jeudi 18 mai 2017

Corrigé du sujet sur Dionysos (2)

Exemple de traitement des enjeux dramaturgiques du personnage et de l'analyse des documents. J'ai laissé mes remarques pour que vous compreniez comment aller au-delà de ce qui est proposé par l'élève qui se reconnaîtra.



Dionysos est chez Euripide un personnage extrêmement complexe. Venu pour imposer son culte à Thèbes, ville ne reconnaissant pas son statut de dieu, Dionysos se présente comme une sorte de gourou à la tête des Lydiennes venues d’Asie. Dionysos est avant tout un personnage ambivalent : il se présente dans la pièce sous une forme humaine, « un charlatan, un sorcier du pays de Lydie, une blondeur bouclée, les cheveux parfumés, les joues couleur vin, les grâces d’Aphrodite dans les yeux » (V.234-236). ( Qui dit cela ?)Il est à la fois le Dieu qui s’incarne en l’Homme et le Dieu se battant pour sa reconnaissance en tant que Dieu. Les diverses facettes de Dionysos font de lui une figure ouverte, résistant à toute possibilité de totalisation. Il est inidentifiable : Il n’est pas un Dieu selon les canons ordinaires, n’est pas un animal malgré ses attributs de bouc, n’est pas un homme non plus même si Euripide fait dans Les Bacchantes un portrait étrangement humain, dans toute la violence des passions  de Dionysos. ( Cite le prologue.)  Ce qui pose problème dans cette tragédie, c’est la faute minime que commet Penthée. Finalement, en opposition à d’autres tragédies, la faute du héros tragique est infime : il s’oppose à un culte avec son autorité de roi. Sa mort est une sentence démesurée quant à l’étendue de sa faute et le punit lui mais également sa mère Agavé et son grand-père Cadmos, qui ne manque pas de faire remarquer à Dionysos «  Tu vas trop fort » (V.1347). ( N’est-ce pas un peu tôt pour parler de cela ?) Dionysos peut donc être conçu comme un Dieu en quête de reconnaissance mais également comme une force tyrannique et vengeresse. Cette humanité du personnage pose une question dramaturgique. Où se situe chez Dionysos la frontière entre humanité et divinité ? Le besoin de reconnaissance, l’orgueil et la démesure ne sont-ils pas des caractéristiques humaines ? Cadmos ne manque pas de le rappeler à Dionysos à l’exodos : «  Il n’est pas bon que les dieux ressemblent aux hommes par leurs colères ! » (V. 1347-1348). Si d’une part Dionysos se présente comme un homme, ambassadeur en quelque sorte du Dieu, d’autre part Dionysos est bel et bien un Dieu. Il détache par exemple sans efforts les liens dans lesquels Penthée l’avait enfermé et procure des pouvoirs surnaturels aux Bacchantes : « L’une prend son thyrse ; elle en frappe un rocher : Il en jaillit un flot d’eau pure. Une autre dans le sol plante sa hampe, et le dieu en fait sourdre une source de vin. » (V. 705-712) ( Rattache mieux tes citations à ton discours.) Cette ambiguïté  de Dionysos pose la question suivante : la pièce doit-elle être lue comme un hommage aux rites de Dionysos, comme une mise en garde pour ceux qui ne suivent pas le Dieu ou au contraire comme une critique envers le Dieu bachique ?  Le lien qu’entretient Dionysos avec ses bacchantes est également une piste dramaturgique à analyser. Il est le guide : «  maître, ô rugissant, tu es un grand dieu, tu le montres ! » (V.1031). C’est à travers les acclamations et les dires des Bacchantes que  Dionysos existe en tant que Dieu. Ce sont elles qui montrent la puissance de Bacchus et qui rendent possible sa vengeance. Ce sont les ménades également qui évoquent les pratiques, les rituels et l’histoire de Dionysos : «  Qu’autrefois, dans la douleur forée de ses couches, sa mère mit au monde par le tonnerre » (V. 88-90). Dionysos ne serait-il pas existant en tant que Dieu qu’à travers ses fidèles ? D’un tout autre point de vue Dionysos pourrait être celui qui manipule, qui est à l’origine de la tragédie. Il faut rappeler avant tout que Dionysos est le dieu du théâtre qui est mis en scène dans une tragédie. Cette mis en abyme du personnage crée deux niveaux. Celui du metteur en scène et des acteurs manipulés par ce dernier. Dionysos pourrait être vu comme un double d’Euripide, qui manipule les personnages et fait avancer l’intrigue en étant une sorte de relais du metteur en scène. Il met par exemple en scène la venue de Penthée dans les Montagnes en le déguisant en femme : «  Quelle toilette ? Celle d’une femme ? Je suis gêné. » (V.828). C’est en manipulant les autres que le Dieu vient à ses fins. Le travestissement de Dionysos en homme se reflète d’ailleurs dans le travestissement de Penthée.                                             En résumé pour pouvoir traiter Dionysos scéniquement il faut choisir une des conceptions possibles du personnage. Ma conception personnelle de Dionysos serait une conception d’un Dieu absolument humain. Il faudrait alors enlever tout le caractère sacré au personnage et mettre en avant les passions infiniment humaines qui le traversent. Cette conception doit être éclairée par des documents iconographiques. (L’ensemble est intéressant, peut-être un peu confus dans sa rédaction. L’on a intérêt d’abord à examiner la présence du personnage dans la pièce en retraçant les différentes formes d’apparitions du dieu dans la fable avant d’évoquer les interprétations plus complexes et sophistiquées. Les majuscules à dieu et à homme sont aussi à interroger.)
La phrase de transition peut être un peu développée. Les documents que propose le sujet sont…L’on eut aussi pu  penser du coup à les regrouper par thématiques.
