Dans la forme que nous créons avec Serge nous insistons beaucoup sur l'acte III et la manipulation politique à l'oeuvre: Il faudra être capable d'expliquer lors de l'entretien à l'oral.
Richard III offre au public la perspective des coulisse. L’idée se rattache à une analyse sur le pouvoir comme effet de spectacle, et sur la représentation des grands comme des hommes faibles et finalement sans mystère, mais la perspective des coulisses est dramaturgiquement très concrète dans Richard III ; le moment le plus éclatant de ce point de vue est la séquence des scènes 4 à 7 de l’acte III, qui correspond au coup d’État de Richard. Cette séquence fait se succéder le conseil de gouvernement, entièrement truqué et à l’occasion duquel il piège Hastings (III, 4), le conciliabule de Richard et Buckingham qui se proposent de « contrefaire le grave tragédien » et de feindre la terreur pour tromper leurs ennemis et apparaître comme des victimes (« counterfeit the deep tragedian », III, 5, v. 5), la tentative pour obtenir l’adhésion des citoyens à Guildhall par des calomnies sur le défunt roi (tentative qui fait l’objet d’un récit de Buckingham en III, 7) et, pour achever la prise de pouvoir, la mise en scène de Baynard’s Castle où Richard, depuis la galerie et devant le maire, feint la dévotion la plus pure et le refus de la couronne (III, 7).
Cette séquence est un moment essentiel dans la conquête de la couronne par Richard. Il élimine un adversaire de poids : Hastings, qui s’oppose à son couronnement ; il le condamne sans procès et s’arroge donc le pouvoir de juger, fonction régalienne par excellence ; à la faveur de cette condamnation, il demande aux grands de choisir et il obtient leur soutien – il est vrai, au moins autant par la force que par la ruse puisque tout ceci se déroule en présence de gardes dont le pouvoir d’action est manifeste puisqu’ils viennent d’arrêter Hastings.
Shakespeare double constamment la scène – qui est donc celle de l’histoire – par les préparatifs de Richard et Buckingham, par les apartés qui font fonctionner le piège, par l’explicitation de leurs stratagèmes, et par la préparation dramatique et physique des deux protagonistes comme des comédiens, moment finalement assez comique et burlesque introduit par la didascalie : « Enter Richard and Buckingham, in rotten armour, marvellous ill-favoured » (III, 5 ; « Entrent Richard et Buckingham, en armure rouillée, l’air prodigieusement piteux »). Par ailleurs, le lexique du théâtre, dans des usages plus ou moins figurés, revient sans cesse (tragédien, jouer, réplique, rôle, etc.).
Les spectateurs se trouvent donc bien simultanément face à la scène des événements et dans les coulisses du théâtre de Richard, autrement dit dans les coulisses du pouvoir. Un tel dispositif apparente la pièce historique à un dévoilement : le public peut voir ce qu’il y a derrière les apparences des rituels et des spectacles politiques. Il y a là un autre aspect de ce que l’on peut appeler la « politique tragique » de la pièce : proposer une histoire parallèle.
La pièce nourrit la fascination pour le pouvoir, en particulier par le truchement de ce personnage flamboyant et séducteur qu’est le duc de Gloucester. Mais elle tend simultanément à construire une distance critique vis-à-vis du pouvoir et, partant, de l’histoire. Deux éléments, parmi d’autres, vont dans ce sens. Le premier est une remise en cause implicite du savoir-faire politique de Richard. On le sait, on peut voir en Richard une incarnation du prince machiavélien qui use de la ruse et de la force (Kott 1962, entre autres). Mais il est loin d’être un prince machiavélien parfait et il était bien présomptueux de dire dans la troisième partie d’Henry VI, à la fin du long monologue qui le lance à la conquête du pouvoir : « I can […] set the murderous Machiavel to school » (III, 2). En effet, le piège tendu à Hastings est grossier et ne fonctionne vraiment qu’à la faveur de la faiblesse des grands ; en outre, Richard ne fait guère illusion, sinon auprès du Maire, puisque les citoyens refusent de l’acclamer ; surtout, il ne sait pas garder le pouvoir, ce qui est la pierre de touche du prince accompli pour le penseur florentin.
D’où le deuxième élément qui participe de la vision critique portée par la tragédie de Shakespeare : la pièce suggère que le pouvoir, ou la maîtrise de celui-ci est une illusion. À l’illusion sur soi du personnage tragique, s’ajoute l’illusion sur l’objet convoité par le protagoniste. Car la couronne ne suffit pas à son contentement, notamment parce qu’il a investi la conquête du pouvoir d’un enjeu narcissique, le trône devant fonctionner comme substitut de l’amour dont il est privé (3H6, III, 2). Richard en effet ne détient pas vraiment le pouvoir et il le dit lui-même à Buckingham, à la scène 2 de acte IV : « I say I would be king » (IV, 2, v. 12 ; « je dis que je voudrais être roi »). Plus loin, dans la scène 4 du même acte, il s’égare dans les ordres qu’il donne à Ratcliff et Catesby, et change d’avis sans raison (IV, 4, v. 439-455) : si le pouvoir est d’abord le pouvoir de faire advenir les choses, si pouvoir c’est ordonner – et dans tous les sens du terme –, alors le pouvoir de Richard est une illusion. La tragédie shakespearienne livre ainsi deux enseignements, ou du moins deux considérations sur la politique et, du coup, sur l’histoire politique : le pouvoir est une machine à fantasmes ; le pouvoir ne se détient pas, il s’exerce ; aussi, toute histoire centrée sur la sphère du pouvoir manque quelque chose d’essentiel si elle ne sait pas montrer cela, ou si elle n’en tient pas compte.