Le clown au théâtre du Soleil
Le clown chez Jacques Lecoq
« Dans la tradition du cirque le clown commençait
par être acrobate, fil de fériste ou trapéziste puis, prenant de l’âge,
ne pouvant plus réaliser les numéros à leur niveau de qualité, il les
apprenait à un jeune qui devenait clown.
Depuis les années soixante se manifeste un intérêt pour le clown. Mais
le clown n’est plus lié au cirque : il a quitté la piste pour la scène
et la rue. Beaucoup de jeunes désirent être clown ; c’est une profession
de foi, une prise de position envers la société : être ce personnage à
part et reconnu de tous, pour lequel on ressent un vif intérêt, dans ce
qu’il ne sait pas faire, là où il est faible. Montrer ses failles : les
jambes maigres, les grosse poitrines, les petits bras et les mettre en
valeur avec d’autres vêtements que ceux qui d’habitude les cachent,
c’est s’accepter et se montrer tel que l’on est.
De nombreux jeunes dans tous les pays parcourent les rues avec trois
balles, une cabriole, un mur invisible, pour être regardés. Le phénomène
dépasse la simple représentation et son spectacle. Ce clown
« psychologique », que peut développer une pédagogie dramatique,
nécessaire à la liberté du comédien, n’est pas forcément un clown de
spectacle et reste le plus souvent un mode d’expression privé. Le petit
nez rouge ne suffit pas à faire un clown professionnel et la
représentation ne doit pas être une exhibition consolatrice.
Le clown exige aussi un exploit, souvent à l’envers de la logique ; il
met dans le désordre un certain ordre et permet de dénoncer ainsi
l’ordre reconnu : il fait tomber son chapeau, il va pour le ramasser,
mais, malencontreusement, donne un coup de pied de¬dans et, sans le
faire exprès, marche sur une canne qui lui saute dans la main. Le clown
rate là où on l’attend et réussit là où on ne l’attend pas. Qu’il essaie
de faire un saut périlleux, il tombe, mais il y parvient quand on lui
donne une gifle. Ainsi le clown Grock, caché derrière un paravent,
parvenait à jongler avec trois balles seules visibles du public, ce
qu’il ne pouvait réussir devant lui.
Le clown prend tout à la lettre dans son sens premier : lorsque la nuit
tombe (boum !) il la cherche par terre et l’on rit de son côté idiot et
naïf. Quand on lui dit de prendre l’air, il cherche à l’attraper avec la
main. On lui fait des blagues. On lui dit de se baisser et de regarder
ses pieds : il se baisse et reçoit un coup de pied dans les fesses ; il
trouve la plaisanterie « bonne » et veut la faire à son tour à un
troisième personnage ; celui ci lui demande de lui montrer ce qu’il faut
faire, et le clown reçoit un autre coup de pied donné par ce dernier
personnage qui connaissait la blague.
Le petit nez rouge, « le plus petit masque du monde », en donnant au nez
une forme ronde, éclaire les yeux de naïveté et agrandit le visage en
le démunissant de toute défense. Il ne fait pas peur, c’est ce qui le
fait aimer des enfants.
La pantomime, autrefois, était descendue sur la piste du cirque et avait
apporté au clown le visage blanc de Pierrot qui devint le clown blanc.
Le clown, aujourd’hui, c’est sur¬tout l’auguste et par suite tous les
comiques de la piste.
Beckett a apporté une nouvelle dimension au clown en lui faisant
découvrir les grands souffles de l’existence. Le héros tragique étant
devenu inabordable, le clown le remplace, « En attendant Godot »...
Clowns de théâtre et clowns de cirque se mêlent au Cirque Alfred, en
Tchécoslovaquie, avec Ctibor Turba et Boleslav Polivka. Pierre Byland et
Philippe Gaulier, clowns de théâtre absurde, font un spectacle, Les
Assiettes. Chaque pays trouve ses clowns, le phénomène est
international, sans que le cirque les fasse naître. De jeunes comédiens
se reconnaissent dans ce monde clownesque qu’ils font évoluer loin de
l’image typique du clown de cirque.
Cette recherche de son propre clown ré¬side dans la liberté de pouvoir
être soi même et d’en faire rire les autres, d’accepter sa vérité. Un
enfant est en nous qui a grandi et que la société ne permet pas de
montrer ; la scène est là qui le permettra mieux que dans la vie.
Cette démarche est purement pédagogi¬que et cette expérience sert le
comédien au delà même de la représentation clownes¬que. Il ne suffit
pas, pour un clown de théâtre, de se montrer au public en ratant ce que
l’on tâche de réussir et de porter un costume typi¬que et un nez rouge.
Le clown professionnel doit savoir faire ce qu’il rate avec talent et
travail. Les clowns de théâtre, eux, se fondent davantage sur le talent
du comédien que sur celui de l’acrobate ; sans nez rouge, ils ani-ment
un monde souvent absurde et tragique. En compagnies, ils montent de
courtes pièces prenant leurs personnages en eux mêmes, se caricaturant.
( Jacques Lecoq in Le théâtre du Geste Bordas 87 p 117 )
( Jacques Lecoq in Le théâtre du Geste Bordas 87 p 117 )