vendredi 13 novembre 2015

Analyse de l'exodos des Bacchantes

(...)Aux vers 1202 à 1203, Agavé s’adresse avec solennité à tous les citoyens de Thèbes, et se vante de sa victoire. Elle les invite à venir contempler son trophée, qu’elle pense être une tête de lion. Des figurants, représentant le peuple, peuvent sans doute commencer à s’avancer pour écouter sa tirade. La folie d’Agavé ne se fait pas sentir de manière syntaxique mais dans le fond même du discours. Elle se vante en effet d’âtre sortie de sa condition de femme, ce qui constitue un acte contre nature. Elle va même jusqu’à supposer la femme supérieure à l’homme, discours mal venu dans une société patriarcale où aucune femme ne peut accéder à la citoyenneté. Les « mains blanches » destinées par la société à des tâches bien précises comme l’éducation, la tenue de la maison ou encore le travail du tissu, sont jugées plus efficaces que les « javelots thessaliens » et les « mailles d’un filet », objets viriles. Le spectateur va assister à la montée de l’ironie tragique quand Agavé va appeller son père Kadmos au vers 1210, et son fils Penthée au vers 1211. On peut l’imaginer se tournant de tous côtés, appelant du regard et du geste le fils qu’elle a assassiné d’une manière horrible à l’épisode précédent. Le spectateur peut mesurer l’ampleur de sa folie alors qu’elle demande à Penthée son trophée, la supposée « tête du lion », au sommet des colonnes doriques du palais. Le siège du pouvoir est ainsi vidé de son sens puisque celui censé l’incarner est non seulement mort mais exhibé devant ses murs, déjà mis à mal par Dionysos lors de son évasion. Au vers 1215, la tirade d’Agavé se termine par une nouvelle désignation de la tête de Penthée comme « tête du lion, ce butin », mettant en valeur l’illusoire fierté de la princesse.
Kadmos répond à l’appel de sa fille, il entre par la parodos dans l’orchestra, suivi d’une escorte de serviteurs portant le corps démembré de Penthée. Le spectateur commence peut-être à voir apercevoir leur lente progression à partir du vers 1210. Kadmos n’a pas été témoin du meurtre de Penthée dans la montagne, mais un messager lui a décrit la scène. Le spectateur ne peut jusqu’ici que supposer l’intensité de la douleur du roi car le corps de Penthée a été rassemblé hors de l’espace scénique. C’est à cette occasion que Kadmos a été pénétré par l’étendue du malheur qui frappe sa famille. En pénétrant dans l’orchestra, jusqu’alors occupée par Agavé, Kadmos entre dans un espace de douleur symbolisé par la présence de la tête de Penthée, dernier vestige de l’épisode meurtirer du Cithéron.
Les vers 1216 à 1218 décrivent le parcours des figurants, arrivant par la parodos et s’arrêtant devant le palais pour déposer la civièrer contenant les membres de Penthée. Le cadavre est exposé dans une scène de monstration annoncée par la formation d’un premier cortège funèbre. Cette procession ritualisée attire l’attention du spectateur sur le cadavre, finalement déposé au centre de l’orchestra, devant le palais. Tout au long du dialogue entre Kadmos et Agavé, le spectateur aura ainsi toujours en vue le spectacle morbide de débris du cadavre de Penthée. Kadmos rapporte aux vers 1219 à 1227 la recherche du corps de Penthée, « ses lambeaux », dans le Cithéron. Ce discours peut se faire devant le corps même, focalisant le regard du spectateur sur la civière. Il condamne déjà « le forfait » des filles de Thèbes, puisque il a pu vérifier la véracité du récit du messager en se rendant lui-même dans la montagne. Ce mouvement montre une première différence entre Kadmos et Agavé : celle-ci a descendu la montagne avec un morceau du corps tandis que Kadmos a du monter à la recherche des restes de Penthée.
Au vers 1227, Kadmos fait mention de la filiation à Actéon, qui est le cousin germain de Penthée. La mort du fils d’Agavé ressemble en effet à celle du fils d’Autonoé, dans le Cithéron, où il a été déchiré par ses chiens, également victime d’une sentence divine. Une fois dans le Cithéron, on a informé Kadmos du parcours de d’Agavé et une fois encore il peut vérifier lui-même de l’authenticité de l’information. Aux yeux du spectateur, Kadmos est donc celui a recherché la vérité et la porte en lui. Peut-être s’est-il lentement approcher des spectateurs pour conter sa montée au Cithéron puisqu’il aperçoit Agavé au vers 1232. Le dialogue va alors s’engager. La folie d’Agavé est rappelée au spectateur, elle brandit sûrement encore la tête de Penthée puisque qu’en la voyant, Kadmos s’écrie « affreuse vision ».
Le caractère tragique de cet épisode est rappelé au vers 1233 par la persistance du malentendu entre Agavé et Kadmos. Agavé n’a pas entendu la tirade de son père et persiste à se vanter de son acte. Elle encourage son père à prendre son parti, à se faire orgueil du meurtre perpétré par les ménades. Elle lui rappelle qu’elle est sortie de sa condition de femme et surenchérie par l’utilisation du superlatif « les filles les plus braves », qui donne un caractère emphatique à sa forfanterie. Or dans la Grèce du Vème siècle, on ne vantait guère de la naissance d’une fille et l’affirmation d’Agavé prend un caractère paradoxal. Elle est fière d’avoir abandonné les occupations habituelles des femmes pour le culte dionysiaque, ce que lui reprochait Penthée au vers 218. Au vers 1236, Agavé va plus loin en mettant en avant le rôle qu’elle a pris dans le meurtre de Penthée. Après le discours pathétique de Kadmos affligé par la mort de Penthée, les paroles d’Agavé nous plongent de nouveau dans l’horreur. Elle brandit d’ailleurs la tête de son fils et veut la donner à Kadmos, sur un ton solennel : «Ô mon père, reçois dans tes mains ce trophée. ». Au vers 1242, Agavé suggère l’organisation de libation pour célébrer son exploit, ce qui est sacrilège puisque le repas sous-entendrait la dévoration de chair humaine. Cette gradation dans l’horreur ne peut qu’accabler Kadmos et le spectateur : ce qu’Agavé prend pour un exploit est le crime d’une démente. Là où elle ne voit que bonheur, le spectateur ne peut voir que deuil.(...)
extrait d'un blog universitaire. L'ensemble de l'article est intéressant.