samedi 27 janvier 2018

Néron "monstre naissant"

Les différentes étapes de cette naissance dans des scènes précises:
Acte 1 scène 1: on attend le réveil de néron au sens propre mais il est présenté par Agrippine comme dangereux lorsqu'elle le compare à un monstre avéré Calligula: Toujours la tyrannie a d'heureuses prémices/De Rome pour un temps Caius fut les délices/ Mais sa feinte bonté se tournat en fureur/Les délices de Rome en devinrent l'horreur."

Le premier acte monstrueux de Néron est l'enlèvement de Junie qui a eu lieu la nuit précédent le début de la pièce:
Il sait car leur amour ne peut être ignorée/ que de britannicus Junie est adorée/
Et ce même néron que la vertu conduit/
Fait enlever Junie au milieu de la nuit! ( Agrippine I, 1)
L'Acte II scène 1 montre son abus d'autorité dans les formules cassantes qu'il emploie avec Burhus. "je  le veux, je l'ordonne, et que la fin du jour/ ne le retrouve pas dans rome ou dans ma cour/ Allez: cet ordre importe au salut de l'empire/ Vous narcisse approchez Et vous que l'on se retire." Cet abus d'imprétifs révèle une faille.
L'acte II scène 2 le montre rêvant des larmes de Junie alors qu'il est incapable de parler: "trop présente à mes yeux je croyais lui parler/ J'aimais jsuq'à ses pleurs que je faisais couler" c'est un fantsame; néron n'est-il capable d'aimer vraiment qu'en personnage sadique?
Lacte II scène 6 montre sa cruauté envers Junie qu'il espionne alors qu'elle souffre de devoir feindre une rupture avec Britannicus;
L'acte II scène 8 le montre incapable de répondre à Britannicus/ Néron a-t-il une pensée politique?
L'acte IV révèle son instabilité: il répond favorablement à ses trois interlocuteurs mais change systématiquement d'avis.
IV, 2: Agrippine somme de se réconcilier avec Britannicus. il accepte
IV, 3: Néron avoue à burrhus qu'il a menti à Agrippine. Burrhus convaint néron de ne pas tuer Britannicus.
IV, ' Narcisse arguant que néron se laisse dominer par sa mère, le convainc à son tour de finalement tuer Britannicus.
L'acte V marque le âsage à l'acte criminel puisque Britannicus est empoisonné ( technique lâche: Néron ne veut pas être soupsçonné)
Et le dénouement souligne sa flie: encore une fois incapable d'agir, il observe désemparé la fuite de Junie chez les Vestales et ne peut empêcher le massacre de Narcisse; " le seul nom de Junie échappe de sa bouche/ Il marche sans dessein, ses yeux mal assurés: N'osent lever au ciel leurs regards égarés."
Dans Britannicus, le personnage de Néron montre ne monstruosité psychologique, en effet ce qui a charmé Néron sont les lares et donc la tristesse de Junie : Cette nuit je l’ai vue arriver en ces lieux/Triste levant au ciel ses yeux mouillés de larmes » Vers 386-387, ce plaisir relève du sadisme. Par la suite, par un sentiment égoïste, il force Junie à rompre avec Britannicus sous peine de le tuer. « Il vaut mieux que lui-même/ entende son arrêt de la bouche qu’il aime » Vers 667-668 et va même jusqu’à espionner le couple, ce qui montre qu’il éprouve un certain plaisir à assister à leur rupture. » Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame » v679 Mais ce personnage présente une autre monstruosité qui se trouve au plan politique, en effet au début de la pièce il cache sa haine envers les autres comme lorsqu’il parle avec sa mère lors d’un entretien et lui dit : « je me souviens toujours que je vous dois l’empire » vers 1223 et « Avec Britannicus je me réconcilie » vers 1300 alors qu’en réalité il compte prendre le pouvoir en le tuant. Mais cette cruauté vient du fait que Narcisse le pousse sans cesse à prendre le pouvoir par tous les moyens possibles lorsque Néron ne ressent plus ce besoin. « Narcisse, c’est assez ; je reconnais ce soin/ Et ne souhaite pas que vous alliez plus loin/Quoi de Britannicus votre haine affaiblie vers 1397-1398 (En effet Néron est faible. Mais surtout cette pièce présente une grande rivalité politique entre Néron et Britannicus, pour Néron, il est un adversaire politique car il est l’héritier légitime du trône. Pour qu’il ne s’oppose pas à lui plus longtemps, Néron décide de s‘empoisonner, et c’est à l’annonce de cette mort qu’on remarque que ce personnage est insensible car i n’éprouve aucun sentiment lorsque son demi-frère leur sous ses yeux : »sa perfide joie éclate malgré lui vers1642, « cherche-t-il seulement le plaisir de leur nuire ? » vers 56.

