Emission Coup de Théâtre à la Comédie de Colmar: interview de la metteuse en scène.
DISTRIBUTION
Texte William Shakespeare
Traduction nouvelle de Dorothee Zumstein (sur une commande d'Epik Hotel)
Mise en scene Catherine Umbdenstock
Adaptation Catherine Umbdenstock et Katia Flouest-Sell
Scenographie et costumes Claire Schirck
Dramaturgie Katia Flouest-Sell
Creation Sonore Samuel Favart-Mikcha
Creation musicale Nabila Chajaï, Samuel Favart-Mikcha, Frank Williams
Creation lumieres Florent Jacob
Regie generale Pierre Mallaise
Stagiaires a la mise en scene Adele Beuchot-Costet, Victoria Fagot
SUR SCÈNE
Christophe Brault, le roi Claudius, le spectre, le fossoyeur
Nabila Chajaï, Ophélie, une musicienne, harpe et violon
Samuel Favart-Mikcha, Horatio, un musicien, voix, slam et percussions
Charlotte Krenz, la reine Gertrude
Lucas Partensky, Hamlet
Frank Williams, Polonius et Laërtes, un musicien, chant, guitare et dulcimer
Notes de mise en scène par Catherine Umbdenstock
La Génèse – un projet épique
Cette année, notre ensemble franco-allemand Epik Hotel a 10 ans. À travers nos
projets en France, dans le Grand Est (notamment a La Comédie de Colmar et au
TAPS de Strasbourg) ou encore au Théâtre de la Commune (Aubervilliers), mais
aussi en Allemagne (à Cologne ou à Berlin), nous avons tenter l'aventure de
construire, ensemble, au-dela des frontières, un univers propre ; nous avons pu
aiguiser nos méthodes de travail, approfondir nos thèmes de prédilection et
fédérer, autour du projet d'Epik Hotel, de éeels partenaires de jeu, tant sur le
plateau que tout autour.
C'est dans cet esprit de consolidation d'une troupe que j'ai voulu « offrir », a mes
collaboratrices et collaborateurs de longue date, un projet ambitieux. La
distribution des rôles m'a semble tellement évidente, comme si, jusqu'à présent,
nous n'avions travailler qu'a cela : se préparer pour Hamlet !
Lucas Partensky (dans le role-titre) et Charlotte Krenz (dans le role, entre autres,
de la Reine) sont mes compagnons de route depuis nos annees d'etudes, nous y
avions tisse des liens, du nord au sud et d'est en ouest : l'un au TNS de
Strasbourg, l'autre au TNBA de Bordeaux et moi-même a l'ecole ERNST BUSCH
de Berlin. Il y a aussi Christophe Brault, un comédien fidele au travail de
Stephane Braunschweig et a celui de Benoît Lambert, qui jouera le Roi (mais
aussi le fossoyeur) et qui participe au projet d'Epik Hotel depuis quelques années
maintenant. Et il y a l’équipe artistique et technique qui a traverse vents et
marées lors de notre dernière création Meeting Point (HEIM), en plein covid : une
création spatiale, par la scénographe Claire Schirck, une création lumière par
Florent Jacob et une création sonore par Samuel Favart-Mikcha, le tout
magistralement mis en oeuvre par Pierre Mallaise a la regie plateau. Dans ce
Meeting Point, le travail de cette équipe artistique et technique a trouve un
équilibre et une vitalité tels, que nous voulons retrouver cette constellation. Pour
aller plus loin encore.
Il nous fallait un projet dans lequel nous pouvions toutes et tous nous déployer, à
la fois un cadre fort et la sensation d'une totale liberté : un projet épique.
Une nouvelle traduction – pour ici et maintenant
En 2016-17, Dorothee Zumstein, autrice et traductrice, découvre le travail d'Epik
Hotel que nous avons mené sur le texte-fleuve de Schiller Don Karlos. Une pièce
d'ailleurs surnommée le « Hamlet allemand ». Au même moment, je lis sa piece
Mémoires pyromanes/Time Bomb, qui s'inspire des protagonistes historiques de
la RAF (la « Bande a Baader »). Aussitôt naît l'envie d'une collaboration qui
rencontrerait notre style de jeu et de mise en scène et son style d’écriture. Epik
Hotel passe alors commande a l'autrice d'un texte pour 4 de ses comédiens
10
franco-allemands, sur le thème de la frontière et des langues interdites. Tout de
suite, ce quatuor d'actrices et d'acteurs résonne comme celui présent dans
Hamlet : le père, la mère, le fils, l'inconnue... Ce projet devient Meeting Point
(Heim) et est enfin cree en 2021, apres 3 années d'intense travail. Shakespeare
a été omniprésent pendant nos échanges.
