Titre du spectacle en citation d’un des derniers textes en prose de Beckett
« Maintenant tel quelqu’un dans un lieu inconnu à la recherche de la sortie. Dans les ténèbres de jour ou de nuit d’un lieu inconnu à la recherche de la sortie. D’une sortie. Vers l’errance d’antan. Dans l’arrière-pays. »
Samuel Beckett , Soubresauts
C’est bien ce qui semble en jeu ici : pas de ce qui s’appelle un « théâtre », milieu, cadre ou décor où se déroulerait une action, mais d’un espace dynamique qui se creuse, se fait labyrinthique, se clôt, s’ouvre ; un flot qui noue et dénoue ses méandres de façon apparemment aléatoire.
Sont convoqués textes, tableaux, musiques des siècles passés
L’ensemble des fragments disent aussi l’état du monde. En témoigne le choix des fragments qui ressemblent à des pensées testamentaires, à la fin du règne de la “communauté des esprits” .. La profération de ces textes est souvent sobre, par contraste avec ce qu’ils charrient.
Le spectacle se termine sur un extrait de Labiche ( L’affaire de la rue de Lourcine). Mais là où le vaudeville déploie une énergie artificielle et joue en surrégime, Tanguy révèle le vide dont le vaudeville a peur et sa secrète dépression. La véritable énergie, celle du soulèvement, est ailleurs.
De manière mélancolique ou exaltée, à l’aide de lumières chaudes et de lumières froides, de corps sautillants et de corps inanimés, toujours en déséquilibres, ne tenant pas longtemps, toujours décadrés, recadrés, présents puis fuyants
Textes d’inspiration/Paroles du spectacle
-Journal de Franz Kafka, février septembre 1920
-Chanson d’une dame dans l’ombre, Paul Celan
Quand vient la Silencieuse et coupe la tête des tulipes :
Qui gagne ?
Qui perd ?
Qui s’avance vers la fenêtre ?
Qui nomme en premier son nom ?
Il en est un, qui porte mes cheveux
Il les porte comme on porte les morts à bout de bras.
Il les porte comme le ciel portait mes cheveux dans l’année, celle où j’aimais
Ainsi il les portait par vanité
Celui-là gagne.
Celui-là ne perd pas.
Celui-là ne s’avance pas vers la fenêtre
Celui-là ne nomme pas son nom.
Il en est un, qui a mes yeux.
il les a, depuis que les grandes portes se sont refermées.
il les porte comme anneau aux doigts.
Il les porte comme éclats de plaisir et de saphir :
Il était déjà mon frère à l’automne ;
Il compte déjà et les jours et les nuits.
Celui-là gagne.
Celui-là ne perd pas.
Celui-là ne s’avance pas vers la fenêtre
Celui-là nomme son nom en dernier.
Il en est un, qui a ce que j’ai dit.
Il le porte sous le bras comme un paquet.
Il le porte comme l’horloge porte sa plus mauvaise heure.
Il le porte de seuil en seuil, il ne le jette pas au loin.
Celui-là ne gagne pas.
Celui-là perd.
Celui-là s’avance vers la fenêtre
Celui-là nomme son nom en premier.
