Le rôle du public dans Richard :
Les adresses directes au public
sont multiples au cours de la représentation
Le choix
d’ouvrir le spectacle par le monologue de Richard tiré de l’acte III de la
troisième partie d’Henry VI, au-delà de la continuité qu’il souligne entre les
deux pièces, n’est pas neutre quant à la première perception qu’a le public du
personnage. Par ce choix de texte, Thomas Jolly nous présente un Richard
confessant douloureusement,
face au public, qu’il n’a pas la moindre illusion sur sa personne, souffrant de
ce corps qui lui
interdit les plaisirs de l’Amour (« Je chercherai mon Ciel dans les bras d’une
femme ? (...) Pensée pathétique
! (...) L’Amour m’a renié dès le ventre de ma mère »). Plus encore, par ce
texte, le public comprend que ce sont ses tares physiques qui conduisent Richard à la quête
effrénée du pouvoir (« Eh bien, puisque cette terre ne m’offre d’autre joie que celle de commander,
de réprimer, de dominer quiconque est mieux fait de sa personne que moi, mon Ciel à moi sera de rêver à
la Couronne, et tant que je vivrai de tenir ce monde pour l’enfer »).
Ainsi, le public est d’abord le
témoin des souffrances intimes de Richard avant d’être celui de ses turpitudes,
et ainsi Thomas Jolly
introduit-il les éléments d’une compassion première possible pour son
personnage.
Le rapport au public prend très
vite une tournure plus singulière qu’une simple adresse. Lors des serments
d’amitié demandés par le roi
Édouard IV 5 , Richard, après les avoir scellés en
embrassant ostensiblement
la reine, lord Buckingham,
Dorset, Rivers et Hastings, finit par descendre dans le public et demande à un
spectateur s’il veut bien faire
la paix avec lui, demande à laquelle le spectateur généralement acquiesce, en
acceptant le baiser de Richard.
Et lors de la scène où un
greffier habillé en homme d’Église raconte comment il a été chargé de rédiger
l’acte d’accusation d’Hastings
avant même que ce dernier ne soit inculpé ou interrogé, c’est au public qu’il
s’adresse pour dire « le monde
est corrompu ».
Toutefois, c’est évidemment la
scène 6 où le maire vient visiter Richard
dans sa demeure qui est la plus
éclairante du rôle du public
dans cette mise en scène. Thomas Jolly fait dire au maire, qui s’adresse alors
au public alors que les
lumières de la salle s’allument « Voyez tous ces citoyens qui nous ont devancés
» 7 .
Juste avant, Catesby vient de
raconter à Richard comment il a fait acclamer son nom par « quelques servi-
teurs et apprentis sur commande
» lors d’une assemblée du peuple. Et pourtant, lorsque Richard déclare
« je soupçonne que j’ai commis
quelque offense qui semble déplaire à la cité et que vous venez me repro-
cher mon erreur », Thomas Jolly
fait dire au maire : « oh non, non pas du tout » et se retournant alors vers
le public, il l’invective par
ces mots « dites-le ! dites-le ! ». Le public, témoin de la manipulation, en
devient alors victime
parfois manifestement consentante : il est fort probable que certains
spectateurs aient lancé des
« non » à ce moment lors de la représentation à laquelle auront assisté les
élèves.
Le « nous » utilisé par
Buckingham, que le public sait alors complice des conspirations de Richard,
inclut
dès lors les spectateurs vers
qui il se retourne fréquemment 8 .
Quand
Buckingham, tourné vers le public, profère : « De concert avec les citoyens je
viens émouvoir
votre grâce », le metteur en
scène Thomas Jolly fait alors intervenir un personnage qui n’est pas présent
dans le texte de Shakespeare,
un citoyen dont le rôle est confié à l’actrice interprétant précédemment
Marguerite et que les élèves
auront sans doute reconnue malgré le changement de costume, aux cris de :
« Non ! Non ! Tous les citoyens
ne sont pas de concert. Usurpation ! Usurpation ! Il n’est pas légitime. (...)
Manipulation politique ! » Un
nouveau complice de Richard intervient alors, surgissant du public et affirme
(en s’adressant à Richard) : «
Vous dites qu’Édouard que notre courtoisie appelle le prince est le fils de
votre frère, Nous (se
retournant alors vers le public), nous le disons aussi, Oui ? » et il
interpelle alors le public pour lui faire dire « oui » avec lui. Il enchaîne alors « prenez pour
votre royale personne le bénéfice de la dignité qui vous est offerte, (et en s’adressant au public
par des mots qui une fois encore n’apparaissent pas dans le texte original) sinon pour nous votre
peuple, du moins pour ramener votre noble lignée dans la voie de la succession véritable ».
Tous, Buckingham, Ratcliffe et le maire, se retournent alors vers le public
qu’ils convient à applaudir, et
nombre de spectateurs se prêtent à ces applaudissements de bonne grâce.
Puis c’est au tour de Catesby
de surgir au cœur du public, qui affirme « Eh bien sachez-le, que vous
acceptiez ou non notre
requête, le fils de votre frère ne sera jamais roi, nous planterons quelque
autre sur le trône pour
la disgrâce et la ruine de votre maison ; et dans cette résolution nous vous
quittons. (Et s’adressant alors aux spectateurs autour de lui) Venez, citoyens, citoyennes,
levons-nous, nous vous quittons ».
Richard fait mine alors de
céder à la demande. Avant qu’il ne réapparaisse à l’avant-scène, le maire
demande aux spectateurs «
accueillez-le comme il se doit, agitez les fanions (...) prenez les écharpes »
et
de fait, certains spectateurs
s’exécutent. Et sa réapparition est accueillie par une salve d’applaudissements
des spectateurs.
Le concert qui marque la scène
du couronnement constitue l’apogée de ce parcours de manipulation.