Tout d'abord, Zumstein a déjà traduit plusieurs pièces de Shakespeare
(notamment Richard III et La Tempête pour le CDN de Sartrouville), on peut dire
qu'elle est traversée par cette matière. Son écriture aussi s'inspire, dans la forme,
du théâtre élisabéthain : poésie et action sont toujours liées.
C'est donc tout naturellement que je me suis adressée a elle pour réaliser une
nouvelle traduction d'Hamlet. Dorothée connaît les acteurs, les mêmes que pour
Meeting Point (HEIM), qui vont interpréter les personnages de Shakespeare.
J'ose espérer que le « spectre » des comédiens sera présent dans leurs paroles
ainsi traduites pour eux.
De pouvoir dialoguer avec la traductrice, c'est aussi pour moi la possibilité
privilégiée d'une porte d’entrée vers Shakespeare himself. Non seulement a
travers l'immense connaissance de Dorothee Zumstein sur les références
historiques notables mais aussi et surtout sur le corpus, l'univers langagier de
l’époque, les expressions, les moeurs, le statut du theatre, de la troupe de
Shakespeare, etc...
Et par dessus tout, la commande d'une traduction nouvelle est motivée par ce
besoin : rendre cette immense « morceau » de theatre compréhensible et
sensible pour ici et maintenant.
Hamlet pour tous
De façon très personnelle, presque intime, cette pièce de Shakespeare
m'accompagne depuis longtemps. J'en lis des passages ou j'en fais lire, a haute
voix, des que l'occasion se présente. Surtout aux auditeurs qui ne sont, d’emblée,
pas familiers de cette matière. Hamlet peut faire peur, car c'est « THE piece ».
Mais une fois l'intrigue amorcée, une fois qu'on se rend compte que les mots sont
simples - et que l'intrigue est heureusement complexe-, on est happe, pris au jeu,
pris au piège...
Je mets un point d'honneur, dans mon travail, à démontrer qu'une oeuvre n'est
jamais intouchable, qu'un grand classique du theatre appartient a notre culture et
donc a toutes et tous. Cette peur justement de ne pas comprendre, cette peur
que j'ai ressenti moi-même venant d'un milieu où l’idée du theatre est réservée a
une élite... Ce monde m'apparaissait alors inatteignable, comme entoure par un
halo sacre, que seuls quelques inities (et rares initiées) savaient percer. Hamlet
est tout entier ce monde du theatre que je souhaite aujourd'hui, certes sacre
(dans le sens où aller au theatre c'est s'adonner a un rituel social), mais surtout
accessible pour toutes et tous, en transformant l’idée qu'une oeuvre est
intouchable, et en faisant de la représentation un moment généreux avec le
public, simple mais exigeant. Comme la traduction que nous livre Dorothee
Zumstein.
En ce sens, j'ai travaille avec Hamlet sur de nombreux ateliers, auprès d'un
public varie. Avec des étudiants en Mise en Scene de l’Université de Metz, nous
avons explore les scenes Hamlet/Ophelie, que nous avons éclairé sous l'angle du
rapport homme/femme, du travestissement, déjà en jeu au temps de
Shakespeare (où tous les rôles de femmes étaient joués par des hommes). Avec
un groupe de jeunes comédiens en situation de handicap a l'Institut Saint-Joseph
de Colmar, nous avons travaille Hamlet comme un matériau, avec des situations
théâtrales, épiques, poussées 0 leur extrême ! Je suis également intervenue,
l’année scolaire passée, auprès d'une classe préparatoire Hypokhagne-Theatre,
au lycee Lamartine (Paris), avec le projet de mettre en scene tous – et rien que -les monologues d'Hamlet. Les jeunes interprètes, dans un travail collectif, m'ont
permis de traverser cette figure, de la suivre dans ses méandres et ses éclairs de
lucidité. Le projet a pris pour titre : Hamlet n'est pas mort...
