Extrait
: Phèdre, Acte I scène 3 (L’entrée de Phèdre et le premier aveu à Oenone)
https://www.cyrano.education/content/phedre-53430
Je ne l’ai pas revu souvent. Ça me bouleverse et ça me rappelle Chéreau . Ça a
été une rencontre magnifique et il me manque. Mais je suis fière de ce travail
et de cette trace. C’est Chéreau qui a organisé tout cela, pour qu’il y ait une
captation. Et cela a été très bien filmé, avec quatre caméras de chaque côté,
sur plusieurs représentations.
La veille de la première représentation, comme Chéreau et moi avions une sorte
de peur, nous avons bu ensemble et nous sommes arrivés avec le casque.
Il y a eu six mois de représentation avec un seul jour de relâche par semaine.
C’était très dur. Comme on savait qu’on participait à quelque chose
d’exceptionnel, on a accepté de mener une vie quasi monastique. Le matin, je
faisais des italiennes en boucle. J’arrivais au théâtre toujours très tôt. Il y
avait parfois déjà la queue avec des spectateurs qui voulaient absolument voir
la pièce. À 17H, je mangeais un bol de riz pour les féculents. Ensuite, ça
n’était que concentration. J’avais également décoré ma loge et chez moi j’avais
affiché des planètes pour avoir l’idée des Dieux en tête.
Lorsque Phèdre arrive, elle est déjà détruite et dans un désir de mort. Dans
cette représentation Hippolyte est sur scène, présent alors qu’il pourrait ne
pas y être. C’est un vrai choix.
Pour préparer la pièce, Chéreau m’avait donné à lire L’Univers, les dieux, les
hommes, de Jean-Pierre Vernant. Chéreau voulait appuyer l’idée d’un désir de
mort chez Phèdre. Souvent, on parle pour elle de passion funeste… mais c’est
plus que cela car elle entre en disant que la mort pourrait être pour elle un
soulagement.
Chéreau voulait aussi que j’aie l’idée des Dieux en tête. Barthes avait fait
une critique très dure de Maria Casarès jouant Phèdre en disant qu’elle
oubliait les dieux. J’avais envie de lui rendre justice avec ce parti pris du
divin, là-haut.
Le premier jour où l’on a joué dans les décors, Chéreau m’a accompagnée à la
petite porte par laquelle j’entre. C’était une sorte d’encouragement : « tu
peux le faire. » Sur Phèdre, il a toujours régné un climat d’une grande
douceur, avec beaucoup de concentration.
Il y a eu un peu de stress aussi car on devait jouer en janvier et pendant les
vacances de noël on a appris que la comédienne jouant Oenone se désistait. Mais
Chéreau a trouvé une comédienne formidable.
Ici l’espace est très particulier. Un espace bi-frontal, un sol en béton. Il y
avait chez Chéreau une immense excitation à l’idée de créer ce nouvel espace de
théâtre au cœur de Paris, en transformant d’anciens entrepôts (des décors de
l’opéra). Avec les Ateliers Berthier, Chéreau parvient à faire un second
théâtre de l’Odéon.
Chéreau décide très vite d’un espace bi-frontal. Vous entriez et certains
spectateurs étaient vraiment très proches. Mais il y en avait aussi placés
beaucoup plus loin, au fond du gradin. On a du mal à imaginer l’ampleur de
l’entrepôt et l’ampleur du gradin. Cela posait la question : comment jouer dans
un espace aussi immense avec ces costumes aussi simples ?
La pièce est en alexandrins. C’est de l’or brut, un trésor national que les
anglo-saxons nous envient. J’avais connu le travail sur l’alexandrin avec
Célimène dans le Misanthrope de Vitez. Mais là c’était ma première tragédie.
Pour Chéreau aussi. Donc il y avait tout à inventer. Un jour, il est venu chez
moi, ce qui était très rare car il était intimidé par les enfants. J’étais en
train d’écouter Ella Fitzgerald et je lui ai dit que l’alexandrin c’était ça,
que c’était du scat, du rythme. Il m’a regardé car lui ne voulait pas de
musicalité, de ponctuation. Lui, ce qu’il voulait, c’est aller droit au sens.
Faire passer le sens avec/malgré cette langue très ouvragée. Chéreau se battait
beaucoup avec ceux qui avaient une façon très classique de l’aborder : Quel est
le sens ? Quelle est la situation dramatique ?
Quand la pièce commence, les spectateurs sont encore en train d’arriver. Ils
sont encore en train de s’asseoir, d’enlever leur manteau, quand les deux
comédiens surgissent des gradins. Il y avait cette idée que le début est
difficile à comprendre et que ce n’est qu’ensuite que le vrai sens arrive.
C’était un moyen d’arriver plus vite à la vraie signification.
Pour Phèdre, je n’avais pas vu de mise en scène. J’avais travaillé la pièce
chez Florent. Si, j’avais vu la version avec les costumes de Christian Lacroix
(https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab95064535/phedre). D’ailleurs la
pièce avait dû être arrêtée car des gamins s’envoyaient des messages pendant la
représentation et c’était insupportable).
J’avais lu un livre dans lequel étaient répertoriées toutes les mises en scène
de la pièce. C’était précieux. Cela permet de dire : ça on ne fait pas car ça a
déjà été fait.