Analyse de spectacle : Don Juan revient de
guerre
Don Juan revient de
guerre est une pièce écrite par l'auteur austro-hongrois Ödön von Horváth
en 1935. Il met en scène un Don Juan transposé dans l’époque de l’après guerre
de 14-18 en Allemagne, tout le monde le croyait mort, aussi abîmé physiquement
que mentalement. Il erre dans une Allemagne détruite et qui se déchire
politiquement à la recherche de son amour d'avant guerre dont il ne se rappelle
que de fragments, il passera dans la vie de 35 femmes et croira y trouver à chaque fois un fragment de
son amour idéal.
Jouée à la Comédie de l'Est
en l'honneur de la commémoration de la guerre de 1914-1918, cette pièce est
mise en scène par Guy-Pierre Couleau et Bruno Journée. Trois acteurs y sont mis
en valeur, Nils Öhlund dans le rôle de Don Juan, Carolina Pecheny et Jessica
Vedel dans les rôles des 35 femmes qu'elles incarnent tour à tour, ce qui en
soit est déjà une performance qui mérite le détour. Le spectacle est construit
autour des mêmes acteurs que Guitou
de Fabrice Melquiot et permet ainsi une production en diptyque qui peut
faciliter la tournée.
Bien qu'il n'y ait pas de
limite d'âge, c'est une pièce qui s'adresse plutôt à un public adulte, non à
cause de scènes violentes mais par la gravité du sujet qu'elle traite.
La scénographie :
La pièce a été jouée dans la
petite salle de la Comédie de l'Est, le public est donc restreint, ce qui crée
une sorte d'intimité, due également à la pente du toit qui réduit l'espace. Les
acteurs jouent à même le sol, un parquet chaleureux. Le décor est sobre, une
table ainsi que des chaises, qui par leur disposition ou l'apport d'un nouvel
élément ou d'un changement de costume nous indique dans quel endroit on se
situe. Dans le fond, il y a un rideau de couleur changeante en fonction de la
lumière qui laisse de chaque côté un espace noir où sont projetées des
informations relatives à la scène qui va se jouer, les didascalies sont donc
lisibles par le public. En jardin, l’on peut voir de magnifiques projecteurs
svoboda qui produisent une lumière chaude mais aussi une sorte de grésillement
quand ils s’allument.
Outre le décor il n'y a pas
beaucoup d'objets. Des accessoires de costumes manipulés par les actrices à la
vue des spectateurs indiquent le changement d'identité des femmes. À un moment
la jeune fille de la logeuse de Don Juan porte un sac de sport ainsi que des
patins à glace. La présence des patins annonce en fait le cadeau que Don Juan
fera à la jeune fille un peu plus tard. L'énorme sac de sport souligne la
nonchalance de la jeune fille ainsi que son côté masculin. La comédienne
chaussera d’ailleurs les patins et roulera dans l’espace. ( Donne d’autres
exemples d’accessoires de costume qui vont transformer les personnages)
La lumière joue un rôle très
important dans cette pièce. Elles créent l'atmosphère et l'espace de jeu.
Leur rôle est d'autant plus
important à la fin car, lorsque Don Juan parvient à la grand-mère de son amour
perdue, et qu'elle lui annonce le décès de cette dernière, la scène est en jeu
d'ombres et de lumières.( Décris comment l’effet d’ombre est créé devant nous.)
La lumière est particulièrement spectaculaire lorsque de la « neige »
tombe sur scène, le tableau est presque féerique. Il n'y a pas de musique dans
cette interprétation de Don Juan. Les voix se suffisent à elles mêmes et
parfois les personnages chantentC'est un théâtre qui se veut, presque nu, simplement
faire vibrer les mots, résonner leur sens.
Le jeu des acteurs :
La pièce est composée de Don
Juan et de trente-cinq femmes incarnées seulement par deux actrices, la
polyvalence des actrices est précisée dans le prologue de Ödön von Horváth
« ces trente-cinq femmes doivent être interprétées par beaucoup moins
de comédiennes, de sorte que chaque comédienne ait plusieurs rôles à
jour ». Les comédiennes entrent effectivement dans toutes sortes de
personnages, pauvre, riche, jeune, vieille, artiste, prostituée… ce sont elles
qui nous guident tout au long su périple de Don Juan. Une grande partie de
l’intérêt du spectacle réside dans la performance de Carolina Pécheny et de
Jessica Vedel qui se métamorphosent devant nous et font montre de leur talent
de comédienne. Nous sommes comme bluffés par la variété des registres dont
elles disposent pour incarner les personnages.
