samedi 13 avril 2024

Marguerite dans Richard III: pistes d'analyse ( Cours du mercredi 10 janvier)

 

Dans Richard III de Shakespeare, Marguerite d’Anjou, épouse d’Henri VI, ressuscite d’entre les morts et hante la scène de ses rivaux. Telle un fantôme, elle apparaît comme une vision surnaturelle du passé, et est qualifiée de « pauvre mortelle vivante » par la duchesse d’York qui voit en Marguerite une figure fantomatique. Elle fait certainement écho à la perte dynastique ; elle hante la cour des York, ne peut entreprendre aucune action, et attend plutôt comme une ombre maudite réclamant vengeance pour le meurtre de sa famille. Sur scène, elle peut ressembler aux fantômes qui rendront plus tard visite à Richard III et le maudiront. Margaret n’est pas un fantôme, et pourtant elle l’est. La question est de savoir si son apparition peut être classée parmi les visions similaires. Cet article examine la nature et la fonction des apparitions de Margaret en tant que scènes fantomatiques, qui ne sont pas sans rappeler celles d’une tragédie de la vengeance, et montre qu’elle peut être considérée comme une figure fantomatique.

le costume de Marguerite chez Thomas Jolly ainsi que son antre que l’on découvre alors qu’elle s’apprête à quitter l’Angleterre pour la France.

Dans Richard III, le personnage de la reine Marguerite incarne la mémoire du règne d’Henry VI et de ses turpitudes, dont elle se nourrit pour proférer ses diverses malédictions, et Thomas Jolly, par ses choix de mise en scène, souligne son aspect de gardienne des souvenirs d’Henry VI. Son costume est à cet égard révélateur :

elle porte la veste de son fils assassiné, dont un portrait apparaît dans son antre que l’on découvre dans la deuxième partie du spectacle (acte IV, scène 4). Elle porte un pantalon de cuir et ce qui pourrait passer pour de multiples colliers, mais des colliers constitués de chaînes, vestiges épars de sa tenue de guerrière que l’on voit apparaître à l’écran lors de la scène des malédictions. Dans son antre, elle conserve également d’autres traces du règne d’Henry VI : son ancienne couronne, qu’elle porte une dernière fois au moment du départ,un gigantesque astrolabe, qui trônait dans la salle du Conseil de son défunt mari, ou encore une perruque bleue, qui n’est autre que la chevelure de Jeanne d’Arc dans le Henry VI de Thomas Jolly.

Chez Thomas Ostermeier, Marguerite est jouée par un acteur masculin.

 

Margaret d’Anjou, la veuve du roi Henry VI, joue un rôle crucial dans l’histoire. Elle est une figure de la vengeance et de la malédiction, maudissant ceux qui ont causé la chute de sa famille. Son personnage apporte une dimension tragique à l’histoire et met en évidence les conséquences des actions passées.

 Les malédictions de Marguerite

Arrive Margaret, reine déchue, exilée, mais qui fait retour sur scène - retour de l’exclu, de l’exilé de soi, de l’histoire de soi ? - pour « casser » Richard, d’abord en « voix off » puis directement. Là encore, donnons la parole à William Shakespeare pour relever quelques passages particulièrement significatifs dans l’acte II.

Margaret en voix off.


« (à part) Un abject assassin que tu es toujours »…

« (à part) Fuis de honte en enfer et quitte ce monde

caco démon : là bas est ton royaume »…

Margaret en direct.

« Que le ver de ta conscience ronge toujours ton âme

Tant que tu vivras, soupçonne tes amis d’être des traitres

Et prend les pires traitres pour tes plus chers amis

Que jamais le sommeil ne ferme cet œil assassin »…

« Toi qui fut marqué à ta naissance

Comme esclave de la nature et fils de l’enfer

Toi flétrissure des entrailles de ta mère affligée

Toi rejeton exécré des reins de ton père

Toi guenille de l’honneur, toi détesté… »

La malédiction de Margaret retombe sur Richard qui tente de retourner la situation dans un jeu de miroir où Margaret serait l’objet de ses propres anathèmes, en essayant, par l’interjection du nom de celle-ci habilement glissée au milieu du torrent de malédictions qu’elle profère, comme si celle-ci la désignait elle et non Richard. Mais c’est peine perdue, les malédictions ont produit leur effet, et l’intervention de Margaret « casse » l’embellie que la séduction d’Anne avait permis d’espérer. 

Les malédictions de Margaret portent sur l’origine de Richard - « Toi flétrissure des entrailles de ta mère affligée, Toi rejeton exécré des reins de ton père » - elles désignent un rejet primaire, originaire. En voix off Margaret traite Richard de « caco démon » c’est- à-dire « sac de merde » ou quelque chose d’approchant. J. Hopkins a pu souligner que les enfants ayant subi un rejet corporel maternel primaire s’éprouvent comme un sac rempli de merde. Margaret adhère sans doute à cette hypothèse qui relie à la fois le rejet parental   et le « caco démon » Richard III. Mais le narcissisme négatif de Richard III commence à se préciser plus, certes il est laid, mais après tout, un bébé laid peut être « beau » pour sa mère et elle peut le regarder avec ce regard émerveillé qui signe la maternité. Margaret, ici présente comme une forme de substitut maternel, indique que ce ne fut pas le cas et propose la « construction originaire » d’un rejet corporel maternel primaire. C’est le rappel de celui-ci qui « casse » Richard et annihile les effets de la séduction d’Anne. Richard retombe dans sa position existentielle de départ. Margaret participe aussi à la valse des retournements dont la tragédie est peuplée, traîtres et amis se retournent l’un dans l’autre, rien n’est fiable, Richard est seul, il doit se méfier de tous, et cette solitude le renvoie à son statut d’exception. Solitude, absence de confiance et statut d’exception vont ensemble, les trois termes s’appellent l’un l’autre, ils forment la matrice de l’impasse narcissique de Richard.

Le troisième acte montrera toute la criminalité et la fourberie de Richard dans sa quête progressive du pouvoir mais aussi dans la solitude qui l’accompagne et dans laquelle il s’enferme, il « agit » les malédictions de Margaret, confirme qu’il est bien « caco démon ».