J'ai eu l'occasion d'assister à cette conférence et je vous transmets ma prise de notes intéressante pour renouveler votre image de la pièce Richard III. N'hésitez pas à me demander des explications.
1592 ou 1593 pour composition du texte. Tout début de la carrière de Shakespeare après les 3 parties d’ Henri VI. Richard III, dernière pièce de la tétralogie.
1484 et 1485 : dates à laquelle se déroulent les événements. Celui qui tue Richard (Richmond) deviendra Henri VII. 1er Tudor.
Contexte historique
Guerre des Deux-Roses, deux branches, deux lignées des Plantagenêt : Lancastre (rose rouge) VS York (rose blanche).
Richard III, famille des York. Clarence, Edouard IV, Reine Elisabeth, les deux jeunes princes, la Duchesse.
Lancastre : Reine Margaret (veuve du roi Henri VI).La famille Lancastre est plus réduite dans la pièce.Ils ont été vaincus et beaucoup son morts.
Règne sanglant de Richard III. Par ambition il commet une série de crimes : Clarence, Henri IV, les deux princes et Buckingham. La guerre entre les familles est rappelée, par échos, par la reine Elisabeth. Dans la pièce, on parle davantage de la conquête du pouvoir par Richard III alors que sa naissance ne lui permet pas d'y prétendre.
Meurtres : Clarence (I, 4), Henri IV, deux jeunes princes, Buckingham… cf scène des fantômes.
Genre de la pièce
Pièce très gore. Un peu comme Titus Andronicus ou Macbeth. John Webster, La Duchesse d’Amalfi (1612 – 1613) --> meurtre de la duchesse commis sur scène, étranglée.
de l'horreur qui ne pouvait pas plaire au public français à cette époque (// classicisme). Règle des unités pas respectée. Bcp de sang, de sexe et de mots orduriers.
L'aspect gore peut poser pb aux metteurs en scène d'aujourd'hui cf. tête d'Hastings III, 5. Comment représenter la tête coupée ? Comment représenter l'horreur, le macabre, sans tomber dans l'outrance, dans le sensationnel, le grand guignolesque ?
Cette pièce était bien désignée comme une tragédie et n’appartenant donc pas au grand-guignolesque. Cela ferait obstacle à la tragédie (catharsis).
La tragédie au XVII e siècle en Angleterre.
Aristote > tragédie = terreur et pitié. But : catharsis, purgation des passions.
La tragédie a une portée didactique. Elle enseigne le bien par la présentation du mal et surtout par la défaite de ce mal.
Ici, mort du roi = triomphe du bien sur le mal. L'injustice ne règne pas. Richard meurt à la fin. Jugement de Dieu. Mais retient-on le rétablissement du bien sur le mal ou plutôt l’ensemble des crimes de Richard ?
Richmond dit que Dieu est de son côté à la fin après ses rêves (// cauchemars de Richard III).
Les sources de Shakespeare.
Bcp de références ms source principale : Chroniques de Holinshed de 1578. Chroniques = textes narratifs qui ne sont pas totalement fidèles à la réalité. Textes narratifs faits pour être lus. Adaptation de ces textes pour en faire une pièce.
Richard III : transposition d'une langue écrite pour une langue orale.
Théâtre = art du dire et du voir. Pour accentuer cette dimension visuelle, il va insister sur cette dimension visuelle :
- présence de la reine Margaret à l’acte II et IV. Anachronisme. En fait, elle ne peut pas être présente. Elle a été réexpédiée en France à la mort de son mari.
- présence du catafalque du roi Henri VI. Anachronisme. Il ne peut pas être présent à ce moment-là, même mort. (Toute une série de vanités dans cette pièce). Shakespeare retravaille la matière historique à des fins dramatiques.
- la tête coupée d'Hastings est aussi un anachronisme. Rappelle le théâtre de Sénèque.
La série des fantômes est aussi une scène très impressionnante, très visuelle.
CES SCENES FRAPPANTES RAPPELLENT LE THEATRE DE SENEQUE, il privilégie la violence et les scènes paroxistiques. Reine Elisabeth : personnage inspiré de ceux de Sénèque. Personnage ressemblant à une allégorie de la violence, de la haine, de la vengeance. Personnage archétypal. Peut-être même allégorie du temps, elle rappelle le temps passé et prédit le temps à venir, comme Cassandre.
Ces scènes rappellent que le sujet principal est peut-être le théâtre lui-même et moins les thèmes traditionnels (amour, violence, guerre, pouvoir …).
