Lecture du
tout début de la pièce depuis « Le château d’Elseneur. Une terrasse sur
les remparts » jusqu’à p31 c’est bien étrange ». Réflexion sur la « couleur »
à donner à ce début et aux problèmes de traduction qui apparaissent d’emblée.
Scène de
guet. Bonnefoy traduit par « Qui va là ? » ce qui en anglais
pourrait aussi être « qui est là ? », la première traduction est
d’une certaine façon plus banale, plus martiale, plus attendue alors que la
deuxième révèle possiblement une crainte, un trouble qui fait douter des
identités, or c’est l’une des thématiques de la pièce.
« La
couleur » du début peut jouer de l’inquiétude suscitée par la présence de « la
chose » qu’il s’agit d’identifier et qui n’est nommée « spectre »
que dans les didascalies. Marcellus parle d’ « horrible vision que
par deux fois nous avons eue », Horatio est sceptique : « rêve »,
« ne veut pas accepter de croire ». Lorsque le spectre apparaît,
Marcellus dit de lui qu’il « revient » (Revenant), Bernardo signale
sa ressemblance avec le roi défunt : "semblable au roi qui est mort »,
ressemblance constatée aussi par Horatio : être « qui usurpes »
(…) « la superbe apparence guerrière sous laquelle a marché jadis la
majesté/ Du roi de Danemark, qui est mort ». Horatio obligé d’en croire « la
garantie sensible et sûre « de « ses yeux ».
Mais le
début peut aussi être assez comique : quiproquo sur l’identité de la
relève, personnages se connaissant qui
semblent perdus et troublés.+ transis par le froid.
Proposition
de tester les deux « couleurs » possibles en prenant un parti pris
net : travail par groupe de six.
voirPropos tenu par Philippe Mangenot, metteur en scène de Hamlet 60 dans la traduction d'ndré Markowicz:
voirPropos tenu par Philippe Mangenot, metteur en scène de Hamlet 60 dans la traduction d'ndré Markowicz:
On parle beaucoup de Markowicz.
Raconte-nous ta rencontre avec lui…
Pendant un mois on a travaillé à l’occasion d’un
« chantier » vers après vers. C’était une rencontre organisée par les
Chantiers Nomades, à Grenoble. Quand on est arrivés, il y avait le texte
anglais de 1604, du papier, une gomme, un crayon. Et on a commencé par « Who’s
there ? », « Qui est là ? » : la première
réplique de la pièce. Déjà là, il y avait une chose incroyable. Cette première
scène de la pièce, on peut passer à côté ! C’est une scène de gardes, l’un
dit : « Qui est là ? », l’autre répond : « Vous,
répondez ! Halte et révélez-vous ». On est déjà dans une scène
absolument géniale ! Pourquoi ? On a un garde qui fait la garde. Et
c’est le garde qui arrive pour prendre la relève qui dit « Who’s
there ? » Celui qui arrive dit à celui qui est
là : « Qui est là ? » Et l’autre dit “Mais, ça va pas
ton truc, c’est à moi de poser la question « Qui est là ? »”. On
est déjà dans la question de l’être ou ne pas être, déjà dans une inversion
incroyable. Le deuxième garde dit « Vous, répondez ! » comme un
acteur dirait « Mais, tu m’as piqué ma réplique, c’est à toi de
répondre ! »
C’est le « tu es fou » à
quoi l’autre répondrait « non, c’est toi qui es fou »…
Absolument. Et on a une miniscène qui commence par
« Who’s there ? » et qui finit par « Who’s
there ? » C’est une petite scène complètement autonome, en spirale.
Et on peut passer à côté, comme ça. C’est pour ça que, quand un traducteur
traduit « Qui est là ? » par « Qui va là ? »,
c’est foutu. Là on est dans la retranscription d’une scène de gardes un peu
banale. La question c’est : « Qui EST là ? » Bien sûr que
ces deux gardes se demandent « Qui est là ? » : pendant
deux nuits ils ont vu une illusion, un fantôme. Donc ils s’interrogent :
« Est-ce que c’est toi ? », « Si ce n’est pas toi, qui
est-ce ? ». Et, au moment où ils se reconnaissent, ils sont tout à
coup un petit peu soulagés. Et, au moment où ils sont soulagés, il y a une
autre apparition. À nouveau, on est dans un temps qui est complètement déréglé,
presque un temps « quantique ».
Si on va encore plus loin, on pourrait
dire que celui qui est là, c’est une piece of him, c’est-à-dire un début du
garde, puisqu’il ne le voit pas totalement…
Exactement. On est déjà dans cette thématique du
« piece of him » que l’on va retrouver derrière. Et c’est formidable
dans la traduction de Markowicz : il repère des occurrences et il va
tisser une sorte de toile, sans jamais résoudre les énigmes. Le traducteur qui
traduit « Who’s there ? » par « Qui va là ? », il
résout l’énigme, il indique que c’est une scène de gardes lambda. Or, si on
repère la répétition de ces « Qui est là ? », cette question de
l’être et du non-être, ça devient absolument puissant. Juste en opérant cette
répétition. Et, parfois, le sens ne se créé qu’à cet endroit, par la
répétition…