dimanche 29 novembre 2015

L'écriture de Martin Crimp dans la campagne

Une écriture formelle
Préambule : Martin Crimp écrit des fictions, puis des pièces de théâtre. Au départ, il
se dit influencé par Beckett, puis, peu à peu, il trouve son propre chemin. «La lecture
de James Joyce m'a bouleversé. Je n'ai plus écrit de la même manire après voir adoré
Finnegans Wake.» Martin Crimp change alors sa façon d'aborder l'écriture théâtrale. «Je
choisis d'abord la forme, ensuite vient le sujet.»
D'où une écriture parfois savante, cisaillée qui délaisse la narration. Probablement les
Bahamas, pièce radiophonique écrite en 1987, « marque la rupture avec mes toutes
premières pièces », explique-t-il.
Son théâtre est un théâtre de la fausse conversation, il faut déchiffrer les codes d’une
écriture induisant ce rapport si particulier entre des personnages en recherche ou en perte
de repères.
L’histoire pourrait être simple mais l’on est intrigué par ces dialogues ambigus, où les
mots, les phrases fusent comme dans un jeu de fléchettes dont la cible serait un peu floue.
L’écriture de La Campagne, très « pintérienne », avance sur le mode du secret, du contenu
occulté et de l’étrange.
On pourrait dire qu’il ne s’y passe rien, en apparence. L’action se situe dans la parole
cisaillée et fluide; c’est la force de cette pièce bourrée d’indices et de fausses pistes;
on peut la lire comme une carte où les chemins se croisent, s’arrêtent brusquement, se
divisent, nous éclairent pour mieux nous perdre. Une parole qui interroge, qui ment, qui
domine et esquive. Les dialogues fusent comme un échange de balles dans une partie de
ping–pong en cinq parties.

 L’histoire
C’est une intrigue linéaire construite en cinq scènes ou tableaux. Les personnages sont
clairement délimités : un médecin londonien, sa femme et Rebecca, une jeune chercheuse
américaine. L’histoire se passe de nos jours.
Richard et Corinne ont quitté Londres depuis peu pour vivre dans la lande anglaise.
Le couple voit son équilibre perturbé par des personnages absents et par la présence
lancinante d’un troisième personnage : Rebecca. Un soir, Ricahrd ramène au foyer une
jeune inconnue qu’il a trouvée étendue sur le bord de la route, prétend-il. De dialogues en
défilades, le doute s’installe peu à peu dans l’esprit de sa femme puis au gré des ricochets
des dialogues, dans celui du spectateur.

 La Campagne inventorie des genres connus : le vaudeville, la comédie noire, le théâtre de
l’intime, le thriller, le conte de fées…
 La bergère et ses moutons, Cendrillon qui enfile ses chaussures qui ne lui vont pas, La Belle au bois dormant à laquelle Corinne pourrait s’identifier en quémandant désespérément un baiser,Alice au Pays des Merveilles, évoluant dans un monde aux dimensions rétrécies…

 Pourquoi pourrait-on dire que le fantôme de Shakespeare plane au dessus de cette
écriture ?
On pense à la comédie pastorale As you like it (Comme il vous plaira) (1599), à la
tragédie Macbeth (1606) ou à la tragicomédie The Winter’s Tale (Le Conte d’hiver)
(1610). Il y a dans ces pièces, une contigüité du comique et du tragique, on y conjure
toujours des spectres noirs, on y frôle en permanence une menace et une folie dont des
auteurs britanniques contemporains comme Marin Crimp ont certainement hérité.

 Les personnages
Certains sont là, sur scène, d’autres sont évoqués, d’autres sont en filigrane.
Les premiers sont Richard (médecin londonien), Corinne (son épouse) et Rebecca (étudiante
en histoire, maitresse de Richard). Les seconds, sont ceux dont on parle, comme les
enfants. Les derniers ne font que parler, et surtout relancer l’action, mais de loin, sans être
ni visibles ni directement entendus (Morris, Sophie).