Racine explique ce tempérament en s’appuyant sur les Anciens : « Néron, dit Tacite, porta impatiemment la mort de Narcisse parce que c’est affranchi avait une conformité merveilleuse avec les vices du prince encore cachés. » Dans la seconde Préface, il souligne la dissimulation de ce personnage et la responsabilité de Narcisse : Néron était déjà vicieux mais il dissimulait ses vices et Narcisse l’entretenait dans ses mauvaises inclinations. I incrimine aussi « l’orgueil et …la férocité d’Agrippine » ce qu’il confirme dans la pièce en lui prêtant ces mots : « Il se déguise en vain : je lis sur son visage/Des fiers Domitius l’humeur triste et sauvage/ il mêle avec l’orgueil qu’il a pris dans leur sang/ la fierté des Nérons qu’il puisa dans mon flanc. » Néron a donc hérité ses vices de ses ancêtres 

jeudi 25 janvier 2018

Britannicus: Journal de Création de Martinelli

Lien vers les videos que j'ai commencé à vous montrer ce matin

Commentaire de la scénographie de Martinelli dont je vous ai montré le schéma ce matin:
voir le document avec photos de plateau


SCÉNOGRAPHIE : de « dans une chambre du palais de Néron» à un atrium tragique...

Les spectateurs découvrent un espace scénique épuré, qui renvoie à l’esthétique du plateau nu. Plutôt qu’une antichambre (rappeler la didascalie « dans une chambre du palais de Néron »), cet espace se réfère à l’atrium9
, avec sa fontaine centrale : sorte de cour intérieure, à ciel ouvert, qui, dans les maisons latines, ouvrait sur les pièces
de la maison. L’espace renvoie donc à la méditerranée, sur les murs bleu gris semble se refléter le ciel (mais plutôt comme dans une caverne de Platon...). On ne semble ne s’échapper que par le haut, ce ciel qui figure le divin. Celui-ci s’exprime à la fois dans le tragique destin déjà écrit, déjà connu (tragique antique) et dans le jugement divin que l’on craint au XVIIèmesiècle. Quant aux cieux bien sombres : sont-ce ceux du XXIèmee siècle ?

1/ En quoi consiste le dispositif scénique ? [Questions de relance : Où mène la porte principale ? Quel matériau la constitue ? Quelle remarque cela appelle? Qui franchit ce « passage» ? Pourquoi peut-on parler
de double « porte », de passage principal ? Quels autres « passages » y-a-t-il ? Qui les utilise ? Quels espaces extérieurs sont mentionnés ? Que s’y passe-t-il ? ]
Ce n’est pas dans cet espace que se réalise la tragédie ; il s’agit de représenter un espace de conflits et un espace de confidences, un espace de huis clos. C’est un lieu de passage qui mène vers d’autres lieux, d’autres pièces du palais (chambre de Néron, appartement d’Octavie, de Pallas) : c’est donc un lieu ouvert mais un lieu de pouvoir qui dégage une impression d’étouffement : les personnages sont arrêtés sur scène.
L’espace est sombre : boite semi-circulaire noire avec des murs comme des bandes sombres, alternant avec des sorties-coulisses noires qui forment un demi-cercle ; un mur de briques, en fond de scène, l’ « accès contourné» remplace la porte de Néron.
Au centre, un plateau de bois (matériau noble et chaud) tournant est inséré dans un sol béton bleuté (reflet des cieux ?).
Cet espace mène aux appartements de Néron ? L’accès est figuré par un mur de briques (appareil architectural de base à Rome). Le mur de briques, infranchissable, symbolise l’impasse dans laquelle se trouvent les personnages (Néron compris). La porte est un mur, la situation tragique sans issue est représentée d’emblée.

