jeudi 23 mars 2017

Le choeur dans les Bacchantes d'Ingmar Bergman

D'après https://www.unicaen.fr/puc/images/k141213legangneux.pdf

Rôle dramaturgique du chœur  dans la mise en scène d'Ingmar Bergman:

Le chœur met en scène la religion dionysiaque
Chacune des 14 femmes qui composent le chœur a reçu une lettre grecque et ont lui a inventé une histoire, des relations particulières au sein du groupe, une origine géographique ( une carte indique d’ailleurs leur déplacements depuis la Bactriane, la Médie, la Phrygie ou la Thrace), de quelle façon elles sont entrées chacune dans le ménadisme. Allier destinée individuelle et comportement collectif. Textes des chants dits par une ou plusieurs bacchantes individuellement ou en chœur, déplacements eux collectifs.
Chœur a une présence collective très forte ( version filmée gros plans) loin de la conception antique où tous les choreutes portaient le même costume et masque
Transe dionysiaque permettait une relation individuelle avec le dieu aussi. Transe frénétique qui peut aller jusqu’à l’hystérie individuelle de l’adepte, mouvements de danse d’abord mesurés, gestes de délire sous l’impulsion d’une musique de plus en plus obsédante. Sommet de la parodos quand doublure de Dionysos sort de l’armoire, le choeur se roule ar terre en tendant les mains vers lui. Puis agitation individuelle, femmes éparpillées dans l’espace.
A l’opposé de la frénésie de la parodos, le 1er stasimon montre l’autre face de la religion dionysiaque : douceur de la relation fusionnelle au dieu, paix de la conscience qui a atteint à la connaissance de l’Autre
Bienfaits de Dionysos vs hybris du tyran, moment de calme et d’harmonie après la violence de Penthée contre Cadmos et Tirésias en les jetant à terre et en les matraquant. Double de Dionysos sort de l’armoire dès la fin de la strophe et descend de l’estrade pour s’intégrer au cercle des Bacchantes dans un mouvement de bercement et de balancement de l’ensemble du chœur. Relation sensuelle au dieu par des caresses et la fusion des corps ; échanges individuels des regards, face à face avec la divinité. Chaque bacchante rejoint personnellement son dieu en se perdant dans la contemplation de son masque ; musique douce, bien être du choeur. Brisé par l’arrivée brutale des gardes de Penthée qui installent le fauteuil royal à l’avant scène juste devant les bacchantes obligée de fuir vers l’estrade où le double du dieu les protègera de ses bras étendus en croix, scène d’adoration : effet d’illusion : illusion de l’amour de Dionysos pour ses adeptes, mais idole vide, illusion de sa bonté et de ses bonnes intentions à leur égard alors même qu’elles ne sont que l’instrument de sa vengeance.
Chœur = spectateur privilégié
4 scènes de récit décrivent les miracles provoqués par Dionysos qui ne peuvent être vus sur scène : deux récits des agissements des thébaines sur le Cithéron, de l’évasion du Lydien que Penthée a pris pour un taureau et du meurtre de Penthée rôle essentiel du chœur en tant que spectateur : unique destinataire du récit, le place dos au public à plusieurs reprises, obligeant le public à s’interroger sur son statut.
Lors du récit de la mort de Penthée le chœur se lève et semble vouloir faire subir au messager le même sort que Penthée : processus d’identification du spectateur aux acteurs du drame ;
Deux scènes orchestrées par Dionysos semblent se répondre en miroir : celle où le Lydien rapporte son évasion à son thiase enthousiaste assis en cercle devant lui : mime en partie les actions, réactions de rires et applaudissement du chœur au récit des hallucinations du roi. Le spectacle organisé par Dionysos pour le chœur fait oublier la violence dont elles ont été victimes pendant la destruction du palais. Illusion théâtrale construite essentiellement sur la parole prélude à la véritable mise en scène de l’aveuglement de Penthée où le personnage viendra jouer son rôle pour le chœur.
 et celle où il arrange le déguisement de Penthée.
Le « public » attend l’entrée du roi cf Penthée sors du palais, et viens t’offrir à notre vue en toilette de femme, en ménade, en bacchante… »
Ironiquement celui qui veut être spectateur du culte bachique et qui va bientôt en être participant malgré lui est d’abord un acteur qui joue un spectacle : Penthée occupe le centre de la scène pendant que les bacchantes sont assises face à lui dos au public Penthée qui veut voir à la vision troublée ; il ne peut distinguer ni Dionysos ni lui même ni les bacchantes qu’il a sous les yeux mais qu’il espère épier au Cithéron
Chœur à l’origine de l’épiphanie dionysiaque
 Chœur ne se contente pas de regarder l’action et de la commenter, rôle actif dans la montée de la tension dramatique en réclamant et provoquant le déchainement de la violence divine d’abord sur le palais de Penthée puis sur sa personne.
Puissance magique
2ème stasimon : chœur répond à la menace proférée à son encontre par Penthée ; Bergman n’a gardé que l’antistrophe où les Bacchantes reviennent sur l’hérédité monstrueuse de Penthée et appellent Dionysos à venir les venger. Rôle du chœur dans la destruction du palais : investit l’espace scénique horizontalement et verticalement, coryphée est debout sur une pierre en avant scène, d’autres femmes derrière lui assise, à genoux, debout, d’autres en arrière plan sur l’estrade autour du double de Dionysos. Prise de pouvoir du dieu sur l’espace thébain appel au dieu les bras tendus vers le ciel.
Prière du chœur suivie d’effet, dieu qui répond en voix off, extraordinaire, les bacchantes demandent l’identification de cette voix : cf théâtre antique personnage seulement reconnaissable à son masque pas à sa voix, identifiable par quelqu’un qui voit.
Tension soulignée par l’éclairage : pénombre, puis lumière rouge, dès que les phénomènes surnaturels débutent, le double entre dans l’armoire pour réapparaître sur le toit : armoire image du palais secoué de tremblements, ambigüité dans la réaction des bacchantes : elles ont appelé le dieu et pourtant sont épouvantées par les conséquences de leur prière, s’enfuient en hurlant côté cour mais des éclairs les contraignent à se réfugier au centre en formation pyramidale autour de l’une d’entre elles qui paraît pouvoir canaliser les forces surnaturelles de son bras levé, geste identique à celui du double sur l’armoire. Morceaux de décor qui s’abattent autour d’elles : boules gigantesques traversant la scène, poutre enflammées, se jettent à terre conformément au texte.

Vous trouverez quelques photos de cette mise en scène sur le site de mes collègues de Théâtre en Nord