Don Juan lui est grave, il
ne rit pas, il est amer. Il ne porte qu'un bref intérêt à chaque femme, hanté
par le souvenir de sa fiancée d'avant guerre dont il ne se souvient même plus
du visage. Il est à sa recherche, torturé par son souvenir et par l'absence de
réponse aux lettres qu'il lui a envoyées. Cette recherche inespérée est le
symbole de l'impossibilité de retrouver ce qui a disparu, happé par la guerre
qui na laissé que ruines et cendres.
Les costumes ont eux aussi
une certaine simplicité, Don Juan est vêtu d'un costume noir avec une chemise
blanche, un ensemble plutôt distingué mais il le porte de façon débraillée, comme
quelqu'un qui se laisse aller. Les femmes sont vêtues de noir, mais elle retire
ou rajoute des accessoires selon les personnages qu'elles incarnent. Un foulard
blanc et bleu a notamment beaucoup d'importance lorsque Don Juan rencontre une artiste.
En enfilant un nouvel accessoire l'actrice devient une nouvelle femme,
l'accessoire n'est que le symbole de ce changement. Si les costumes ne sont pas
particulièrement marqués par une époque, ils paraissent tout de même passés par
rapport à la nôtre et rappellent à certains moments ceux des années folles,
période à laquelle se déroule l'histoire.
La pièce est assez rythmée,
on passe de rencontre en rencontre sans qu'il y ait de longueur. La pièce est
découpée en trois actes. Dans le premier Don Juan revient de guerre alors qu'on
le croyait mort, il part à la recherche de sa bien aimée d'avant guerre. Dans
le second Don Juan est à l’hôpital atteint de la grippe espagnole, il attend
désespérément une réponse aux lettres de sa bien aimée. Puis il retombe dans le
tourbillon du monde d'après guerre où l'argent est roi, rattrapé pas ses vieux
démons, il s'abandonne aux femmes, il en rencontre plusieurs, mais les séduit
et les quitte sans jamais vraiment s'y attacher ; elles lui rappellent
toutes un détail de son amour idéal dont il a pourtant oublié jusqu'aux traits.
Dans le troisième acte, Don Juan se rend chez la grand-mère de sa bien aimée
qui lui apprend la mort de cette dernière, morte de chagrin le 3 mars 1916.
Parti pris de mise en scène
et avis personnel :
Pour cette pièce G-P Couleau
a choisi une scénographie sobre afin de mettre en valeur la force du texte.
Cette mise en scène très ouverte crée une complicité avec le regard du public.
Rien n’est caché, tout est factice, théâtral mais tout est là, brut, vrai.
L'absence de musique ainsi que la sobriété du décor laisse une place royale aux
mots, pour qu'ils vibrent et que l'histoire puisse exister pour elle même, sans
artifice mais surtout une place aux corps des acteurs et en particuliers des
actrices dont la capacité de métamorphose paraît infinie. Cette pièce nous fournit
une source de réflexion sur le monde et sur les hommes, c'est ce qu'a si bien
dit G-P Couleau dans sa note
d’intention : « c'est une histoire d'hier pour aujourd'hui. Cette
histoire a cent ans. Nous nous interrogeons sur le devenir de notre planète.
Puisse cette histoire nous aider à comprendre ce que sera demain ».( Il faut que tu commentes cette phrase car son sens n’est
pas clair : en quoi l’histoire du Don Juan d’Horwarth serait-elle la
nôtre ?)
J'ai été très touchée par
cette pièce. J'ai beaucoup aimé le parti pris de mise en scène qui m'a semblé
mettre en valeur la beauté de la pièce, sa vérité. Je ne connaissais pas le
texte avant d'y assister mais elle m'a permis de découvrir un nouvel aspect du
personnage de Don Juan, il me faisait éprouver ici une certaine compassion. Le
public était muet, accroché aux lèvres des acteurs, il ne voulait perdre ni un
geste, ni un mot, il ne faisait aucun bruit, on aurait parfois presque dit
qu'il retenait sa respiration, peut- être de peur d’abîmer la beauté de ce qui
se passait devant ses yeux.