Ce passage est agrémenté d’un rideau rouge, avec lequel joue Néron. Cet élément scénique renvoie au rideau de scène.
J.L Martinelli nous présente le spectacle de la politique. Néron est comédien quand il surprend Junie (le rideau devient alors presque accessoire de drame romantique, Néron prend la pose du jeune amoureux à la manière d’un Célio), scène 3 acte II mais aussi, quand il feint de se réconcilier avec sa mère dans la scène 2 de l’acte IV ; Néron est metteur en scène quand il donne ses indications à Junie dans la scène 3 de l’acte II et qu’il suit l’action en témoin caché dans les « coulisses » à la scène 6 de l’acte II.
Le mur en fond de scène signale également qu’il n’y a pas d’ailleurs possible que la scène.
La chambre de Néron, comme murée, focalise l’attention : Burrhus et Narcisse, avec Néron, sont les seuls à entrer et sortir par cette entrée détournée, cette entrée en «trompe l’œil», cette entrée sans issue. C’est un signe de pouvoir, de proximité du pouvoir, d’une certaine intimité avec l’empereur. Mais le mur signale que l’influence du conseiller sera bientôt sans effet.
Les autres entrent et sortent par les sorties coulisses (entrées dérobées, à peine visibles), symbole de leur destin funeste ou leur influence limitée.
L’espace du plateau central se présente comme un piège : il est piste, arène, cible, piège, toile, roue de la fortune...Il rappelle le jeu, souligne le « théâtre dans le théâtre ».
Au centre l’impluvium, qui est miroir durant l’action, semble recueillir, avant même le début de la tragédie, les larmes que vont faire verser cette tragédie. Elle permet à Junie de laisser une trace «concrète» sur le plateau.
Le plateau de bois devient « manège», «rouage» à l’acte 4 : d’abord lieu de joutes, d’affrontements et de retrouvailles, il symbolise alors plutôt le petit jeu de la politique et de la manipulation. Agrippine croit manipuler Néron ; Néron mène le jeu, il est le metteur en scène de cette pantomime.
Burrhus est un « pantin» face à un Narcisse machiavélique : la roue tourne.
Avec ce plateau tournant, les coulisses du palais deviennent lieu d’intranquillité.

3/ Comment le dispositif rend-il à la fois compte de l’enfermement et de l’expression du pouvoir ?
[Relance : quand sont-ils dans le cercle, hors du cercle ?]
La scène, atrium, donc lieu ouvert, devient un lieu fermé, une prison dont on ne peut sortir, où on est menacé, maltraité, épié par le tyran. L’espace scénique montre moins le territoire de Néron qu’un territoire de jeu : scène dans la scène ; théâtre dans le théâtre. Néron y amène de force Junie, s’y mesure avec Britannicus ; s’y dispute avec Agrippine, et celle-ci y affronte Burrhus...
C’est un « jeu » de pouvoir, de séduction et de dérobade – de retournements - sans fin qui se déroule sous les yeux du spectateur, médusé.
Sortir du plateau central c’est échapper à la tension, au rapport de forces : c’est autour du cercle que les accords, les conciliations se tentent. Mais sortir de scène par les entrées coulisses c’est risquer la mort. La mort, c’est hors scène.