Cette pièce et ce personnage sont une source inépuisable d’interprétation, de
questionnements et aussi de trouvailles, quelque soit le milieu, l’époque, l'age,
l'origine du groupe qui s'y attelle.
Afin de permettre une approche totalement ouverte et généreuse de ce mythe
que représente Hamlet, nous créons, en parallèle de la pièce de Shakespeare :
Amlettino (ou la venue d'Hamlet en salle de classe), un monologue à destination
du public adolescent, écrit par Dorothee Zumstein et conçu pour être joue dans
les salles de classe en collège et lycée.
Aujourd'hui Hamlet
J'avais 17 ans, je découvrais tout juste le theatre et on m'a emmené voir Hamlet
au TNS, dans une mise en scène en allemand (!) de Peter Zadek avec Angela
Winkler dans le rôle-titre. Une femme qui joue Hamlet. Je n'avais rien compris
mais j'ai su que quelque chose se passait. En poursuivant mes études en
Allemagne, j'ai remarque que cette pièce de Shakespeare est particulièrement
importante et emblématique pour toute une génération de metteurs en scene
allemands : celle de la chute du Mur de Berlin. Ainsi j'ai pu assisté Thomas
Ostermeier sur sa propre mise en scène à la Schaubühne de Berlin, ainsi que
Luk Perceval au Thalia Theatre de Hambourg. En sillonnant les theatres en
Allemagne, j'ai assisté à de nombreuses representations d'Hamlet, je ne les
compte plus. Mais je me souviens de m'être tres vite formulee cette
« promesse » : «Si tu montes Hamlet, un jour, fais-le pas trop tard. Quand on est
vieux, on veut rajouter des couches, et Hamlet n'en a pas besoin ». Je crois donc
que le moment est venu...
Aujourd'hui la guerre
La tragedie d'Hamlet s'ouvre des l'Acte 1 Scene 1, sur le thème martial : les
gardes du royaume sont a leur poste pour surveiller tous mouvements au-dela
des remparts. C'est alors que le fantome du Roi défunt apparaît en armure, la
même silhouette qu'il arborait lors de sa victoire en duel avec le Roi de Norvege,
où ce dernier fut tué.« De violents soulèvements sont à prévoir dans notre état »prédit alors Horatio. En effet, le jeune Fortinbras, heritier du Royaume de
Norvege, a monté une éede « mercenaires » pour venir reprendre, par la
force, une partie du territoire qu'il revendique. La guerre est aux portes du
Danemark. À travers les costumes et la création d'une musique originale, nous
voulons instaurer, des la premiere scène, ce climat de grande tension politique.
Tous les comédiens de la distribution, hormis le protagoniste d'Hamlet, seront
amenés à jouer un soldat pour figurer cette omniprésence militaire. Il y a dans le
texte, un emploi constant de métaphores liées à la guerre, à la chasse, et aux
armes. Nous nous emploierons à faire surgir ces images, qui nous habitent
aujourd'hui aussi, de maniere plus ou moins consciente.
Aujourd'hui les pères
Dans la tragédie d'Hamlet, tous les pères sont assassinés brutalement. Le Roi
Hamlet, père d'Hamlet, tue par son frère ; Le Roi de Norvège, père de Fortinbras,
tué par le Roi Hamlet ; Polonius, père de Ophelia et Laertes, tués par Hamlet.
Pour les fils et les filles de ces pères assassinés, une brèche semble s'ouvrir
dans le temps, « The time is out of joint », car cette nouvelle generation est appelée, sans sommation, à apprivoiser ce monde tel qu'on a bien voulu le lui laisser. Hamlet hésite entre la vengeance et le suicide, Ophelia choisit le suicide,Laertes la vengeance qui le conduira à sa mort et Fortinbras prend les armes.
C'est ce dernier personnage qui annonce l'avénement d'un nouveau monde.
Hamlet, avant de mourir, le choisit comme le roi légitime.
