lundi 4 décembre 2023

Généralités sur les deux mises en scène au programme

 Pour vos introductions, lorsque vous devez présenter l' oeuvre et les mises en scène de Richard III, vous pouvez vous inspirer de ce que je mets en ligne ici: A s'approprier donc

Mise en scène Thomas Ostermeier

Année de création : 2015

« Humain, trop humain »

Il peut paraître étonnant de choisir comme entrée en matière de l’analyse de la mise en scène de Thomas Ostermeier cette traduction d’un titre de Nietzsche, surtout appliquée à ce « monstre » que doit être Richard III. Néanmoins, Thomas Ostermeier aime les contre-pieds, et pas seulement pour le « jeu » (au sens de l’écart entre deux pièces d’une machine, mais aussi au sens de jeu d’acteur) que cela produit, mais parce que cela donne une nouvelle chance au sujet abordé. Et cette nouvelle chance est celle de la compréhension du comportement humain derrière chaque personnage fictionnel. Le célèbre metteur en scène allemand cite souvent Georg Büchner : « Qu’est-ce qui en nous fornique, ment, vole et tue ? » (Büchner, La Mort de Danton, 1835), pour illustrer son interrogation sans cesse renouvelée sur l’être humain. On pourrait aussi citer un extrait de Backstage, son livre d’entretien : « Il y a très peu de metteurs en scène qui s’intéressent à ce qu’est l’homme. » (Ostermeier et Gerhard Jörder, Backstage, L’Arche éditeur, 2015, p. 95). Le cadre est donc posé : ce sera l’humanité de Richard que le spectateur observera, rejoindra, dont il se distinguera parfois – heureusement ! – et qui sous-tendra tout le geste de cette mise en scène. Et Ostermeier se reconnaissant comme politisé et étant en permanence traversé par des interrogations politiques, son Richard III pose aussi une question d’une actualité brûlante : comment la société rend-elle possible l’émergence d’un tel monstre ? Qui est le monstre, au fond ?

 

Thomas Jolly

Année de création : 2015

En 2010, Thomas Jolly s’attelle à un travail colossal : monter la tétralogie de Shakespeare qui raconte la guerre des Deux-Roses (1455-1487). La Tragédie de Richard III en est « la conclusion ».. À travers cette œuvre précisément, celui-ci raconte la trajectoire implacable d’un monstre, instigateur du désordre, difforme mais séduisant. Comment Thomas Jolly se saisit-il de ce personnage archétypal ? Comment le réinscrit-il dans un récit plus large ? Comment, enfin, mêle-t-il les références pour parler à un public contemporain ?

Si l’on réduit l’intrigue à son schéma essentiel, on peut être tenté d’envisager la pièce Richard III comme un jeu de massacre.( Voir jeu video créé en goodies) Pour se rapprocher du pouvoir, Gloucester doit ainsi éliminer tous les prétendants au trône, s’abîmer dans des actes de plus en plus sacrilèges qui sont autant de « niveaux » à franchir dans le Mal. L’esthétique rock, la référence à la pop culture, aux mangas, est pleinement assumée par Thomas Jolly. Ce petit jeu vidéo est sans doute un clin d’œil au public nouveau que le metteur en scène espère faire venir au théâtre. Il participe avec humour au projet plus large de « e-médiation » mis en place par la troupe. La compagnie propose ainsi, en amont du spectacle, de petites formes immersives, des expériences sensorielles comme « RSm3 ». Cette installation plonge le spectateur dans la tanière de Richard, le lieu secret où il fomente ses crimes, encombré de dossiers, d’ordinateurs, de photographies. S’intéresser à ces dispositifs permet d’une part d’entrer dans l’esthétique de la troupe, d’autre part de faire réfléchir à la question de l’action culturelle dans le théâtre public. Enfin, plus largement, on mettra au jour une propension de la création contemporaine à l’hybridation générique et un goût pour l’immersif. Dans une perspective comparable, on pourra s’intéresser aux trois « trailers », ou bandes-annonces du spectacle, qui jouent ouvertement avec les codes des séries ou du cinéma de genre, également accessibles sur le site de La Piccola Familia.

 

Au début de la représentation, Thomas Jolly propose une sorte de prologue. La pièce ne commence pas par le célèbre monologue « Ores voici l’hiver de notre déplaisir » mais par un extrait de la scène 2 de la Troisième partie d’Henry VI. C’est en effet bien dès la pièce précédente que Gloucester fomente son ascension sanglante, se fait « scélérat » pour mieux s’arroger le pouvoir. Dans la note d’intention Thomas Jolly réinscrit Richard III dans un geste de mise en scène plus large. Il s’agit en effet de la « conclusion » du travail qu’il avait initié en 2010. Après cette citation d’Henry VI, le titre, « La Tragédie de Richard III », descend des cintres, la musique évoque celle d’un générique. Le metteur en scène semble adopter alors les codes de la série télévisuelle et donner à voir une scène pré-générique. La captation qui nous est proposée renforce cette impression puisque nous découvrons la distribution selon les mêmes principes. Ce choix audacieux met en lumière deux aspects importants du travail de Thomas Jolly. D’une part, sa version de Richard III est bien le dernier épisode d’un travail plus large, que le spectacle ne cesse d’évoquer. D’autre part, alors même qu’il cherche à proposer une version fidèle aux circonstances proposées par l’auteur, il s’autorise des références contemporaines.