mardi 12 novembre 2013

Britannicus, mis en scène par George Lini

Pour revoir les photos de la mise en scène que nous avons vues ce matin:
http://www.renatagorka.com/britannicus.html

Un article critique dans la revue en ligne Les Trois Coups:
http://www.lestroiscoups.com/article-britannicus-de-jean-racine-critique-de-cecile-de-palaminy-atelier-210-a-bruxelles-59346970.html

Une interview du comédien qui joue Britannicus: http://www.comedien.be/Itsik-Elbaz

Peut-on avancer le terme de "création" à propos de Britannicus ? Quand Georges Lini relit un auteur, c'est un Racine dynamisé qui prend un sacré coup de jeune.
Précisons : Lini metteur en scène entend bien respecter la tragédie de l'auteur Racine mais, solidement épaulé par la scénographie de Renata Gorka, il a imaginé non pas de montrer des personnages historiques mais des sentiments éternels. Et quels sentiments : ambition effrénée, ivresse du pouvoir, jalousie, haine, fureur, passion amoureuse ou vengeresse.... !

Imaginez une immense rampe incurvée ayant toute l'apparence d'une piste pour skateurs, dévolue aux sports urbains modernes plutôt qu'aux intrigues d'une cour antique. Une balustrade cerne de deux côtés, perpendiculairement, les reflets vipérins du métal. Ces surplombs seront des promontoires visibles où viendront se figer les personnages hors champ. Inactifs, ils deviennent alors des icônes qui, ainsi dans leur absence supposée, recevront, comme en direct, reproches et invectives. Une petite trouvaille qui fait gagner en intensité les tirades classiques.

Junie est déjà là, descendant et remontant la piste, faisant les cent pas, comme la captive qu'elle est. Une frêle ampoule, balancier du temps, vient indiquer son écoulement. D'un fond de scène plongé dans une profonde obscurité surgiront, un à un, lentement, tous les acteurs. Ils n'arrêteront plus d'arpenter cet espace inconfortable et périlleux. S'exprimera bien ainsi une agitation de palais, une journée où tous sont devenus fous. La piste devient un ring de combat. Ou bien on croit y voir passer des vagues inquiétantes : magie des éclairages d'Alain Collet.
On passe de la hauteur au creux, de celui qui domine à celui qui est dominé et qui rampe, se prosterne, supplie, vaincu. Il est évident que la scénographie a, ici plus particulièrement encore, conditionné le jeu des acteurs. Ajoutez à cela un environnement sonore rappelant les voûtes monacales auquel fait écho la voix claire de l'héroïque Junie - belle et droite Anne-Pascale Clairembourg - et par contraste, en début et fin, des bombardements lointains assourdis : persistance des conflits, jusqu'à nos jours...
Plus que du destin malheureux de Britannicus/Itsik Elbaz, on est fascinés par la perversité déjà affirmée d'un Néron dont s'empare sans faillir Didier Colfs; avec Valérie Lemaître en Agrippine, ils sont tous deux impressionnants de force et de démesure. Les autres personnages : Burrhus/Luc Van Grunderbeeck, Albine/Marie Simonet sont des conseillers impuissants ou alors conseiller trouble comme Narcisse/Benoît Van Dorslaer, au très réussi double visage.

Fureur, sueur et larmes, des émotions à fleur de peau
Les costumes aux tons chauds sont dans la tendance actuelle : davantage symboliques qu'à l'identique. Nous verrons donc la capote militaire, le pardessus, la houppelande ou l'ample jupe rappelant les arts martiaux... et les chaussures de marche pour tous. De quoi donner une allure épique et non d'époque. Oubliée toute référence historique, restent les mots d'une langue qui prend des accents lyriques et n'apparaît plus archaïque.
L'exercice physique des acteurs placés dans un dispositif scénique pour nobles agités (et non pour skateurs privés de planches à roulettes), les a rendus haletants; souffle court et ruisselants de sueur, ils ontl un jeu à l'image de leurs passions et dilemmes : exacerbé et surtout terriblement vivant.
Des groupes d'ados se pressaient bruyamment pour assister aux débuts d'un tyran sanguinaire, de la trempe de tant de "malades qui nous gouvernèrent". Mais dépaysement garanti dès l'entrée de la salle. Pour tous. Assis dans un parfait silence, ils ne reprendront leurs commentaires que bien après la fin du spectacle, sous le coup de la performance époustouflante des comédiens, qualité majeure pour eux, avant l'oeuvre de Racine.