Après avoir manipulé l’opinion publique, le Maire de Londres et les spectateurs du théâtre, Gloucester devient enfin Richard III. Thomas Jolly donne à voir les célébrations de ce couronnement en ajoutant un intermède musical.
Le texte de la chanson reprend précisément des passages clés de la pièce.
Le couplet « To take is not to give » est une réplique de Lady Anne dans la scène 2 de l’acte I.
Le principe des métaphores bestiales et dégradantes que l’on assène à Richard dans l’ensemble de la pièce est réutilisé avec humour par le personnage, qui se délecte de son statut de « monstre ».
Lors du concert, à la manière d’une rock star, Thomas Jolly sollicite le public, qui se laisse prendre au jeu. De même que nous avons participé à son élection lors de l’acte III, scène 7, à l’instar du maire fantoche, nous participons aux festivités du couronnement. Ce dispositif fait écho à celui proposé par Shakespeare à plusieurs reprises. La pièce est en effet ponctuée de monologues dans lesquels Richard s’adresse directement aux spectateurs. Richard y dévoile ses plans, les prend à témoin de ses qualités d’orateur, les effraie et les fait rire. Il les piège et les place dans une position moralement inconfortable : ils sont du côté du méchant, du « monstre ». Notons enfin que les pièces de Shakespeare se terminaient très souvent par une « jig », un moment de danse partagé avec le public. Cette tradition est reprise à l’heure actuelle au New Globe Theatre de Londres. Thomas Jolly mêle les références et propose, lui aussi, un moment de partage festif avec le public ; mais ce moment raconte aussi l’avènement d’un tyran. Nous pouvons finalement tous nous laisser prendre au piège d’un démagogue.
Texte de la chanson du concert d’intronisation, I’m a dog (début à 02:19:21)
I have no brother I am like no brother
I have that nither pity, love nor fear
Oh Jesus, bless us I was born with teeth
Down, down to hell and suy I sent thee hither
To take is not to give
To take is not to give
To take is not to give
To take is not to give
All seeing heaven, what a world is this?
Who is so gross that cannot see this, palpable device?
Yet who so bold but says he sees is not?
Bad is the world and all will come to nought.
Refrain
I am a dog
I am a toad
I am a hedgehog
A foul stigmatic
Lizard’dreadful stings
I am a dog
I am a toad
I am a hedgehog
A bottled spider
I am a monster
(repris par le public)
I am a dog
I am a toad
I am a hedgehog
A foul stigmatic
Lizard’dreadful stings
Source : Thomas Jolly d’après le texte Richard III de William Shakespeare
Les paroles de cette chanson qui vient clore la première partie du spectacle (fin de l’acte III) sont tirées de différentes scènes qui précèdent. Ainsi « to take is not to give » est une phrase prononcée par lady Anne quand elle tombe sous le charme de Richard au début de l’acte I, les questions que Richard III prononce après avoir interpellé le public par ces mots en le pointant du doigt : « You choose me as your king, I have some questions » (All
seeing heaven, what a world is this? Who is so gross that cannot see this, palpable device? Yet who so bold but says he sees is not? Bad is the world and all will come to nought) sont celles posées au public lors de la scène du greffier.
En pleine interprétation, la musique s’arrête brusquement et Richard demande au public, qui approuve bruyamment « Are you still with me? », avant de reprendre, puis à nouveau il s’interrompt pour inviter le public, qui rythme la musique de ses applaudissements, à reprendre le refrain avec lui.
À la fin de la chanson, un personnage à moitié nu, à tête de sanglier, symbole de Richard, vient à l’avantscène, se tourne dos au public à qui il montre ostensiblement son fessier avant de lui faire des doigts d’honneur. Ainsi le public est-il renvoyé à sa complicité coupable dans l’ascension de Richard au trône, et le peuple – rôle que la mise en scène de Thomas Jolly a fait jouer aux spectateurs –, à l’accession d’un homme au pouvoir dont il sera au final la victime.
Cependant, de même que son emprise sur les hommes et les femmes se perd peu à peu une fois qu’il est roi, de même le caractère privilégié de son lien avec le public finit par être remis en question par les choix mêmes de mise en scène. L’analyse des relations établies avec le public lors de l’acte V est à cet égard éclairante :
c’est directement au public que Richmond, alors seul en scène, s’adresse quand il apparaît à l’acte V avec ces mots : « Compagnons d’armes, et mes très dévoués amis, meurtris sous le joug de la tyrannie 9 ». C’est encore au public qu’il déclare au moment de lancer la bataille : « (…) Bien-aimés compatriotes, souvenez vous de ceci : Dieu et notre bon droit combattent à nos côtés. » Et si Richard enchaîne en apostrophant ainsi directement les spectateurs : « N’oubliez pas qui vous devez affronter : une horde de vagabonds, de crapuleset de pleutres, écume de Bretons, misérables bouseux », c’est vers le public que Richmond, après la mort de Richard, se tourne une dernière fois pour dire « À présent nos blessures civiles sont fermées, la paix revit ».