dimanche 8 septembre 2013

Séance du vendredi 6 septembre ( Hamlet suite)



Lecture du tout début de la pièce depuis « Le château d’Elseneur. Une terrasse sur les remparts » jusqu’à p31 c’est bien étrange ». Réflexion sur la « couleur » à donner à ce début et aux problèmes de traduction qui apparaissent d’emblée.
Scène de guet. Bonnefoy traduit par «  Qui va là ? » ce qui en anglais pourrait aussi être « qui est là ? », la première traduction est d’une certaine façon plus banale, plus martiale, plus attendue alors que la deuxième révèle possiblement une crainte, un trouble qui fait douter des identités, or c’est l’une des thématiques de la pièce.
« La couleur » du début peut jouer de l’inquiétude suscitée par la présence de « la chose » qu’il s’agit d’identifier et qui n’est nommée « spectre » que dans les didascalies. Marcellus parle d’ « horrible vision que par deux fois nous avons eue », Horatio est sceptique : « rêve », « ne veut pas accepter de croire ». Lorsque le spectre apparaît, Marcellus dit de lui qu’il « revient » (Revenant), Bernardo signale sa ressemblance avec le roi défunt :   "semblable au roi qui est mort », ressemblance constatée aussi par Horatio : être « qui usurpes » (…) « la superbe apparence guerrière sous laquelle a marché jadis la majesté/ Du roi de Danemark, qui est mort ». Horatio obligé d’en croire « la garantie sensible et sûre «  de « ses yeux ».
Mais le début peut aussi être assez comique : quiproquo sur l’identité de la relève, personnages  se connaissant qui semblent perdus et troublés.+ transis par le froid.
Proposition de tester les deux « couleurs » possibles en prenant un parti pris net : travail par groupe de six.

 voirPropos tenu par Philippe Mangenot, metteur en scène de Hamlet 60 dans la traduction d'ndré Markowicz:
 


On parle beaucoup de Markowicz. Raconte-nous ta rencontre avec lui…
Pendant un mois on a travaillé à l’occasion d’un « chantier » vers après vers. C’était une rencontre organisée par les Chantiers Nomades, à Grenoble. Quand on est arrivés, il y avait le texte anglais de 1604, du papier, une gomme, un crayon. Et on a commencé par « Who’s there ? », « Qui est là ? » : la première réplique de la pièce. Déjà là, il y avait une chose incroyable. Cette première scène de la pièce, on peut passer à côté ! C’est une scène de gardes, l’un dit : « Qui est là ? », l’autre répond : « Vous, répondez ! Halte et révélez-vous ». On est déjà dans une scène absolument géniale ! Pourquoi ? On a un garde qui fait la garde. Et c’est le garde qui arrive pour prendre la relève qui dit « Who’s there ? » Celui qui arrive dit à celui qui est là : « Qui est là ? » Et l’autre dit “Mais, ça va pas ton truc, c’est à moi de poser la question « Qui est là ? »”. On est déjà dans la question de l’être ou ne pas être, déjà dans une inversion incroyable. Le deuxième garde dit « Vous, répondez ! » comme un acteur dirait « Mais, tu m’as piqué ma réplique, c’est à toi de répondre ! »
C’est le « tu es fou » à quoi l’autre répondrait « non, c’est toi qui es fou »…
Absolument. Et on a une miniscène qui commence par « Who’s there ? » et qui finit par « Who’s there ? » C’est une petite scène complètement autonome, en spirale. Et on peut passer à côté, comme ça. C’est pour ça que, quand un traducteur traduit « Qui est là ? » par « Qui va là ? », c’est foutu. Là on est dans la retranscription d’une scène de gardes un peu banale. La question c’est : « Qui EST là ? » Bien sûr que ces deux gardes se demandent « Qui est là ? » : pendant deux nuits ils ont vu une illusion, un fantôme. Donc ils s’interrogent : « Est-ce que c’est toi ? », « Si ce n’est pas toi, qui est-ce ? ». Et, au moment où ils se reconnaissent, ils sont tout à coup un petit peu soulagés. Et, au moment où ils sont soulagés, il y a une autre apparition. À nouveau, on est dans un temps qui est complètement déréglé, presque un temps « quantique ».
Si on va encore plus loin, on pourrait dire que celui qui est là, c’est une piece of him, c’est-à-dire un début du garde, puisqu’il ne le voit pas totalement…
Exactement. On est déjà dans cette thématique du « piece of him » que l’on va retrouver derrière. Et c’est formidable dans la traduction de Markowicz : il repère des occurrences et il va tisser une sorte de toile, sans jamais résoudre les énigmes. Le traducteur qui traduit « Who’s there ? » par « Qui va là ? », il résout l’énigme, il indique que c’est une scène de gardes lambda. Or, si on repère la répétition de ces « Qui est là ? », cette question de l’être et du non-être, ça devient absolument puissant. Juste en opérant cette répétition. Et, parfois, le sens ne se créé qu’à cet endroit, par la répétition…