Jouer, c’est jouer avec la présence du public qui réagit directement par des pleurs, du silence, des rires. C’est comme si vous racontiez à quelqu’un qui est là une histoire. C’est magnifique. Certains soirs avec Madeleine Renaud, quand on jouait « L’amante anglaise », il y avait des temps comme les aimait Claude Régy où le public ne bronchait pas, entièrement suspendu à ce qui se passait. Face à ce public qui regarde bien, qui écoute bien, vous osez faire des choses que vous ne feriez pas avec une salle qui bouge, moins attentive. Le public, tous les soirs, est un monstre à plusieurs têtes. Il y a une personne là, mais elle a dix, quarante, cinquante, cent, deux cents, parfois mille têtes et c’est pourtant un cœur à cœur.
Un professeur de lettres disait : « Quand mes élèves m’écoutent bien, ça me rend plus intelligent… » Quand on sent une écoute qui est d’accord avec vous, vous osez aller plus loin.
Un acteur prend le rôle qu’il est capable d’exprimer. Un bon metteur en scène choisira des gens pour jouer tel timide, ou tel violent, selon la nature du rôle. Pour un bon acteur, on dit qu’il faut une rencontre à mi-chemin, ce qui veut dire qu’il ne faut pas que le rôle devienne vous, qu’on ne voit plus que vous, comme certains acteurs qui jouent à peu près tout pareil, et il ne faut pas non plus que le rôle vous envahisse au point que vous n’êtes plus vous-même. Il faut donc apporter votre vie, votre sensibilité et votre rythme, votre vision du personnage.
Il faut inventer tous les jours. Ne pas faire systématiquement les mêmes gestes, les mêmes effets, comme on dit. Quel terrible mot ! Des fois les gens rient à telle ou telle réplique ; alors à force l’usure s’installe et on a tendance à rechercher l’effet un peu mécaniquement. Cela devient beaucoup moins drôle. Enfin, c’est tout un art.
J’ai vaincu ma timidité. C’est un lieu où il faut s’exposer. Un acteur doit se montrer au-delà de ce que l’on voit de lui. Vous parlerez au public, vous lui ferez des confidences que vous ne ferez à personne dans la vie. Et vous montrerez des choses que vous ne montrerez pas dans la vie. C’est donc un dépassement de soi par lequel on se rend compte que l’on est capable de façons de penser complètement différentes. Cela élargit énormément le comportement et on découvre des manières d’être insoupçonnables. On se retrouve brutalement métamorphosé par un rôle. Quand ce sont des rôles de méchants, avec de mauvais sentiments, on s’aperçoit que l’on peut être très agressif.
A force de simuler les sentiments, on finit par bien les connaître dans la vie et on s’aperçoit assez vite quand les gens parlent faux ou sincèrement. On le sent. Il y a un ton, une inflexion, juste un petit déraillement de la voix qui nous fait dire : « Cette personne ne dit pas la vérité ». Il y a des gens qui mentent très bien, puis d’autres non ; mais on sent quand les gens parlent justes, vrais, qu’ils sont eux-mêmes ou quand ils ont un langage fabriqué, tout posé d’avance.
Pour être comédien, il faut avoir une capacité d’observation, d’imitation et être pleinement soi-même quand on est quelqu’un d’autre. La nécessité d’être comédien vient sans doute d’un malaise de vivre, déjà et d’une incapacité d’accepter la vie telle qu’elle est. A travers des personnages, on s’envole, on voyage… « Je est un autre ». Nous sommes plusieurs autres…
Micaël Lonsdale