Celui-là sera décapité avec les tulipes
-Le banquet des cendres, Giordano Bruno :Ouvrage dans lequel il imagine l’univers infini, critique même Copernic pour son exactitude mathématique. Sera brûlé en 1600 pour athéisme
-Les Métamorphoses, livre VIII Ovide
-The rime of the ancient mariner, Samuel Taylor Coleridge
-L’âme et la danse, Paul Valéry :« Traité d’esthétique » sous forme de dialogue socratique
« « Ce qui n’arrivera jamais plus arrive magnifiquement devant nos yeux »
« Regarde, mais regarde, elle danse là-bas et donne aux yeux ce qu'ici tu essaies de nous dire... Elle fait voir l'instant. O quels joyaux elle traverse. Elle dérobe à la nature des attitudes impossibles, sous l'oeil même du Temps. Il se laisse tromper... Elle traverse impunément l'absurde. Elle est divine dans l'instable, elle en fait don à nos regards »
-La divine Comédie , Paradis, chant XXVI , Dante Alighieri
-Esthétique de la résistance, Peter Weiss : La tâche des personnages du roman, c’est d’avoir accès à l’art de telle sorte que ce soit vraiment le leur, qu’il y ait «appropriation de la culture des experts dans la perspective du monde vécu», selon les mots de Jürgen Habermas cités dans l’avertissement et faisant référence aux phrases suivantes du début du roman :
«Depuis lors, nos tentatives pour surmonter l’indigence de notre langage devinrent une des fonctions de notre existence, ce que nous trouvâmes alors, ce furent les premières articulations, des structures fondamentales à partir desquelles notre mutisme pouvait être surmonté et nous pûmes évaluer nos progrès dans un secteur culturel. Notre conception d’une culture ne coïncidait que rarement avec ce qui se présentait comme un énorme réservoir de biens, d’inventions et de sciences accumulées. Ne possédant rien, nous nous approchions d’abord avec crainte de tout ce qui avait été amassé, pleins de respect, jusqu’à ce qu’il nous apparaisse clairement qu’il nous fallait remplir tout ça de nos propres échelles de valeurs, que nous ne pourrions utiliser l’ensemble de ces notions que si elles exprimaient quelque chose concernant nos conditions de vie ainsi que les difficultés et les particularités de notre manière de penser »
-20 sonnets à Marie Stuart, joseph Brodsky : Condamné puis expulsé par le régime soviétique pour « parasitisme social » et exilé aux États-Unis
-Petit essais, scène célèbre, Robert Walser :« J'étais comme un rêve au cœur du rêve comme une pensée lovée dans une autre"
Walser comparait l’attitude de l’écrivain à celle du danseur, qui doit retrouver le mouvement. La danse comme métaphore de l’écriture
-La répétition, Kierkegaard : Kierkegaard distingue entre trois attitudes face à l'existence : l'espoir, le souvenir et la répétition. L'espoir est tourné vers le futur, le souvenir est dirigé vers le passé. La répétition nous voue à "la sainte assurance de l'instant présent".
-L’affaire de la rue de Lourcine, Labiche : Mistingue et Lenglumé. Lenglumé un endormi au début et à la fin qui ne se souvient pas de ce qui s’est passé la nuit d’avant
Il se réveillent tous les deux dans le même lit après avoir passé une soirée rue de Lourcine où l’un se souvient avoir oublié un parapluie, l’autre un mouchoir brodé à ses initiales
Ils lisent le journal (qui est en fiat celui d’une autre année) le matin et découvrent qu’un crime a été commis à cet endroit la veille (fausse veille)
Tableaux:
-Le Combat de Carnaval et de Carême de Brueghel recoupe les masques d’Ensor et le Jardin des Délices de Bosch
-Hans Holbein , Les Ambassadeurs
-Autel de Pergame
-Masques d’Ensor
Musique
Vivaldi, Haendel et Mozart
Emmanuel Wallon, à propos du Théâtre du Radeau
Le spectateur du Radeau, confronté à une mêlée des corps ; des textes, des matières, des musiques et des lumières, plongé dans un bain de sensations, s'ap
plique à distinguer entre des plages de paroles, des nuages d'actions et des nappes de sons les éléments dont le sens, déjà foisonnant mais encore indéterminé, variera au gré d'enchaînements dont le tempo fluctue lui aussi. Son entendement doit constamment arbitrer entre les visions qui se forment devant lui, celles -anciennes ou nouvelles - qu'elles lèvent dans son esprit et les perspectives que les unes et les autres ouvrent à sa méditation. Il lui faut accéder à un certain degré d’égarement pour s’avouer que le spectacle auquel il assiste excède ses facultés d'analyse et d'enregistrement, mais qu’il en va de même pour la réalité qui l'entoure.
[...]