Quelle époque le fauteuil fait-il référence ? Qui s’y assoient ? Pour quelles raisons ? Interprétez alors ses différentes fonctions.
Un seul fauteuil à haut dossier traîne sur scène, souvent déménagé : par son haut dossier il est de style Louis XIV mais la sobriété de ses formes évoque également Louis XIII. Il est la métaphore du pouvoir et de la transmission de celui-ci : Agrippine s’y assoit encore, Néron finit par lui donner sa place de trône...
Néron semble «l’essayer», le déplace, y hésite, y écoute les leçons de son maître Narcisse. N’empêche, c’est là qu’il a laissé négligemment la veille son manteau d’Empereur. Il le conquiert le temps de cette tragédie. D’abord placé de côté comme un siège pour écouter la leçon, il domine l’espace scénique, au centre mais vide. Le pouvoir qu’il représente n’est pas le bon.

Sur la scène 2 de l'acte II: Junie vue par Néron

Cette vision nocturne forme le point de départ de l'action purement extérieure de la pièce:Néron, attiré par Junie, va essayer de se l'attacher et de se débarrasser de Britannicus qui apparaît désormais comme un rival. Mais elle détermine l'action dans un sens plus profond. Elle mène tout d'abord à la « naissance du  monstre » dont parlera Racine. L'amour de Néron jaillit, inattendu et brutal, aussi soudain que cette vision éphémère. Néron, lui-même, l'annonce sur un mode théâtral : « Narcisse, c'en est fait, Néron est amoureux (II, 2 vers 382). En même temps, c'est l'éclosion de tous les instincts sombres qui sommeillaient en lui. On a souvent dit que l'amour de Néron éveille son sadisme et, en effet, sa première action sera de torturer Junie. Mais le terme « sadisme », trop clinique, est trop limité aussi, et cache par là des rapports psychologiques plus importants. C'est le désir de dominer qui s'empare de Néron observant Junie. Et peut-être faudrait-il même dire que c'est de son désir que naît son amour.Les deux sentiments sont en tous les cas indissolublement liés. Quand l'empereur voit d'abord la jeune femme, il la perçoit comme victime, « sa » victime, puisque ce sont « ses » soldats qui l'entourent, c'est « son » ordre qui est la cause des pleurs de Junie. Si elle lui paraît belle, c'est en grande partie parce qu'elle souffre. Le parallélisme des deux propositions qui la décrivent est frappant :
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes
Belle, sans ornements, dans le simple appareil
(…)
Enfin, et surtout , cette scène si mémorable pour l’œil intérieur du spectateur introduit dans Britannicus un thème racinien essentiel, celui de la vision, du regard, de la lumière.
Le monde Junie est en effet le monde de la lumière. Elle est celle qu'on voit, celle dont la vue et le regard peut apporter joie et bonheur. Le verbe « voir » lui est presque exclusivement réservé dans la pièce. Néron mais surtout Britannicus la « voient » (II, 2 386 ; II, 2, 520 ; III, 6, 953 ; II, 2, 522 ; II, 2, 525 ; III, 8, 1032 ; II, 3, 544).
(…)
Junie n'est pas seulement objet de la vue. Elle-même peut donner le bonheur par ses yeux. C'est le pouvoir de ses yeux que craint Agrippine, toujours lucide dans son amour jaloux, mais qui comprend mal Junie et son monde de lumière.
(…)
Si Néron espère aveugler Junie par sa grandeur impériale, c'est qu'il a lui-même subi jadis un premier éblouissement de sa « gloire » tout aussi fatal que celui de sa vision nocturne1. Cet éblouissement, il voudrait le faire partager à Junie comme pour éteindre sa lumière. Mais rien ne saurait changer l'état des choses : c'est lui qui appartient au règne de la nuit.