DIMENSION META-THEATRALE dans la pièce, illusion méta-référentielle. Bcp de jeu sur la fiction et la réalité théâtrale. La fiction enseigne-t-elle qq chose ? Dimension propédeutique?
I. LE PERSONNAGE DE RICHARD.
Il apparaît dès le début de la pièce, il ouvre la pièce. Rare car généralement personnages secondaires qui introduisent les thèmes principaux. Pièce commence par un soliloque.
[Question de la traduction : on ne peut pas traduire en alexandrins. Cela ne fonctionne pas. Texte est écrit en pentamètres iambiques. Traduction de François-Victor Hugo est en prose mais n’est pas très dicible. Pas facile à mettre en bouche. Les traductions en alexandrins amènent à faire des entorses par rapport au texte de départ.]
Né avant terme, il est contrefait, il est contre-nature dans la conception de l’époque. Cela le prédisposerait au mal.
A. La part animale.
Les chiens aboient à son passage selon son monologue début > on l'appelle souvent dog dans la pièce.
Souvent qualifié par des noms d'animaux "porc-épic", "crapaud", "basilic", "tigre", "cocatrix" (le plus venimeux de tous les serpents // basilic) --> lien d'homologie entre Richard et le mal. Autre nom pour le basilic. La légende veut que les distraits qui s'approchaient de lui sans l'avoir vu. Symbole de la ruse.
Richmond serait peut-être ce miroir tendu à Richard. Son double bénéfique qui va tuer Richard.
Ce sont tous des animaux rampants, chtoniens. C'est donc indiquer la chute de Richard. Il est au plus bas.
Dans la conception de l’échelle de la nature (Scalla Naturae), l’homme est situé sous Dieu, les anges mais au-dessus des animaux domestiques et des non-domestiques. L'homme voisine avec le divin et avec l'animal.
Les animaux sont donc situés beaucoup plus bas dans la chaîne des êtres. Richard cousine avec le démoniaque. C'est une allégorie du mal (cf théâtre des Moralités au Moyen Âge). Shakespeare puise à la culture de son époque (théâtre de Moralités ou Bible sont de grandes influences).
B. Un personnage de Moralités, une allégorie du mal
Moralités médiévales, on trouvait souvent cette référence aux animaux mais aussi dans la manière dont Richard envisage son rôle dans l'économie de la pièce.
cf I, 3 "Je suis bien résolu de faire un vilain". Le vilain apparaît lui aussi dans les moralités médiévales. Personnage classique, archétypal. C’est un être amoral, mécréant. Personnage-type.
"Comme Iniquité, le Vice sur la scène, / Je moralise avec des mots à double sens."
Le Vice = bouffon des moralités. Il agit comme le Vice des pièces médiévales. Il est prêt à tout pour arriver à ses fins. Il souille tous ceux qui l’approchent. On s'interroge alors sur le mal : pourquoi le mal ? Comment le mal vient-il aux hommes ? Portée philosophique de l’œuvre. Elle nous interroge sur notre attirance pour le mal.
Samuerl Taylor Coleridge à propos de Iago dit que ce qu'il le meut c'est une « malignité sans raison" (motiveless malignity).
→ l’allégorie permet de réfléchir à la portée de l’incarnation.
C. Un personnage subversif
Est-ce qu'il hait le beau ? Le beau serait-il laid ? Cf Macbeth , discours des sorcières « Le beau est laid et le laid est beau ».
D. Un voyeuriste qui jouit du spectacle des malheurs qu’il cause
Richard jouit du spectacle de ses abominations. Il a un aspect voyeuriste.
Shakespeare nous confie à demi-mots que le texte de théâtre, fût-il poétique, est tout de même un texte pauvre au sens où il est besoin de l'incarner le texte pour qu'il devienne puissant.
Ce voyeurisme ne peut s’accomplir qu’avec le concours de l’imagination du spectateur : co-construction de la pièce.
Théâtre élisabéthain : théâtre de plein air, en plein jour. Besoin de recourir à son imagination pour imaginer la nuit dans Macbeth par exemple.
E. Un personnage réfléchit le poète et fait réfléchir au théâtre.
Ce personnage est aussi un double du poète tant son discours polymorphe sait séduire ceux qui l'entourent : les personnages et même le spectateur.
II. LANGUE ET POESIE DANS RICHARD III.
A. Richard : la souplesse de la langue habile.
1. Une langue poétique
Dès le début de la pièce, il explique qu'il a utilisé tous les atouts de la langue. Langue fortement imagée, beaucoup de métaphores. > hypotypose. On utilisait autant d'images à cette époque car sur scène, il y a peu de décor, c'est la langue qui va faire voir. La langue de Richard est à double entente. Il joue sur la polysémie.
