est prêt a en sacrifier des milliers
pour son honneur.... Est-ce vraiment si « courageux » ? Hamlet est un erudit, un
homme de la Renaissance. Il a face a lui Fortinbras, la figure d'un homme de
l'action – militaire ! Je souhaiterais pouvoir donner aux armes d'Hamlet autant de
force de frappe : tel son esprit, son erudition, sa sensibilité, son amour pour les
comédiens et le jeu. L'Histoire a deja donne trop de place aux armes de
Fortinbras...