Le premier document est un dessin d’Odile Redon ( Fais une recherche pour savoir qui il est.) intitulé L’esprit gardien des eaux et conçu en 1878. Ce dessin de fusain sur papier est réparti en deux zones bien définies. En bas du dessin se trouve une surface aquatique sur laquelle sont reconnaissables des mouettes et un petit voilier. En haut du dessin, le ciel est dans les tons jaunes orangés, ce qui renvoie sans aucun doute à la divinité mais aussi à la joie, à la fête et à la puissance. A gauche du dessin se trouve une tête d’homme immense semblant flotter au-dessus des eaux. Cette tête a une expression  bienveillante, regarde le voilier avec l’esquisse d’un sourire et est auréolé de lumière. Ici c’est Dionysos dans toute sa grandeur de Dieu que l’on peut retrouver. Dans la mythologie grecque, Apollon l’opposé de Dionysos est connu comme étant le Dieu du soleil, de l’ordre, de la force souveraine. Dionysos lui est avant tout la divinité de la végétation, du ganos (humidité vivifiante). Dionysos est l’élan vital, spontané, déchaîné et vital. Mais aussi le dieu lié à la fécondité, à l’humidité de la mer et des marais. Le dessin pourrait représenter ce couple Apollon-Dionysos, Apollon comme le soleil, Dionysos comme la mer déchaînée et sauvage.  Quoi qu’il en soit, ce premier document donne une vision d’un Dionysos Dieu qui veille sur les flots, qui pourraient être transposés comme étant les bacchantes. La conception du Dionysos sur cette image est très positive au premier abord puisqu’elle montre un Dionysos paternel, entouré de lumière et veillant sur ses fidèles. En y regardant à deux fois cependant, la taille de la tête disproportionnée du Dieu  et sa position flottante au-dessus des eaux pourraient traduire une forme d’hybris, de toute-puissance orgueilleuse. Dans ce cas, le dessin montrerait un Dionysos orgueilleux se comportant avec les autres comme s’il était le centre du Monde ou encore la volonté de Dionysos de s’affirmer devant le peuple thébain comme un dieu : «  à cause de quoi je leur montrerai que je suis dieu «  (v. 47)( Insère tes citations dans ton discours. Ne te contente pas de les juxtaposer. Il manque le développement des pistes scéniques que l’image pourrait suggérer.))
Le deuxième document pourrait servir d’une sorte de transition entre le premier document et les deux autres car le Dionysos dieu prend petit à petit forme humaine. Ce travestissement humain est très important puisque dans la pièce Dionysos dit : « j’ai changé ma forme de dieu ; c’est en homme que j’approche les flots de Dircé et de l’eau d’Isménos » (V. 4/5) Il s’agit d’une photographie de John Galliano prise par Richard Avedon pour le magazine Egoïste en 1999. Cette photographie, dans les tons bleus montre John Galliano à l’extrême droite de l’image. Les couleurs foncées utilisées donnent une ambiance sinistre et mystérieuse à la photo. Le geste de John Galliano surtout est très symbolique. Il dessine avec sa main des cornes de bouc. Or Dionysos est associé au bouc animal jugé particulièrement prolifique. Le chœur mentionnera le bouc en disant : «  il poursuit le sang du meurtre d’un bouc » (v. 139) Il ne faut pas oublier que Dionysos est le Dieu du théâtre et entre autres de la tragédie. Or le mot tragédie vient de tragos qui signifie sacrifice d’un bouc.  C’est donc ici, toute la fonction de dieu de Dionysos qui est évoqué. Dieu  de la végétation et de tous les sucs vitaux, Dionysos est à la fois Dieu avec ses attributs, homme mais également animal. Cette faculté de métamorphose mène Dionysos vers son ambivalence. La photographie montre le côté sombre que peut avoir Dionysos selon les interprétations. Les couleurs utilisées, le regard plein de défi et d’insolence, la posture, les cornes faisant penser aux cornes du diable montrent le côté négatif de Dionysos. ( Pistes scéniques suggérées par l’image ? Il me semble que l’on aurait pu parler de la séduction érotique de Galliano également.)
Le troisième document est sans doute le plus énigmatique. Il s’agit d’un photogramme extrait d’une projection vidéo intitulée Tristan’s Ascension (the sound of a Mountain Under a Waterfall) de Bill Viola datant de 2005. Ce photogramme montre une cascade prenant toute la place et une silhouette semblant s’élever dans les airs que l’on distingue à peine. Ce document pourrait être mis en relation avec le premier document à cause de la place de l’eau. La figure humaine disparaît presque totalement derrière l’élément naturel. C’est une ombre que l’on voit s’élever au-dessus du sol sans pour autant disparaître dans les airs. C’est la place ambigüe de Dionysos qui pourrait être montrée par ce document. Mi-homme, mi dieu, Dionysos tend à s’élever au-dessus des hommes et à s’affirmer comme Dieu sans pour autant y parvenir tout à fait. Il est comme bloqué à un stade se situant entre humanité et divinité, ne trouvant sa place ni chez l’un ni chez l’autre. C’est cet entre-deux, sûrement lié à sa double naissance : « « dans la douleur forcée de ses couches, sa mère mit au monde » (V. 87-91), « aussitôt Zeus […] l’enfouit dans sa cuisse […] il le mit au monde » (V. 96-99). Cette naissance à la fois humaine et divine fait que Dionysos ne trouve pas réellement sa place. Les couleurs sombres de la photo et la position du corps en transe (rappelant fortement la danse des Bacchantes qualifiée de transe dionysiaque) évoquent le désir de puissance du Dieu. (Il faudrait je crois développer aussi l’idée de ses pouvoirs magiques, son don d’ubiquité aussi.)
               