Au début de la pièce, tous, même le nouveau roi Claudius, semblent être
convaincus qu'Hamlet ferait un bon roi, qu'on lui cèdera volontiers la place au
moment venu... Mais Hamlet ne cherche pas la proximité avec le trône, le
pouvoir. Hamlet est un Homme de la Renaissance, un érudit, qui préfèrerait au
plus vite retourner à ses études et à sa bibliothèque, loin de la vie au château. Sa
mère l'en empêche. Il est contraint de rester dans le royaume. Il ne veut pas
suivre les traces de son père. Lors des scènes entre le père (fantôme) et le fils,
nous ferons clairement apparaître leurs différences. Hamlet admire son père-
Hamlet et lui exprime sa compassion. En réponse, le fantôme d'Hamlet-père lui assène un ordre de vengeance.... Hamlet-fils doute de cet ordre : est-il bon de répandre le sang ?
Le fantôme du Roi Hamlet et le personnage de son frère Claudius seront joués
par le même comédien, Christophe Brault. Cela tend à souligner qu'il y a bien
une ressemblance entre le vrai père adoré et le beau-père usurpateur : deux
figures opposées réunis en une seule image, pour venir troubler la vision que l'on
se fait du père...
Polonius est l'autre figure paternelle. Shakespeare s'amuse à en faire, certes un
ministre du roi, mais avec un côté has-been. Il est complètement
dépassé par les evenements, surtout ceux qui touchent ses enfants. Sa fille
Ophelia ne lui ressemble en aucun point, comme si ce lien de filiation n'avait pas
pour motif le sang, la lignée, mais était plutot le fait du hasard, voire même d'une
adoption. Ophelia viendrait d'ailleurs. Son fils Laertes lui ressemble, trop : le
même comédien interprètera le père et le fils. Par là, on pourrait apercevoir que,
de génération en génération, un même schéma se reproduit : l'autorité du père,
et de l'homme. Dans les scènes avec sa soeur Ophelia, Laertes se comporte
effectivement comme un dominant et non comme son égal.
Horatio, le meilleur ami et unique confident d'Hamlet, est sans père. Ce sera le
seul survivant de la tragédie. Hamlet l'implore de rester en vie pour qu'il puisse
raconter son histoire, raconter La tragédie d'Hamlet.
Aujourd'hui le théâtre
En mourant, Hamlet en appelle donc aux pouvoirs du récit. Le thème du théâtre
dans le théâtre est un motif récurrent chez Shakespeare, et dans Hamlet, il prend
toute sa dimension lors de l'arrivée de la troupe des comédiens dans le château,
qui interpréteront « La souricière ». Le théâtre est le lieu où Hamlet compte
démasquer les coupables, faire surgir la vérité. Et ça marche.
Je m'amuse à pousser cette thématique à l'extrême : et si tout ce à quoi on venait
d'assister, c'est-a-dire la tragédie d'Hamlet en son entier, était justement le
récit qu'en fait Horatio ?
Un tel dispositif est inspirant pour penser le rapport des comédiens (de notre
troupe) aux différents rôles qu'ils seront amenés à jouer. Tous jouent plusieurs
roles, sauf Hamlet, il est en quelque sorte spectateur de sa propre tragédie.
Horatio sera interprété par Frank Williams, qui est à l'origine un musicien punk. Il
compose ses propres textes et s'accompagne avec sa guitare sèche et rugueuse.
Il a participé à de nombreux projets théatraux dans lequel j'ai apprecié son style
de jeu proche de celui de la performance. Horatio sera un troubadour des temps
(post-)modernes. La poésie est une amie, une alliée.
Le coté performatif du projet sera également soutenu par la présence de notre
créateur sonore, Samuel Favart-Mikcha, qui pratique de façon tres libre la danse contemporaine. Il performera « La souricière », que Hamlet qualifie a juste titre de pantomime.
La troupe
Notre dispositif scénique sera ouvert à la fabrication de la théâtralité, ouvert aux
travestissements, on assistera aux changements de costumes et aux
transformations des comédiens d'un personnage a un autre. La régie sera visible
et partie intégrante du dispositif. Les 6 comédiens et comédiennes seront
présents en permanence sur la scène, permettant de créer du jeu hors-scene, de
créer du trouble et d’élaborer une intense relation avec le public, clé de voûte
dans toutes mes mises en scène. J'aime jouer avec le 4eme mur, au gré des
envies, des besoins de l'action : il est tantôt ouvert, tantôt fermeéIl permet ce jeu
entre la parole publique et la parole privée. Notre scénographie évoluera au fil
des répétitions, influencée par l’inventivité des comédiens, eux-mêmes inspires
par le plateau...