Éléonore Zimmermann, La liberté et le destin dans le théâtre de Jean Racine, Slatkine reprints.
1Celle, évoquée plus haut, du rapt de Junie par ses soldats

Agripine /Néron

Britannicus, avec Andromaque, est la pièce la plus jouée de Racine. (...)
Schématisons : il y a deux options principales de mise en scène. Toutes deux touchent aux liens d’Agrippine et de Néron.
Cette relation mère-fils, Agrippine-Néron, a pu être conçue en termes essentiellement politiques. C’est une direction de mise en scène. (…) Le pouvoir sur l’Empire en constituerait l’enjeu. Ce fut, par exemple, le parti-pris explicite de Jean-Pierre Miquel dans sa mise en scène en 1978 à la Comédie-Française lorsqu’il donna pour sous-titre à la pièce : La prise du pouvoir. On retrouve le même choix, en 1979, dans la mise en scène de Gildas Bourdet au théâtre de la Salamandre à Tourcoing. Le choix de Néron est une stratégie : il lui faut conquérir un pouvoir que sa mère lui dérobe. La pièce étant alors le démontage d’un mécanisme politique : Néron va affirmer son pouvoir face à Britannicus et ses amis. Sa volonté d’épouser Junie est moins un choix passionnel qu’une décision stratégique. Seul le refus de Junie expliquerait le changement de Néron : la violence criminelle désormais lui est seule possible.

Ce choix de théâtre est celui de l’hyper-rationalité. Dans ce contexte, comme le disait Pierre Miquel : “les comportements psychopathologiques d’Agrippine et de Néron (sont) comme des manœuvres destinées à égarer l’entourage”. Aussi Pierre Miquel n’avait pas craint de réintroduire le fameux dialogue entre le juste Burrhus et le traitre Narcisse au début de l’Acte III, dialogue que Racine, sur le conseil de Boileau, avait supprimé de sa première version. 
Françoise Chatôt ne réintègre pas cette scène et limite l’affrontement du Bon (Burrhus) et du Mauvais (Narcisse) à un face-à-face muet d’un instant. Dans le cas de Miquel, c’est l’enjeu idéologique des soubassements d’une prise de pouvoir politique qui est affirmé.

De même au théâtre de la Salamandre. La référence au cinéma néoréaliste était présente. C’est la recherche d’un effet de réalité absolue qui est visée. Britannicus est pensé et montré dans sa dimension froide, celle que Rossellini avait magistralement présentée dans son film La prise du pouvoir par Louis XIV. Mais derrière l’illusionnisme guettait le corps à corps des personnages assoiffés de pouvoir.
Cette piste où la tragédie racinienne veut être rapportée à des enjeux idéologiques actuels : le pouvoir, la violence, le crime, l’assujettissement, etc., a sa pertinence. Dans ce cas, la relation mère-fils passe au second plan. 

Doit-on pour autant choisir la voie contraire, celle qui ne verrait dans la pièce que la relation privée, solitaire, exclusive d’une mère et de son fils. On dit que ce fut le choix d’Antoine Vitez, en 1980, au Théâtre national de Chaillot. Priment le pathétique de la passion amoureuse (Néron-Junie) et l’exaspération du lien incestueux entre Agrippine et son fils. Toute dimension historique est rejetée au profit des conséquences subjectives de choix purement passionnels. 
Il y a cette dimension présente dans la mise en scène de Françoise Chatôt au moins à deux reprises : lorsque Néron désarticule les signifiants de la langue, le vers racinien explosant, au profit d’une voix rythmée par une musique assourdissante de chanteur pop, et lorsque Néron recouvre de son corps celui d’Agrippine. Lors de son départ, elle embrasse son fils sur les lèvres. Ce choix est celui explicite de Racine. Dans sa Préface de 1670, il écrit : « Il ne s’agit point dans ma tragédie des affaires du dehors. Néron est ici dans son particulier et dans sa famille. » C’est moins de la prise du pouvoir dont il est question que de la réalisation subjective d’un monstre. Racine le dit : « Je l’ai toujours regardé comme un monstre. Mais c’est ici un monstre naissant. Il n’a pas encore mis le feu à Rome. Il n’a pas tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs. A cela près il me semble qu’il lui échappe assez de cruautés, pour empêcher que personne ne le méconnaisse. » Ces cruautés qui échappent ont toute leur importance. Il faudra le temps de la pièce pour que Néron devienne Néron, que ce qui était déjà là au départ se réalise. La pièce se clôt à ce moment où tous les actes criminels sont désormais possibles : Néron est devenu le tyran Néron, celui que l’Histoire connaît. Le temps subjectif, hors toute dimension idéologique, n’est pas un temps progressif, un temps dialectique où se choisit et se révèle ce qui faisait défaut et que l’action a créé. Néron ne devient pas ce qu’il aurait pu ne pas être, il devient ce qu’il ne pouvait, en tant que Néron, que devenir. Le héros racinien n’est pas psychologique, mais « dogmatique » dira Roland Barthes, c’est-à-dire que le héros racinien réalise le temps de la répétition, un sorte de temps immobile et circulaire. La progression, l’avancée ne font que réaliser la circularité d’une espèce de présent éternel et fermé. (…) 

