La première scène de la pièce, c’est-à-dire le passage par
la forêt pour fuir la révolution.
Au moment où les
spectateurs entrent dans la salle, ils peuvent voir une façade et un mobilier
qui rappellent l’Ancien Régime. Certains éléments de ce mobilier sont
renversés, comme un premier signe du bouleversement engendré par la Révolution.
Puis, la toile disparaît, comme si le château des Almaviva était détruit.
Christophe Rauck choisit de montrer la fin d’un monde ancien par
l’intermédiaire de la scénographie. La musique permet aussi d’évoquer la
révolution puisque l’air de Chérubin dans les Noces de Figaro, « Voi che
sapete », est entendu au lointain, comme s’il devenait un chant révolutionnaire
entonné dans le pays que quittent les personnages. Une forte lumière éblouit le
spectateur avant de le plonger dans le noir, dans cette nuit complète que vont
traverser les personnages ; ces derniers cherchent leur chemin au milieu d’une
nuit d’encre et seule la lueur de la lune projetée sur l’écran du fond vient
les éclairer faiblement. Un cerf, rappelant le monde sauvage de la forêt,
apparaît en ombre, faisant écho à la mise en scène du Mariage de Figaro de
Christophe Rauck à la Comédie-Française. Dans les croquis préparatoires de la
scénographe, on peut voir en gros plan, sur l’écran du fond, le visage de la
Comtesse. Même si cette idée n’a pas été retenue au moment de la création de la
pièce, les indices qui nous sont donnés sur ce personnage peuvent nous éclairer
sur les partis-pris du metteur en scène. En effet, la Comtesse apparaît sous un
jour lunaire et tient autant du personnage de Pierrot que du personnage joué
par Marlène Dietrich dans L’Ange bleu de Joseph Von Sternberg ou encore
de la Mort dans Le Septième sceau de Bergman (ces références
apparaissent dans les croquis préparatoires de la scénographe du spectacle,
voir « Annexe 12. Croquis et documents d’inspiration pour le tableau 1 de
l’acte I », page 42). Cette première scène annonce déjà la mort de la Comtesse
après l’exil. Cette dernière va, en effet, subir une dégradation physique et
mentale. Il est question de ses hallucinations dès le deuxième tableau dans les
propos de Suzanne : « La pauvre comtesse ne trouve pas l’apaisement, on lui a
fait une piqûre, mais elle entend des bruits de pas et se croit tout le temps
poursuivie » ; on apprend au tableau 4 qu’elle a fait un séjour en sanatorium
durant sept semaines ou plutôt dans « un asile de fous pour les gens de la
haute » d’après Figaro, et son vieillissement prématuré est indiqué à travers
la didascalie du tableau 2 de l’acte II : « Ses cheveux ont blanchi » ;
elle semble dépérir à chaque nouvelle apparition. La fourrure qu’elle porte
dans cette première scène deviendra une couverture dans le deuxième acte.
Christophe Rauck fait d’elle une figure éthérée, lunaire, plongée dans l’enfer
nocturne de la forêt comme s’il s’agissait d’un mauvais rêve, car elle
représente aussi la fin d’un vieux monde, celui de l’Ancien Régime, qui n’est
plus qu’un fantôme. Qu’il s’agisse des croquis préparatoires ou de la mise en
scène définitive, on peut percevoir un travail sur l’onirisme dans cette scène.A
partir du moment où la façade du palais – qui pourrait symboliser l’Ancien
Régime, ce monde qui s’effondre au moment de la Révolution, mais qui renvoie
aussi à un certain type de théâtre, ancien, qui utilise un « décor » fait d’une
toile peinte – disparaît au tout début de la représentation et que le
spectateur est plongé dans la nuit, un nouveau dispositif scénique, moderne, se
met en place.