mercredi 3 avril 2024

Angels in America: cours du mercredi 3 avril

 (Horizon d'attente sur Anaïs au Miroir proposé par Flavie)

Lecture du début de la lettre aux acteurs écrite par Arnaud Despleschin ,sorte de notes d'intention partagée qui développe la façon dont le metteur en scène perçoit le texte de Kushner:  à finir. nous en discuterons un peu dès lundi. Lettre qui figure dans le programme de salle de la comédie française

Site de la Comédie Française à explorer 

Dominique Blanc dans Angesl in America: 6 rôles:

Le Rabbin Isidor Chemelwitz, Henry, Hannah Pitt, Ethel Rosenberg, Alexis Antédiluvianovitch Prelapsarianov et l’Ange Asiatica

Angels – Salle Escande n’est pas une captation du spectacle Angels in America mis en scène par Arnaud Desplechin, mais plutôt une adaptation pour la télévision tournée dans une salle de répétition (salle Maurice Escande) reproduisant les dimensions exactes du plateau de la Comédie-Française. Ici les comédiens ne jouent pas pour le public de la salle Richelieu : c’est l’œil de la caméra qui est le maître. Il est important de le rappeler car, des trois spectacles au programme, c’est le seul où le public – donc le théâtre – est absent.

La réalisation d’Arnaud Desplechin épouse les grandes lignes esthétiques de sa mise en scène. Cependant, la liberté offerte par les placements de caméra, le montage, les gros plans, et la reprise du jeu contredisent l’essence même du théâtre, cet art du présent, ce « sport du regard » (Anne Ubersfeld, L’École du spectateur, Éditions sociales, 1981, page 303), cette rencontre éphémère entre le souffle des comédiens et le souffle des spectateurs. Dès le générique, en dévoilant le dispositif en cours, Arnaud Desplechin va jouer avec la singularité de son objet filmique et refuser la pleine illusion cinématographique comme la vaine illusion d’un spectacle filmé.

Dans le parcours de Dominique Blanc, Arnaud Desplechin est lié indirectement à l’univers de Patrice Chéreau. On sait combien Hôtel de France (1987), adaptation cinématographique du Platonov de Tchekhov, a pu marquer le futur cinéaste tout juste sorti de l’IDHEC - notamment l’énergie collective de ces jeunes comédiens issus de l’école du théâtre des Amandiers de Nanterre. Desplechin s’en souviendra, en employant plusieurs d’entre eux dans son premier moyen-métrage La Vie des morts (Marianne Denicourt, Thibault de Montalembert). Par la suite, ses films se singulariseront aussi par cette fidélité à certains comédiens, tel un metteur en scène fédérant une troupe (Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric, Catherine Deneuve, Jean-Paul Roussillon). Comme François Truffaut, Desplechin croit en l’acteur-créateur, déclarant par exemple que Deneuve n’est pas seulement une grande comédienne mais « un des plus grands auteurs français » (Catherine Deneuve et Arnaud Desplechin, Une certaine lenteur. Entretien, Payor & Rivages, 2010, p. 12).

Dans Chantiers, je, Dominique Blanc raconte longuement sa rencontre avec Arnaud Desplechin, son travail avec lui sur les différents rôles d’Angels in America. Desplechin fait partie des cinéastes avec lesquels Dominique Blanc souhaitait travailler. Elle exprime sincèrement le regret de ne pas avoir osé lui exprimer ce désir plus tôt dans sa carrière, alors qu’elle découvre son premier long-métrage, La Sentinelle, à sa sortie. Mais, pour sa deuxième mise en scène de théâtre à la Comédie-Française, c’est la pièce de Tony Kushner qui va les réunir. Desplechin lui apportera différentes ressources (films, livres, rencontres) pour construire et nourrir des personnages aussi différents que le rabbin, le médecin ou Ethel Rosenberg. Éléments de costumes, accents, cadre historique : Arnaud Desplechin va l’accompagner dans ses différents rôles, de la table au plateau.

 

La scène du Rabin Isidor: première scène de la pièce:

Cette scène, la première de la pièce, montre l’éloge funèbre de Sarah Ironson, la grand-mère de Louis, un des personnages centraux de la pièce, par le rabbin Isodor Chemelwitz. Véritable gageure, cette scène est une singulière scène d’exposition interprétée par une femme qui joue un homme.

L’espace dans lequel les comédiens évoluent apparaît comme un espace hybride:On constate vite que nous nous trouvons au début d’Angels – Salle Escande dans un espace ambigu puisqu’il est à la fois une coulisse ou une salle de répétition (on voit au premier plan des comédiens se préparer à une grande table) et un espace de jeu puisqu’on voit entrer le personnage du rabbin à jardin. Cet effet de distanciation, rendu inévitable par les conditions de la captation du projet, répond par ailleurs aux suggestions brechtiennes de Kushner quant à la mise en scène de sa pièce (dont l’inversion des genres ou les changements de décor à vue font aussi partie).