C’est sur cet obstacle du temps circulaire que toute interprétation politique et idéologique bute. La prise du pouvoir n’est pas déjà écrite, elle peut changer ses acteurs et ses héros qui deviennent moins la cause du pouvoir que leurs effets. Louis pour devenir Louis XIV renonce, fût-ce à son insu, à être encore tout à fait Louis. Rien de tel chez Néron : monstre, il est, monstre naissant il se révèle alors qu’il gouvernait comme un père et qu’il était l’égal d’Auguste. Je cite Albine, Acte I, scène I : « Rome depuis deux ans par ses soins gouvernée / Au temps de ses consuls croit être retournée / Il la gouverne en père. Enfin Néron naissant / A toutes les vertus d’Auguste
(...)

Revenons à ce couple Agrippine-Néron et à lui seul : le désir d’une mère et ses effets sur un fils. Un repère : ce désir se conjugue à l’imaginaire. Il se réduit à un regard qui tout à la fois découvre et fige ce qu’il trouve. Pour cela, il lui faut des jeux de miroirs symétriques et réciproques et un voile qui le cache à la vue commune.
Albine, comme Rome, voit dans Néron un empereur noble gouvernant en père. Agrippine, elle, ne s’y trompe pas. Elle sait voir et décrypter ce qui va éclore parce que déjà là. Agrippine oppose le temps cyclique au temps maturatif d’Albine. Agrippine est celle qui sait : « Non, non, mon intérêt ne me rend point injuste ; / Il commence, il est vrai, par où finit Auguste. / Mais crains, que l’avenir détruisant le passé, / Il ne finisse ainsi qu’Auguste a commencé. / Il se déguise en vain. Je lis sur son visage / Des fiers Domitius l’humeur triste, et sauvage. » Mais pourquoi, mais comment sait-elle ? C’est qu’ici le double et les jeux de reflets en miroir prennent tous leur poids et leur force. Néron est le reflet d’Agrippine dira Barthes à juste titre. C’est-à-dire que Néron est l’image qu’Agrippine construit et élabore. Elle concède à son fils la vie d’un pur reflet et à ce titre elle lui dérobe sa propre vie qui lui revient comme celle d’un autre. Agrippine en le réduisant à ce pur reflet le dépossède de sa vie, l’annule comme corps, le limite à cette sujétion spéculaire. Les citations nombreuses démontrent la puissance d’un voir qui troue les carapaces et atteint à une image que des reflets de surface cachaient. La vérité du personnage racinien est que son secret est son reflet. Le héros racinien est dépossédé. Ici Néron par sa mère.
Citons les vers les plus célèbres : Acte I, scène I, Agrippine : “Non, non, le temps n’est plus que Néron jeune encore / Me renvoyait les vœux d’une cour, qui l’adore ; / Lorsqu’il se reposait sur moi de tout l’État, / Que mon ordre au palais assemblait le sénat, / Et que derrière un voile, invisible, et présente / J’étais de ce grand corps l’âme toute-puissante.” Acte II, scène II, Néron : « Éloigné de ses yeux (ceux d’Agrippine), j’ordonne, je menace, / J’écoute vos conseils (ceux de Narcisse), j’ose les approuver, / Je m’excite contre elle et tâche à la braver. / Mais (je t’expose ici mon âme toute nue) / Sitôt que mon malheur me ramène à sa vue, / Soit que n’ose