jeudi 10 avril 2014

Dario Fo et la figure du jongleur (2)



Dario Fo et la figure du jongleur :
Retrouve la rôle historique des jongleurs du Moyen Age : rappelle la répression féroce à leur encontre, ils ont été exclus du champ officiel de la littérature pendant longtemps, il veut rétablir à sa juste place l’histoire du peuple en rappelant l’enchaînement de ses révoltes.
« Prendre au peuple sa colère et la lui rendre pour l’inscrire dans la mémoire collective.
Jongleur = porte parole de cette résistance de la conscience populaire, jamais entièrement détruite ni dominée. Parole du jongleur qui ne s e délègue pas. Parole du peuple cf «  Celui qui a inventé le mystère bouffe c’est le peuple. Le jongleur était quelqu’un au MA qui faisait parti du peuple. »DF lui restitue une dimension mythique : support de la mémoire collective, mais investit le présent, le remobilise.
Mistero buffo nous montre que ce n’est pas seulement par la raison et le rire grotesque que le peuple prend conscience de sa condition mais par le récit renouvelé de ses mythes : mythe de la naissance du jongleur qui utilise sa langue comme une arme : perpétue le récit de la soumission vaincue, histoire toujours recommencée de l’exploitation mais toujours vaincue par la langue invulnérable du jongleur malgré les répressions.
Invention d’un langage multiple
Issu de la paysannerie le jongleur exprime les servitudes de sa vie quotidienne : réalité commune où il puise sa force, sort commun d’où jaillit sa parole, son énergie. Parole d’émancipation et d’affranchissement : moyen de communication mais aussi de provocation, d’agitation et de subversion. Parole libératrice qui se démarque du code du pouvoir qui cherche toujours à uniformiser le dire, à le réduire à ses normes : invention d’une langue qui puisse être compris e par tous mais qui est aussi personnelle : nombreux synonymes, grommelot, gestuelle appuyée pour transmettre le message. Il s’agit d’inclure dans la linéarité de la narration la multiplicité des images, expressions, mots : ça déborde, poésie, flux rythmique , pas maîtrisable par une norme, pas réductible.
Lié aussi à l’itinérance ; les jongleurs voyageaient, besoin de se faire comprendre partout, nombreux dialectes en Italie. DF lui même voyage. Le jongleur enrichit sa langue des mots des autres, verve populaire, faconde : se faire comprendre à tout prix. DF reprend des dialectes d’Italie du Nord : conserve la langue d’origine, jeu sur l’archaïsme pour accréditer l’origine moyenâgeuse du jongleur et…de son combat. Ecart poétique pour le public aussi, incertitude du sens mais plaisir d’invention poétique : sonorités, rythmes. Utilise aussi d’autres sons : éructations, rires, borborygmes, gestes. Met à bas les bienséances du pouvoir.
Art de l’évocation, de l’esquisse, du geste inachevé, art qui assume la matérialité du corps et qui se moque de la pudeur vocale aristocratique ou bourgeoise.
CF Novarina :
« L’acteur est le seul endroit où ça se passe et c’est tout. Pourvu qu’on cesse de lui faire prendre son corps pour un télégraphe intelligent à transmettre, de cervelle cultivée à cervelle policée, les signaux chics d’la mise en son des gloses du jour. Pourvu qu’il travaille son corps d’l centre. Qui se trouve quelque part dans l’comique. Dans les muscles du ventre(…) Le théâtre n’est pas une antenne culturelle pour la diffusion orale des littératures mais l’endroit où refaire matériellement la parole…’
Les armes subversives du jongleur : ironie et grotesque.