Les costumes de tous les personnages et en particulier ceux de Richard dans la mise en scène Ostermeir
Renvoient-ils à une époque précise ? Que remarquez-vous sur le plan chromatique ?
Tous les personnages portent des costumes qui renvoient à une sorte de contemporanéité. En effet, Thomas Ostermeier rejette les mises en scène en costumes d’époque (Ostermeier et Jörder, Backstage, L’Arche, 2015, p. 67), car il trouve que ces costumes empêchent complètement l’acteur d’être réel, sincère et concret dans son jeu. Tous les costumes ici sont ancrés dans le XXe siècle, à l’exception notable des robes de bure à capuchon des deux faux moines, dans ce moment particulièrement aigu de théâtre dans le théâtre et de son traitement comique. Ainsi, la plupart des hommes portent-ils des complets vestons, les femmes des robes de soirée. Enfin, tous ces costumes sont plutôt élégants et raffinés, ce qui rappelle que nous nous trouvons dans le monde à part des puissants, celui de la Cour ou de la politique. Quelques éléments de costume datent des années 1970, comme les lunettes rétro de Hasting ou ses serre-manches, qui classent le personnage du côté du passé : il est celui qui croit encore à l’ancien pouvoir, celui d’Édouard IV, et qui en mourra. Ces détails surannés produisent une forme de distance et d’amusement à son égard. Notons d’ailleurs que l’acteur Sebastian Schwarz opère son changement de personnage (du garde conduisant Clarence à Hastings) en changeant de costume à vue, ce qui s’avère pour les spectateurs une convention très efficace.
Le personnage qui change le plus de costumes est, bien sûr, Richard lui-même, qui passe d’un simple tee-shirt blanc traversé d’une bretelle unique, à un costume noir, puis blanc, après avoir également porté une magnifique veste moirée, rappelant le milieu du show-business ou des rock stars. Il porte un très sage col roulé noir au moment de son investiture, pour réapparaître finalement en roi, quasi nu, enfin droit, grâce ou à cause de son corset qui, certes, le redresse mais également l’emprisonne. Il ne quitte jamais sa bosse artificielle (d’ailleurs montrée comme telle, suivant le principe brechtien : « montre que tu es en train de montrer ») ni ses chaussures, dont l’une entrave volontairement la démarche de l’acteur. Le personnage est un véritable caméléon, adaptant son costume aux circonstances. L’allusion à sa main atrophiée fonctionne par le biais d’un bandage blanc, dont l’acteur raconte qu’il avait commencé à lui immobiliser le bras accidentellement, tant il l’avait porté au cours des répétitions.
Enfin, la gamme chromatique dominant la mise en scène est celle du noir et blanc, couleurs tout en contraste, symbolisant tour à tour le deuil, le pouvoir, l’élégance et s’inscrivant dans une dimension mythique – et pas mimétique. Le noir et blanc a également été utilisé par le photographe Joel-Peter Witkin, une des références d’Ostermeier pour l’univers visuel de sa mise en scène.
Univers du photographe Joel-Peter Witkin à explorer
Il s’agit pour le metteur en scène d’insister sur la plasticité toute d’ombre de la scène. En revanche, la variété des tissus s’avère grande et peut suggérer le rang social, par exemple à travers l’aspect satiné de la robe de chambre et de la robe longue portées par Édouard et son épouse Élisabeth. Le long manteau en tweed (ou sergé) de Catesby (interprété par Robert Beyer) met à l’honneur la laine et désigne un homme de main digne du film Le Parrain. Ainsi, tous les costumes du XXe siècle semblent s’être donné rendez-vous dans cette mise en scène, sans s’arrêter à un moment particulier de notre modernité que l’on pourrait nommer., En effet, comme le déclare Thomas Ostermeier : « (...) ce que je recherche chez Shakespeare, et qui n’est sans doute pas très original, c’est un univers jouant avec des éléments actuels, mais sans qu’on y greffe de façon racoleuse notre monde d’aujourd’hui. » (Ostermeier et Jörder, Backstage, L’Arche, 2015, p. 101-102). Car enfin, il s’agit bien d’une histoire qui a à voir avec l’histoire du XXe siècle et, par conséquent, avec notre contemporanéité.
Les accessoires
Repérez tous les accessoires de cette mise en scène. Y en a-t-il beaucoup ?
Classez-les en fonction des personnages qui les utilisent. Qu’observez-vous ?
Essayez maintenant de relier ces accessoires à des époques. Que constatez-vous ?
La scène ne déborde pas d’accessoires, loin s’en faut. Le parti pris de la mise en scène n’étant pas le naturalisme ni le réalisme (ce dernier se loge davantage dans le jeu des acteurs), les accessoires utilisés répondent à une impérieuse nécessité dramaturgique, scénique ou logique.
On peut facilement observer que les accessoires sont principalement utilisés par Richard, mais comment en serait-il autrement, lui qui occupe la scène presque tout le temps ? Il utilise ainsi le micro, déplace lui-même le cercueil se trouvant sur le praticable, utilise la table et la chaise en guise de modeste trône, mange à plusieurs reprises donc utilise une assiette (devenant miroir) ornée de crème et de pommes de terre, des couverts, menace Buckingham d’un petit pistolet digne d’un magasin de farces et attrapes puisqu’il crache en réalité des confettis, manie le fleuret (scène finale) et l’épée (scène avec Lady Anne), la table se transforme en lit par le truchement d’un oreiller, d’un drap blanc et d’une pelisse (cette dernière faisant fortement penser à un vêtement de la Renaissance comme ceux dont sont affublés les ambassadeurs dans le tableau du même nom d’Holbein, ou encore aux couvertures en usage dans la famille Stark de Game of Thrones).
Le reste des accessoires entre au service de la fête : cotillons dorés, flûte à champagne, plat luisant, verre à cocktail, cigares, porte-cigarettes. Les couteaux apparaissent dans les mains des bourreaux, tandis que bible et chapelet permettent aux faux moines de jouer leur rôle de circonstance.
Il y a donc une véritable économie des accessoires, qui se transforment : la chaise devient un trône, le manteau en fourrure porté par Rivers (Laurenz Laufenberg) dans la scène d’ouverture deviendra la couverture de Richard ; le plat à flan tenu par le roi Édouard IV au moment de cette même fête se métamorphose en repas pour Richard, peu après son accession au pouvoir, mais il finira par l’écraser sur le costume de Buckingham (Moritz Gottwald) en signe de refus et d’humiliation.
Tous ces accessoires appartiennent majoritairement au XXe siècle, ou bien s’apparentent à une forme d’universalité (le cercueil, les tables, les chaises, les couteaux…). Dans quelques rares exceptions, nous percevons une trace du passé : l’épée, le fleuret, la couronne, tandis que la pelisse est aussi bien un signe extérieur de richesse actuel qu’un objet renvoyant à la Renaissance. Les accessoires sont autant de signes qui apparaissent alors comme polysémiques, pouvant aussi bien nous ramener discrètement du côté de Shakespeare que nous renvoyer à notre quotidien actuel, permettant de classer socialement les personnages en face de nous.