2. Une arme puissante
Anagramme SWORD / WORDS comme Lady Anne va refuser de prendre l'épée contre lui. La langue, les mots l'ont désarmée. Il lui tend une épée, qu’elle refuse d’utiliser à son endroit.
3. Un plaisir ludique
"till I lie with you" jeu de mots : tant que je vous mentirai ou jusqu'à ce que je couche avec vous.
4. Un outil de dissimulation
Richard = être de parole, être de discours. Il le dit à Lady Anne. "Lady Anne - Je voudrais connaître ton coeur / Gloucester - Il se voile derrière ma langue ou se révèle par ma langue (double traduction possible)".
B. Les influences de Pétrarque dans l’expression de Richard
Utilisation de la veine pétrarquiste par les images souvent convenues.
Lady Ann est "une sainte" > elle est donc céleste. La beauté de la femme est la représentation de sa beauté spirituelle. Elle est un soleil. Référence à la philosophie néo-platonicienne.
Ce discours pétrarquiste (que l’on trouve dès le début « l’hiver de mon mécontentement ») est utilisé pour vider de leur sens d'origine la puissance rhétorique de Richard III. Images répétées --> elles n'ont plus de sens. Mensonges qui se parent des oripeaux du vrai. Richard sait utiliser une langue qui sait charmer car elle est devenue convenue. Effet de manche de l’habile parleur mais dénonciation de ceux qui s’y laissent prendre (public compris)
C'est un discours qui ment et dit le vrai en même temps. Difficulté pour l'acteur de dire cela, de faire entendre cette duplicité.
C. L’expression des personnages féminins.
Comparaison entre la souplesse de la langue de Richard et la langue des reines.
Elles n'utilisent pas le même type de discours. Il a face à lui des personnages qui ne tiennent pas la route, ils ne sont pas à la hauteur de ses capacités rhétoriques. Reine Margaret use d'un discours figé et non d’un discours aussi flexible que celui de Richard.
Margaret est d'abord cachée derrière un rideau. Elle lance ses imprécations depuis le rideau avant de venir sur scène. Elle est une figure de la NEMESIS. Voix de la répétition.
cf structure syntaxique "Ton Edouard est bien mort qui tua mon Edouard / Et ton autre Edouard mort pour venger mon Edouard".
Langue de la constriction et peu imagée de Margaret s'oppose à la poésie de la langue de Richard. Il est l'artisan d'un verbe séducteur.
Il faut renoncer à une approche psychologique des personnages. Les personnages sont des types, ils sont stylisés.
Richard est un metteur en scène hors pair.
III. THEATRE ET META-THEATRE DANS RICHARD III.
A. Richard, un acteur.
La conquête du pouvoir par Richard repose sur toute une série de stratagèmes qui prennent la forme d'un jeu histrionique cf. I, 1, 109-111
I will perform to enfranchise you > Sera fait pour vous obtenir la liberté / Sera joué [la comédie] pour vous obtenir la liberté
Joue plusieurs rôles face à Lady Anne :
- amant transi
- le pénitent
Il fait preuve d’un art consommé de la mise en scène. Il organise une cérémonie : il refuse la couronne, il feint de craindre de céder sous le poids de la responsabilité, il finit par accepter par dévouement soi-disant. III, 7, 154 -173 : Buckingham est le metteur en scène de Richard. Il organise la mise en scène de l'acceptation de la couronne. Richard finit par accepter par nécessité, malgré sa volonté qui lui ferait décliner. Hypocrisie consommée.
Il apparaît avec son livre de prières pour le parer d'un rempart de vertu chrétienne et de confiance + 2 hommes d'église, gages de moralité.
Il a même répété cette scène avec Buckingham en III, 7, 44-52.
Richard joue des accessoires : le livre de prières doté d'un pouvoir symbolique très fort. Richard semble nous dire que le théâtre requiert plus que le texte, aussi brillant fût-il. L'efficacité ne peut naître qu'entre le texte, le langage verbal et le langage des signes visuels.
Mise en scène tout à fait efficace car les spectateurs de la scène sont conquis par la mise en scène.
B. Richard, double de Shakespeare.
Finalement, c'est bien Shakespeare qui délègue sa voix à un scélérat, à un machiavel, à Iniquité.
Le dramaturge Shakespeare dénude l'illusion référentielle. Le spectateur est face à des personnages devenus spectateurs sur la scène. Ce sont des spectateurs victimes d'une illusion, ils adhèrent à ce qu'ils voient. Cette mise en scène est donc une fiction qui prend les spectateurs sur la scène. Ils sont victimes de l'illusion référentielle.
