mardi 6 décembre 2016

illusions Comiques d'Olivier Py: présentation par l'auteur metteur en scène

 
Les Illusions comiques s'ouvrent sur un cauchemar en forme de farce  ; le poète, « Moi-même », découvre avec ses camarades que le monde entier est soucieux de sa parole. Les journalistes, les politiques, les prélats, les marchands de mode, sont soudainement pris d'une épidémie d'amour du théâtre. Comme si la mort des - ismes avait en dernier recours ouvert une ère du théâtre, comme si l'humanité avouait qu'il est le seul outil de métaphysique, ou au contraire la seule manière d'échapper à la métaphysique, la seule manière de vivre dignement.

Le poète résiste d'abord à cette position inconfortable de « la parole entendue », mais, pris de vertige et poussé par sa mère, accepte toutes les responsabilités du siècle. Il devient en quelques heures le prophète et le héros qui peut répondre à tous les désarrois du temps et à toutes les inquiétudes éternelles. Il sort de son rôle de contradicteur et d'exilé, il n'est plus excentrique, il est le centre. On remet dans ses mains le pouvoir suprême de changer le monde, on laisse son théâtre agir sur le réel et non plus sur le symbolique. Le pape lui-même vient lui demander conseil. Lui seul est à même de donner ce qui est plus précieux que l'égalité sociale, le sens de la vie.

De leur côté, ses camarades comédiens Mademoiselle Mazev, Messieurs Fau, Girard, Balazuc, dans leurs propres rôles, restent dubitatifs sur ce succès planétaire de leur art et défendent que ce que le théâtre doit faire pour le monde, c'est du théâtre et du théâtre seulement.

On voit bien que le sujet est trop grave pour susciter autre chose qu'une comédie. Cette comédie donc, bien qu'elle emprunte son titre à Corneille, est une paraphrase de L'Impromptu de Versailles . La troupe où chacun joue son propre rôle, tente de donner non pas une mais cent définitions du théâtre et d'en parcourir son orbe. Elle fait entrer dans la cuisine obscène des répétitions et de la question de l'esthétique du jeu, on y assiste à l'ivresse et au vertige de figurer l'humain. Mais les questions d'artisanat conduisent vite aux questions fondamentales. Le théâtre peut-il être encore politique ? Le théâtre est-il une image ? le théâtre est-il sacré et par quel mystère ? Le théâtre est-il une sorte de religion du sens ou au contraire ce qui nous apprend à vivre dans l'absence du sens ? Les différentes questions qui ont agité le bocal avignonnais l'été dernier sont réfléchies dans tous les miroirs possibles, théologie, révolution, statut de l'image, civisme, politique culturelle, etc...

Les quatre acteurs et le poète jonglent exagérément avec les masques pour figurer poète mort, politiciens de tout poil, mère de vaudeville, tante de province, pape, chien philosophique, fanatiques, philosophes, autant de figures du monde qu'il est nécessaire pour appréhender cent définitions du théâtre.
J'aimerais pouvoir rendre hommage aux acteurs Mademoiselle Mazev, Monsieur Fau et Monsieur Girard qui, pendant quinze ans, m'ont enseigné l'art théâtral, et je les en remercie en volant leur parole, en me l'attribuant, avant de la remettre dans leurs voix comme si elle ne s'en était jamais enfuie. Ils savent une chose de l'homme et ont l'habitude de ne la dire que comme une farce. Moi, j'ai parfois entendu ce qu'il fallait entendre et le poète s'est réchauffé à leurs paroles essentielles et à leurs mots d'esprit. Il est temps que je leur rende ce que je leur dois et leur offre la possibilité d'être absolument ridicules en jouant leurs propres personnages. À la différence du metteur en scène, l'acteur ne commente pas le théâtre, il est le théâtre.

Le spectacle a la prétention ridicule de tout dire sur l'art dramatique et le mystère théâtral. La cavalcade politique du poète, à qui on demande plus que des mots, est entrecoupée de leçons de théâtre, dans lesquelles on découvre que le théâtre de boulevard, la tragédie et le drame lyrique sont trois pensées de l'homme et de sa parole. Cette farce, pièce satirique, comédie philosophique, c'est l'art de faire du rire avec notre impuissance. Cette impuissance est peut-être la pensée la plus nécessaire à l'homme de théâtre et il n'y atteindra, comme l'a fait Jean-Luc Lagarce -figuré ici par "Le poète mort trop tôt"- à qui est dédié la pièce, que dans un éclat de rire.

C'était pour moi l'occasion de sculpter une sorte de tombeau de Jean-Luc Lagarce , comme on le disait de ces textes qui, au grand siècle, servaient de mausolée littéraire à un homme disparu. Échappé à l'immortalité, il est un spectre qui revient comme reviennent les spectres au théâtre, paternel et exigeant.
Il n'y avait pas pour Jean-Luc Lagarce une place pour le théâtre, toute la place était pour le théâtre. Le théâtre seul était son amitié dans l'agonie et dans le doute. Il n'a jamais cherché à le comprendre absolument, il s'est laissé éblouir par sa lumière, il a simplement célébré sa magie.

C'est quand le théâtre parle de lui-même qu'il parle paradoxalement le plus justement du monde . C'est à partir de son ambition folle que l'on peut attiser le feu du comique. Les grandes paroles dont j'ai fait parfois mon style ont ici l'air de se parodier. Nous vivons trop dans l'actualité et trop peu dans le présent. Tout comique est au fond un moraliste, mais un moraliste qui a l'honnêteté de dire : « Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ». Ou, pour dire autrement, il y a deux sortes de comiques, ceux qui rient des autres et ceux qui rient d'eux-mêmes. Et plus mystérieux encore, ceux qui veulent rire des autres ne font que se démasquer et ceux qui cherchent à rire d'eux-mêmes trouvent quelquefois, dans la boue de leur anecdote, des mythes écornés, des vérités inquiètes, des sagesses boiteuses, des rites inversés, des viatiques saugrenus... autant de bois sec que l'on ne peut dédaigner à l'approche de l'hiver.
Olivier Py, décembre 2005