Pour revoir les photos de la mise en scène que nous avons vues ce matin:
http://www.renatagorka.com/britannicus.html
Un article critique dans la revue en ligne Les Trois Coups:
http://www.lestroiscoups.com/article-britannicus-de-jean-racine-critique-de-cecile-de-palaminy-atelier-210-a-bruxelles-59346970.html
Une interview du comédien qui joue Britannicus: http://www.comedien.be/Itsik-Elbaz
Peut-on avancer le terme de "création" à propos de
Britannicus ? Quand Georges Lini relit un auteur, c'est un Racine
dynamisé qui prend un sacré coup de jeune.
Précisons : Lini metteur en scène entend bien respecter la
tragédie de l'auteur Racine mais, solidement épaulé par la scénographie
de Renata Gorka, il a imaginé non pas de montrer des personnages
historiques mais des sentiments éternels. Et quels sentiments : ambition
effrénée, ivresse du pouvoir, jalousie, haine, fureur, passion
amoureuse ou vengeresse.... !
Imaginez une immense rampe
incurvée ayant toute l'apparence d'une piste pour skateurs, dévolue aux
sports urbains modernes plutôt qu'aux intrigues d'une cour antique. Une
balustrade cerne de deux côtés, perpendiculairement, les reflets
vipérins du métal. Ces surplombs seront des promontoires visibles où
viendront se figer les personnages hors champ. Inactifs, ils deviennent
alors des icônes qui, ainsi dans leur absence supposée, recevront, comme
en direct, reproches et invectives. Une petite trouvaille qui fait
gagner en intensité les tirades classiques.
Junie est déjà là,
descendant et remontant la piste, faisant les cent pas, comme la captive
qu'elle est. Une frêle ampoule, balancier du temps, vient indiquer son
écoulement. D'un fond de scène plongé dans une profonde obscurité
surgiront, un à un, lentement, tous les acteurs. Ils n'arrêteront plus
d'arpenter cet espace inconfortable et périlleux. S'exprimera bien ainsi
une agitation de palais, une journée où tous sont devenus fous. La
piste devient un ring de combat. Ou bien on croit y voir passer des
vagues inquiétantes : magie des éclairages d'Alain Collet.
On passe de la hauteur au creux, de celui qui domine à celui qui est
dominé et qui rampe, se prosterne, supplie, vaincu. Il est évident que
la scénographie a, ici plus particulièrement encore, conditionné le jeu
des acteurs. Ajoutez à cela un environnement sonore rappelant les voûtes
monacales auquel fait écho la voix claire de l'héroïque Junie - belle
et droite Anne-Pascale Clairembourg - et par contraste, en début et fin,
des bombardements lointains assourdis : persistance des conflits,
jusqu'à nos jours...
Plus que du destin malheureux de Britannicus/Itsik Elbaz, on est
fascinés par la perversité déjà affirmée d'un Néron dont s'empare sans
faillir Didier Colfs; avec Valérie Lemaître en Agrippine, ils sont tous
deux impressionnants de force et de démesure. Les autres personnages :
Burrhus/Luc Van Grunderbeeck, Albine/Marie Simonet sont des conseillers
impuissants ou alors conseiller trouble comme Narcisse/Benoît Van
Dorslaer, au très réussi double visage.
Fureur, sueur et larmes, des émotions à fleur de peau
Les
costumes aux tons chauds sont dans la tendance actuelle : davantage
symboliques qu'à l'identique. Nous verrons donc la capote militaire, le
pardessus, la houppelande ou l'ample jupe rappelant les arts martiaux...
et les chaussures de marche pour tous. De quoi donner une allure épique
et non d'époque. Oubliée toute référence historique, restent les mots
d'une langue qui prend des accents lyriques et n'apparaît plus
archaïque.
L'exercice physique des acteurs placés dans un dispositif scénique
pour nobles agités (et non pour skateurs privés de planches à
roulettes), les a rendus haletants; souffle court et ruisselants de
sueur, ils ontl un jeu à l'image de leurs passions et dilemmes :
exacerbé et surtout terriblement vivant.
Des groupes d'ados se pressaient bruyamment pour assister aux débuts
d'un tyran sanguinaire, de la trempe de tant de "malades qui nous
gouvernèrent". Mais dépaysement garanti dès l'entrée de la salle. Pour
tous. Assis dans un parfait silence, ils ne reprendront leurs
commentaires que bien après la fin du spectacle, sous le coup de la
performance époustouflante des comédiens, qualité majeure pour eux,
avant l'oeuvre de Racine.