Les spectateurs dans la salle. Nous oublions que nous sommes nous-mêmes victimes d'une illusion référentielle, celle de la pièce, dans son ensemble. Nous adhérons à cet artifice de construction qu'est la pièce Richard III.
Shakespeare déconstruit l'illusion référentielle de la scène de l’acceptation de la couronne tout en nous forçant à adhérer à l'illusion de la pièce dans son ensemble. Double processus pour le spectateur : nous nous moquons de ceux qui se font avoir sur scène mais nous adhérons à l'ensemble de la pièce. Nous sommes dupes tout en nous moquant de la duperie. Identification / distance dans le même temps.
C. Richard, un miroir nous est tendu : question du plaisir esthétique. En quoi réside-t-il ?
1. Accepter l’illusion
Peut-être dans la dialectique dont il vient d'être question. C'est peut-être de se laisser prendre sciemment au plaisir de la fiction. C'est faire croire à l'illusion comme réalité. On aime à se faire abuser par la fiction. (cf pacte de croyance avec le lecteur)
Willing suspension of my disbelief.
Par un acte de la volonté, je décide que je vais pendant un instant suspendre ma non-croyance.
Coleridge
2. La complicité avec Richard
Mais, le plaisir peut être plus complexe. Richard s'exprime souvent par apartés et par monologues. Souvent dans le théâtre élisabéthain, usage de ces apartés en raison de la forme circulaire du théâtre et son exiguïté + proscenium (avant-scène) fait en sorte que les spectateurs sont quasiment sur scène. Proximité prononcée des personnages et du public.
Le spectateur devient un complice de Richard et prend donc plaisir à voir comment va se dérouler ce qui vient d'être annoncé. Connivence entre le scélérat et le spectateur dans la mesure où le spectateur a toujours un avantage sur les personnages dupés. Plaisir d'en savoir plus qu'eux. Plaisir de voir comment va se dérouler ce qui a été annoncé.
Cette ironie dramatique suspend la crainte, le spectateur attend que les choses se produisent. Au lieu d'éprouver de la pitié, le spectateur moquera leur aveuglement et leur naïveté.
Par conséquent, l'ironie dramatique opère-t-elle la catharsis ? En privant le spectateur d'une catharsis de la crainte et de la pitié, ne lui fait-il pas ressentir une fascination trouble pour l'horrible ? On devient fasciné par cet horrible dont on devient les complice.
3. Un ars moriendi atténué
Scène du catafalque = tableau de vanité. Lady Anne sollicite le regard de Richard qui doit constater les plaies du roi. Elle sollicite du même coup, notre regard, notre goût du voyeurisme.
Ainsi l’horreur du cadavre du roi est convertie en objet esthétique de sorte que le sentiment d'effroi se transforme en admiration. Trouble de cette scène car cette exposition de cadavre peut évoquer les danses macabres (cf. ars moriendi) qui présentent une scène érotique comme dans la pièce. Evocation de l'acte sexuel "till I lie with you".
Question sur la mort mise en scène. N'est-ce pas une manière de rendre présent ce qui demeure pour nous une pure abstraction ? Dans Apories de Derrida, il écrit que le mot "mort" est impossible à conceptualiser, il n’est que vacuité car on ne peut connaître notre propre mort. C'est une connaissance inconnaissable.
Pour cette raison, le spectacle de la mort exerce sur nous une fascination pour l'interdit, pour l'inconnu. Ne goûte-t-on pas avec volupté l'interdit ? Cela interroge donc le plaisir esthétique situé au bord du malsain.
Conclusion
Baudelaire dans Fusées : « J'ai trouvé la définition du Beau, – de mon Beau. C'est quelque chose d'ardent et de triste, quelque chose d'un peu vague, laissant carrière à la conjecture. »
« Je ne conçois guère (mon cerveau serait-il un miroir ensorcelé ?) un type de Beauté où il n'y ait du Malheur. – Appuyé sur – d'autres diraient : obsédé par – ces idées, on conçoit qu'il me serait difficile de ne pas conclure que le plus parfait type de Beauté virile est Satan, – à la manière de Milton. ». Milton a écrit 4 livres sur Satan pour chanter la gloire de Dieu. Fascination finalement trouble. On serait donc attiré par le mal qui se transforme en beauté.
Jeu d'ombres auquel nous nous laissons prendre alors qu'on nous montre qu'il conviendrait de nous en détacher, expliquant ainsi notre fascination pour le mal.