La scène correspond à l’ouverture de la pièce. Dans le film d’Arnaud Desplechin, l’espace est plus épuré encore (absence de rideau et d’assistants) que dans sa mise en scène salle Richelieu. Néanmoins quelques indices nous sont donnés pour comprendre que nous sommes dans une synagogue au moment d’un service funéraire. Le cercueil (couvert d’un châle et d’une bougie rituels) qui occupe le centre de la scène ne laisse aucun doute à ce sujet. L’espace est par ailleurs complètement épuré et permet ainsi au discours de se déployer et de résonner. 

L’apostrophe du début du monologue du rabbin fait apparaître un public imaginaire : dans le film, les comédiens Michel Vuillermoz et Clément Hervieu-Léger ; au théâtre, le public de la Salle Richelieu. La scène joue son rôle d’exposition en cela qu’elle pose la mort et l’identité, et au-delà peut-être la perte comme thématiques centrales de la pièce. Même si le rabbin ne refera qu’une seule autre apparition dans toute la pièce p33 scène 5, le choix de Kushner est donc fort à plusieurs titres .

Le travail sur le costume est important dans cette scène: Le costume, les lunettes désuètes, les mitaines, et le travail sur le maquillage, la perruque, la barbe et les papillotes postiches sont, pour Dominique Blanc, un élément essentiel de la construction d’un personnage à tout point de vue éloigné d’elle. On reconnaît ainsi tous les éléments du costume religieux traditionnel d’un rabbin : le chapeau, le long manteau noir, le châle de prière (ou talit), les franges (ou tsitsit).

On peut parler à propos de la distribution du rôle du rabbin d’un véritable contre-emploi pour Dominique Blanc

Dès le départ, Kushner avait choisi que le personnage du rabbin serait joué par une femme qui prendrait en charge indifféremment rôles masculins et rôles féminins. La conséquence en est là encore un immédiat effet de distanciation. Le rabbin est, on l’a vu, à la fois extrêmement réaliste et en même temps traité avec du recul. En ce sens, la pièce se donne explicitement à nous comme une fiction – un peu à la manière dont interviennent les éléments surnaturels. Le thème du travestissement et plus largement de la recherche de son identité est bien entendu aussi au cœur de la pièce.

Dans cette scène d’éloge funèbre, le jeu de Dominique Blanc souligne bien l’incessant balancement entre comique et tragique, qui devient, dès les premières minutes du spectacle la double tonalité de toute la pièce. Le rabbin campé par Dominique Blanc fait preuve de spiritualité dans les deux sens du mot : le rapport à la foi et à l’au-delà, une certaine ironie (la plaisanterie sur le prénom Éric, la référence au « dernier des Mohicans ») que les modulations de la voix de la comédienne font parfaitement sentir.

La posture (mains croisées, dos voûté, gestuelle limitée), la lenteur des déplacements permettent aussi de composer un rabbin crédible. L’accent yiddish, l’aggravation de la voix et le débit ralenti, particulièrement travaillés par Dominique Blanc à partir d’enregistrements sonores, afin de ne donner en aucun cas dans la caricature, lui permettent de renforcer encore le réalisme, la sincérité et la profondeur du personnage.

Détaché du reste de la pièce, le discours du rabbin sera nécessairement à lire comme une méditation symbolique : les questions de spiritualité, d’empathie, de sincérité, de mémoire et d’identité sont soulevées de manière particulièrement brûlante au moment de la mort, et ce sont ces questions que soulève lui aussi le texte. Par ailleurs, la thématique de la mort inévitable donne à cette pièce sur le sida, sa dimension tragique.

Les références artistiques

Au sujet de la construction de son personnage et selon la méthode qu’elle a pris l’habitude d’appliquer, Dominique Blanc évoque un important travail autour de photographies et de films.

Dominique Blanc a aussi été orientée par Arnaud Desplechin vers le film d’Emmanuel Finkiel, Voyages (1999) qui suit le destin de trois femmes juives sur les traces de leur passé : le film a notamment permis à la comédienne de travailler sur l’accent yiddish. bande Annonce

Pour ce qui est de la thématique des migrants d’Europe de l’Est et de leur arrivée aux États-Unis, le documentaire et le livre de Georges Perec et Robert Bober Récits d’Ellis Island (feuilleter le livre en ligne ) regroupent un certain nombre de témoignages à rapprocher du destin de Sarah Ironson.

Documentaire sur Ellis Island réalisé par Perec et Bober.

Kaddich ( prière des morts en Yiddich)