dimanche 24 mai 2015

Analyse de spectacle: Scène de la vie d'acteur ( Juliette)



Scènes de la vie d’acteur

            Nous sommes allés voir à la comédie de l’Est, la pièce Scènes de la vie d’acteur, de Denis Podalydès qui est un grand comédien de la Comédie Française. A la base, le texte n'a pas été écrit pour être mis en scène au théâtre; il retrace le quotidien d’un acteur de théâtre et de cinéma, ses moments de trac, de doute, ses mésaventures ou la routine du métier. Ce texte est aussi une mine de renseignements sur le fonctionnement particulier de la Comédie Française. C’est Scali Delpeyrat, acteur, écrivain, dramaturge et metteur en scène français, qui  en a choisi des extraits, les a mis en scène et les joue sur scène ; il est le seul acteur sur scène.
Nous allons tout d’abord nous intéresser à la scénographie choisie puis nous nous intéresserons au jeu de l’acteur.
            Lorsqu’on arrive dans la grande salle de la CDE où se déroule la représentation, la disposition scénique est habituelle : une disposition frontale du public. Il n’y a aucun rideau ou obstacle qui empêche de voir les éléments scéniques déjà sur scène pour le début de la représentation. Les pendillons disposés habituellement sur les côtés de la scène ne sont pas présents, l'espace scénique parait nu.
On peut déjà observer sur scène un petit tabouret blanc, très simple, disposer au centre du plateau, ainsi qu’une échelle blanche disposée contre le mur du côté cour. On y voit également deux grand panneaux blancs arrondis, disposés l’un à côté de l’autre côté jardin, en laissant un espace réduit entre ces deux panneaux. On comprend ensuite que ce petit espace entre les panneaux représente les coulisses qui se trouvent sur le côté d’une scène, là où les comédiens attendent pour rentrer sur scène. Ces panneaux sont mobiles et l’acteur va bouger l’un des deux panneaux à plusieurs reprises pour dessiner les différents espaces scéniques de la pièce. Au milieu de ces deux panneaux se trouvent une longue tablée de forme oblique elle aussi, de façon à être contre le panneau, comme sur la photo ci-contre. Sur cette table sont posés de nombreux livres et une tête de mannequin en papier qui sert à poser la perruque de l’acteur.
            La pièce met en scène un seul comédien qui joue le rôle d’un comédien de la comédie française; en effet la pièce raconte en plusieurs scènes la vie d’un acteur avec les différentes émotions que celui-ci peut ressentir ou encore les différents problèmes qu’il peut rencontrer.
La pièce est découpée de telle façon que dans chaque scène, le comédien est sur la tournée d’une autre pièce de théâtre, et à différents stades de cette tournée ; en effet, lors de la première scène, on assiste au début d’une tournée du Misanthrope de Molière , puis au milieu d’une autre tournée: Le Leg de Marivaux, puis à la fin d’une autre, une pièce de Tchékhov, cela permet aux spectateurs de voir l’état d’esprit dans lequel peut se trouver un comédien à ces stades totalement différents. 
Il y a donc un certain temps qui passe dans la vie du personnage entre chaque scène ; ce temps est parfois matérialisé par des jeux de lumières ou de sons. En effet, lorsque le comédien changeait de décors en déplaçant les éléments scéniques, il y avait de rapides changements de lumières, du bleu au jaune, à différents endroits du plateau pour matérialiser les différents éclairages qui passent sur le plateau lors des nombreuses représentations qui passent. Ou encore il y avait une voix enregistrée qui annonce le temps qui reste aux comédiens avant de rentrer sur scène. Ces annonces incessantes sont celles qui sont utilisées pour l'appel des comédiens dans les coulisses à la Comédie Française. Et lors de ces changements de scènes, on peut entendre cette voix incessante qui parle très vite et qui répète sans cesse des phrases comme « 20 minutes, il vous reste 20 minutes, 20 minutes merci. Au plateau, 20 minutes », ce qui représente comme la lumière, le temps qui passe, avec les diverses représentations. Ces enchaînements d'appels et d'annonces donnent l'impression de devenir folle, elles peuvent représenter le temps qui passe mais également le trac des comédiens.    
Le temps passe, et les décors changent mais pourtant, il n’y a pas d’autres objets qui entrent en scène, les objets sont détournés et déplacés pour être réutilisés, il y a la mobilité des panneaux, que le comédien déplace, mais aussi le tabouret qui est parfois au milieu de la scène et parfois devant la table lorsque le personnage principal se trouve dans sa loge. La table est elle aussi détournée au cours de la pièce ; à la fin de la représentation, celle-ci sert de lit à l’acteur sur laquelle on a disposé un oreiller et une couverture.
