Dans la préface du Mariage de Figaro, Beaumarchais rappelle que la « loi première » de l’art théâtral n’est autre que d’« amuser en instruisant ». Et c’est bel et bien ce que le dramaturge tente de mettre en œuvre dans sa pièce. Sous le prétexte d’une intrigue apparemment et simplement badine, bon nombre de questions sociales complexes apparaissent.
Beaumarchais signe une œuvre théâtrale engagée, où le plus fripon des domestiques triomphe des injustices des maîtres : le mariage forcé dans Le Barbier de Séville, le droit de cuissage dans Le Mariage de Figaro, et le sort des enfants illégitimes dans La Mère coupable.
la mise en scène de Jean-Pierre Vincent au théâtre de Chaillot (1987)
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Analyse de l'acte 1 scène par scène
Acte 1 scène 1 : l’ouverture dans la mise en scène de Jean-Pierre Vincent est progressive et les acteurs viennent des coulisses : le spectateur entend et voit la musique jouée sur scène, voit Figaro puis Suzanne entrer en scène. Un rideau de gaze se lève peu à peu pour dévoiler l’espace scénique et les personnages.
vaste espace scénique, décor de Chambaz, fond de scène marbré avec une ouverture, giclure de peinture aussi, espace pas tout à fait terminé? matin de la folle journée. inquiétude quant au mariage de la part de Suzanne, le Comte semble avoir renoncé à sa promesse de ne pas pratiquer le droit de cuissage.
Le lit tient une place centrale dans la mise en scène de Jean-Pierre Vincent : il est quasiment au centre du plateau et les acteurs sont dessus tout au long de la scène. Scène dans la scène.La question de la sensualité et du désir sont au cœur de la pièce dans cette mise en scène. Noter aussi les draps pliés, le trousseau de Suzanne,dont on devine qu'ils seront utilisés, à cour la malle, le mannequin de couture. Suzanne occupée à préparer sa toilette de mariage, Figaro qui mesure la chambre, début in medias res, par des actions concrètes qui donnent du jeu. jeu très vif et enlevé, André Marcon joue le mot sur "plonger" plonge le regard dans le décolleté de sa promise, dispute de couple, l'un est content de la chambre fournie par le Comte l'autre devine les intentions du Comte. Décolleté pigeonnant de Suzanne qui la rend particulièrement accorte, postures qui mettent en valeur la poitrine dans l'intimité de la chambre bientôt conjugale, jeux de mains dans la dispute, atmosphère de comédie: allusion au cocuage, les cornes sur le front, le petit bouton qui pousse.
Acte 1 scène 7 Suzanne-Chérubin
On peut supposer que les piles de draps correspondent au trousseau du couple Suzanne /Figaro qui doit se marier ce soir et dont le lit vient d’être donné par le Comte. On peut aussi penser que la chambre du jeune couple est une simple réserve où l’on conserve le linge du château. Ici, Suzanne jette les draps à cour et à jardin pour passer sa colère contre Marcelline qui vient de sortir. D’un point de vue dramaturgique, les draps défaits et éparpillés dans l’espace sont à l’image du mariage annoncé qui semble menacé. Mais c’est aussi l’éclatement des amours de la pièce et des multiples sous-intrigues annoncées dans cet acte d’exposition où se succèdent les entrées des différents personnages de cette « folle journée ». Le jeu avec les draps rend visible la colère du personnage en la faisant exister dans l’espace ; il permet d’intensifier les intentions du texte, de fabriquer de l’énergie, ce qui est le propre de la mise en scène. Les draps éparpillés seront remobilisés un peu plus loin, quand Suzanne les repliera.
Dans sa préface à sa propre pièce, Beaumarchais écrit à propos des acteurs : « Il est important de conserver les bonnes positions théâtrales ; le relâchement dans la tradition donnée par les premiers acteurs en produit bientôt un total dans le jeu des pièces, qui finit par assimiler les troupes négligentes aux plus faibles comédiens de la société. » Pour ce faire, la partition didascalique de Beaumarchais est chargée d’intention, de geste et de déplacement sur laquelle Jean-Pierre Vincent et ses comédiens vont s’appuyer. Comme le dit Dominique Blanc dans Chantiers, je (p. 61), « Il fallait jouer vite, c’était très important ». Mais la rapidité n’empêche pas la clarté de chaque réplique, ni la motivation des gestes et des déplacements. Le très grand plateau de Chaillot impose une occupation de l’espace par l’énergie et le mouvement.
Etude du texte, particulièrement la réaction de Suzanne à la déclaration de Chérubin (« De me voir moi ? C’est mon tour ? Ce n’est donc plus pour ma maîtresse que vous soupirez en secret ? »). Comment Dominique Blanc l’interprète-t-elle ?
la comédienne joue distinctement les trois temps de la réplique. La
précision du jeu fait exister clairement les intentions, les gestes, les
adresses pour déplier le texte écrit et faire résonner toute sa
richesse sémantique. Cependant, sur le deuxième temps, Dominique Blanc
ne marque pas l’interrogation. À l’inverse, elle fabrique un aparté
d’autosatisfaction heureuse avec un accent gouailleur (« C’est mon
tour... ») que la suite va vite refroidir. Le jeu de la comédienne donne
à la réplique une profondeur qu’une simple lecture ne saurait offrir,
enrichissant ainsi le personnage de Suzanne. ( à suivre)