encor démentir le pouvoir / De ces yeux, où j’ai lu si longtemps mon devoir, / Soit qu’à tant de bienfaits ma mémoire fidèle, / Lui soumette en secret tout ce que je tiens d’elle : / Mais enfin mes efforts ne me servent de rien, / Mon génie étonné tremble devant le sien. / Et c’est pour m’affranchir de cette dépendance / Que je la fuis partout, que même je l’offense, / Et que de temps en temps j’irrite ses ennuis / Afin qu’elle m’évite autant que je la fuis. »
Il y a entre Agrippine et Néron, une logique du double avec sa dimension magique : Néron est volé de lui-même. Agrippine est sur le trône avec son fils. Néron n’est pas seul, elle est son double qui le contrôle. Racine le dit : Albine, Acte I, scène I : « Quelques titres nouveaux que Rome lui défère, / Néron n’en reçoit point qu’il ne donne à sa mère. / Sa prodigue amitié ne se réserve rien. / Votre nom est dans Rome aussi sien que le sien. /[...] Néron devant sa mère a permis le premier / Qu’on portât les faisceaux couronnés de laurier. »
Entre elle et lui, Agrippine développe un toi et moi indestructible. Elle est lui, il est elle. Néron, Acte IV, scène II : « Oui, Madame, je veux que ma reconnaissance / Désormais dans les cœurs grave votre puissance, / Et je bénis déjà cette heureuse froideur / Qui de notre amitié va rallumer l’ardeur. » Barthes parlera d’envoûtement : « C’est le corps même de la Mère qui fascine le fils, le paralyse, en fait un objet soumis, comme dans l’hypnose, au charme du regard. »
C’est à nouveau, par le biais du regard, que le corps de Junie est fixé et vidé de sa parole authentique envers Britannicus dans la célèbre scène VI de l’Acte II : Néron « Caché près de ces lieux, je vous verrai, Madame : / Renfermez votre amour dans le fond de votre âme / Vous n’aurez point pour moi de langages secrets. / J’entendrai des regards que vous croirez muets / [...] Madame, en le voyant, songez que je vous vois. »
Mais quelle issue pour Néron ? Néron ne pourra se détacher d’Agrippine, il devra rompre, déchirer les voiles, briser les miroirs, bref détruire l’autre en tant que siège de son aliénation.

H. CASTANET: Petite note sur Britannicus de J. Racine

Britannicus: mise en scène Jean-Pierre Miquel

Ce matin, nous avons parlé de la mise en scène de jean-Luc Boutté et de celle de Jean-Pierre Miquel avec Jean-Luc Boutté dans le rôle de Néron et Francis Huster dans le rôle de Britannicus, Denise Gence dans celui d'Agrippine.

Voici ce que Jean-pierre Miquel dit de sa mise en scène: scénographie évoquant les régimes totalitaires du XXème siècle, les années 30 (référence au fil Les damnés de Visconti)

Photos de la mise en scène par jean-Luc Boutté en 1989

Interview de Jean-Luc Boutté

mardi 23 janvier 2018

dossier des mises en scène de Britannicus avant l'an 2000



Dossier réalisé par Yves Steinmetz proposant des ressources sur les grandes mises en de Britannicus entre 1936 et 1992
Téléchargement du dossier

Il s'agit du dossier dont je vous ai donné des extraits pour faire vos exposés sur les différentes mises en scène de Britannicus.