            Le comédien joue donc le rôle d’un comédien de la comédie française jouant différentes pièces de théâtre et donc différents rôles, celui d’un marquis par exemple. Le comédien porte alors à chaque fois un costume différent qui nous permet également de comprendre que le temps passe. La pièce alterne entre les moments sur le plateau du comédien et les moments en coulisses. Lorsque le personnage est sur scène, le comédien joue le rôle des différents personnages en changeant de place dans l’espace et en modifiant sa posture, sa voix et sa gestuelle ; ce qui est très bien exécuté par Scali Delpeyrat car on distingue facilement les différents personnages, et on les imagine même.
En même temps que le comédien joue le rôle des différents personnages normalement présents sur scène, celui-ci dit à haute voix les pensées que le comédien ressent sur scène et qui sont différentes en fonction des moments de la pièce et des personnages à jouer. Cette distinction entre les paroles prononcées et les pensées du comédien  est également facilitée par les changements de langages entre le comédien et les personnages qui parlent de manière plus soutenues lorsqu’il s’agit de Molière ou de Marivaux.
En effet, on assiste au stress d’une première représentation ; puis, dans la peau d’un autre personnage, à l’oubli du texte, au grand blanc, et on entend alors la détresse du comédien, sa panique, dans un mélange de rire et de compassion. Pratiquant moi-même le théâtre, je me suis parfois reconnue dans ce personnage, par exemple au moment du stress avant la première représentation, mais je pense que les spectateurs ne faisant pas de théâtre ont aussi ressenti tous ces sentiments très fortement car le comédien les exposait très clairement.
A la fin de la pièce, l’acteur vient de finir l’une de ses tournées, après de nombreuses représentations, il rentre chez lui, et c’est la première fois que l’on voit le comédien chez lui, et il s’allonge donc sur la table transformée en lit, et il y a  une petite ampoule qui pend du plafond. Ce ne sont plus les lumières du plateau qui éclairent le comédien, mais juste cette petite ampoule, ce qui montre bien que le comédien n’est plus sous la lumière des projecteurs du plateau sur lequel il a passé beaucoup de temps ; cela met encore plus en évidence le fait que le comédien est chez lui.
Ce monologue procure donc beaucoup de sensations aux spectateurs, la représentation dure 1h, n’est donc pas très longue et est pleine de rebondissements comiques, par exemple lorsque le comédien raconte et nous transmet très rapidement, dans un flux de paroles comiques et naturelles, la sensation qu'il ressent au moment où il oublie totalement son texte, ou encore de beaux moments de silence, de suspension. La pièce nous présente de beaux moments de théâtre ainsi que des moments plus compliqués pour un acteur, c’est une vision des gammes de jeu très complète qui nous a été présentée dans cette pièce.
La performance de l'acteur, seul sur scène est impressionnante à mon avis, car celui-ci tient le public en haleine, on veut connaître les différentes aventures de ce comédien auquel on s'attache assez rapidement. Les moments émouvants de la pièce augmentent notre émotion, notamment lorsque le comédien parle de son frère cadet, qui travaillait à la Comédie Française en tant que doublure lumière de son frère, c'est- à- dire qu'il devait se placer sur le plateau aux places occupées par son frère, pour que l'on puisse faire les réglages de lumières. Son frère qui était dépressif semblait plus heureux pendant cette période de sa vie où son frère l'hébergeait mais celui-ci a quand même finit par se suicider, ce qui est profondément inscrit dans la vie du personnage. La pièce n'est donc pas seulement comique, mais également touchante, ce qui accentue notre attachement au personnage. 
La performance de l'acteur est d'autant plus bluffante que ce texte et la langue de Podalydès sont assez complexe, notamment avec la difficulté pour le comédien d'incarner plusieurs personnages à la fois et en même temps exprimer ses pensées, dans un rythme plutôt soutenu. Podalydès nous montre à travers ce texte, que l'on peut voir comme contenant une dimension autobiographique, qu'il y a des bons et mauvais moments dans la vie d'acteur, des moments plus ou moins stressants, mais également des moments où le comédien prend plus de plaisir que d'autres. Mais aussi les moments de doutes et de difficultés, comme lorsque le comédien n'arrive pas à comprendre entièrement son personnage et donc à l'incarner de façon crédible.