Le dernier document est un photomontage s’intitulant DIsembodied body d’Ulric Colette datant de 2013. Le photomontage montre au premier plan un homme dont le buste a disparu, en arrière-plan une commode et une plante, le tout dans des couleurs assez sombres. L’homme, vêtu d’habits modernes a perdu une partie de son corps. Ce qui reste visible sur le photomontage sont les bras, la tête et les jambes. Cet assemblage entre visible et invisible peut être associé à Dionysos dans la mesure où ce dernier est un dieu s’incarnant en homme pour démontrer son pouvoir. La dualité homme-dieu est donc explicitée par ce dernier document. Plus que le côté protéiforme de Dionysos, c’est le côté magicien du dieu que l’on peut apercevoir ici. Il ne faut pas oublier que Dionysos a fait des miracles qu’aucun mortel n’aurait pu accomplir : «  pour cela je suis arrivé à changer l’espèce humaine et j’ai travesti ma forme propre dans une nature d’homme » (v.53-54). C’est un dieu magicien, sorcier que l’on peut apercevoir à travers ce photomontage qui fait grandement penser à un tour de magie. Penthée ne manque pas de rappeler dans la pièce, le côté magicien de Dionysos : «  j’ai souffert l’horreur, l’étranger m’a échappé, l’homme qui à l’instant était retenu de force dans des liens » (V 642-613). La position étrange de la tête et des bras enfin, montre le côté fou du dieu de la décadence, de la vie sous sa forme la plus insensée, la plus incontrôlée.

Pour conclure, les documents iconographiques peuvent être clairement répartis par grands thèmes. Il y a dans le document un la présence d’un Dionysos comme dieu absolu. Dans les trois autres documents c’est l’ambivalence de Dionysos qui est montrée. Le premier et le troisième document peuvent être reliés à cause de la thématique de l’eau fortement présente dans la pièce : «  j’approche les flots de Dircé et l’eau d’isménos » (V.4-5). Quoi qu’il en soit, les quatre documents montrent un personnage ne rentrant dans aucun des canons classiques de l’humain ou du divin.