mardi 20 novembre 2018

Exemple d'analyse détaillée d'un spectacle

Plusieurs élèves de première me demandent un exemple: voici l'analyse du Songe d'une nuit d'été d'une élève d'il ya deux ans sans les photos.


Analyse de spectacle : Songe d’une nuit d’été
 «  Le Songe d’une nuit d’été  est une de mes pièces préférées de Shakespeare. Mais c’est avant tout une comédie et c’est ce caractère qui m’a fait la choisir entre toutes. C’est une des pièces les plus connues et les plus mystérieuses de Shakespeare. C’est un rêve, symboliste et profond, un miroir dans lequel chacun de nous peut se découvrir différent de ce qu’il croyait être. C’est une pièce féerique, une pièce d’acteurs et de mise en scène, une pièce d’écriture et de sens, un trait d’union entre artistes et spectateurs. » C’est ce qu’affirme Guy Pierre Couleau, metteur en scène d’une version du Songe vue le vendredi 17 Mars 2017 à la Comédie de l’Est, dans une interview. Comment cette vision de la pièce de Shakespeare est-elle retranscrite sur scène par Guy Pierre Couleau ?

Guy Pierre Couleau est un comédien et un metteur en scène français né en 1958. S’il est avant tout reconnu pour être le directeur de la Comédie de l'Est, Centre Dramatique National de Colmar depuis juillet 2008, il fait ses débuts au théâtre comme acteur en 1986, dans des mises en scène de Stéphanie Loïk, Agathe Alexis ou Daniel Mesguich. Guy Pierre Couleau fait également, depuis ses débuts beaucoup de mise en scène, sa première  étant au Théâtre de L’Atalante en 1994. Il se consacre au jeu et à la mise en scène parallèlement jusqu’en 1998, date à laquelle il décide de se consacrer uniquement à la mise en scène. Depuis, il est metteur en scène invité du Théâtre national  de Lettonie, à Riga, entre 1998 et 2007, il intervient à l’Université de Houston en 2004 pour une masterclass, il met en scène Le Baladin du Monde Occidental de John M. Synge, spectacle qui sera joué plus de trois saisons et notamment au Théâtre 13…  Enfin, en 2000 il fonde sa compagnie « Des Lumières et Des Ombres » et devient en juillet 2008, directeur de la Comédie de l’Est, théâtre auquel est associée également l’option de spécialité théâtre du lycée Camille Sée.

Pour mener à bien ce projet, Guy Pierre Couleau a choisi la traduction poétique du Songe de Françoise Morvan et André Markowicz. Carolina Pecheny l’a assisté à la mise en scène, Elissa Bier a fait les décors, Laurianne Scimemi les costumes, assistée de Blandine Gustin, Laurent Scheegans pour les lumières, Philippe Miller pour les musiques, Kuno Schlegelmilch et Camille Penager pour les masques et maquillages, André Muller pour les images vidéos, Alexandra Guigui pour la régie générale, Grégoire Harrer pour la régie son, Michel Begamin pour la régie lumière, Bruno Friedrich et Stéphan Hill pour la régie plateau. Les comédiens étant investis dans ce projet sont Sébastien Amblard, Clément Bertonneau, François Kergourlay, Marlène Le Goff, Anne Le Guernec, François Macherey, José Maria Mantilla Camacho, Adrien Michaux, Ruby Minard, Martin Nikonoff, Carolina Pecheny, Achille Sauloup, Romaric Séguin, Rainer Sievert, Jessica Vedel et Clémentine Verdier.




 


“Le monde entier est un théâtre
Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs
Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles.”
Comme il vous plaira, William Shakespeare


William Shakespeare est sans aucun doute le dramaturge le plus joué, le plus lu et le plus commenté dans le monde. Son théâtre est un mélange subtil de rires et de larmes, de sublime et de grotesque, de comique et de tragique : des paradoxes de la vie humaine en somme. William Shakespeare est né vers le 23 avril 1564 à Stratford-upon-Avon, dans le comté de Warwickshire en Angleterre et est mort Le 23 avril 1616, à l'âge de 52 ans. Issu d’une vieille et riche famille catholique, Shakespeare fait des études classiques au collège de Stratford avant de se consacrer à l’écriture. Ses premières œuvres sont sans doute Vénus et Adonis (poésie, 1593) et Henri VI (théâtre, 1591-1595). Mais son premier grand succès sera Roméo et Juliette (tragédie, vers1595-1596). Shakespeare serait à l’origine d’une trentaine de pièces au total dont l’origine et la datation de certaines ne sont pas encore établies.

Le Songe d’une nuit d’été, de son titre original A Midsummer Night's Dream est une comédie  attribuée à William Shakespeare écrite entre 1594 et 1595. La pièce, métathéâtrale au possible, ne se satisfait pas d’une intrigue centrale. Les sujets sont dans le Songe d’un foisonnement fascinant : deux couples d’amoureux, deux mariages forcés, une fuite dans la forêt, une dispute entre le roi des elfes et la reine des fées, Puck et son filtre d’amour, une troupe de comédiens amateurs qui préparent une pièce pour le mariage d'un prince… Toutes ces intrigues vont se rencontrer dans un seul et même endroit : la forêt. La pièce se déroule dans la ville d'Athènes et une forêt proche, à quatre jours du solstice d'été. Deux jeunes aristocrates, Lysandre et Hermia sont amoureux et veulent se marier. Le père d’Hermia, voulant marier sa fille à Démétrius à qui il a promis la main de cette dernière s’oppose à son choix et lui pose un ultimatum. La meilleure amie d’Hermia, Héléna, est-elle amoureuse de Démétrius à qui elle ne cesse de faire des avances, sans succès. Face au choix épouvantable qu’elle a à faire, Hermia et Lysandre décident de quitter Athènes pour pouvoir vivre leur amour. Le nœud du problème réside là : Alerté par Héléna, Démétrius les suit accompagné contre son gré d’Héléna. Or, trompés par les ombres de la nuit, les quatre jeunes gens finissent par  se perdre dans la forêt.                                                                                                                                                De leur côté, Oberon et Titania, le roi et la reine des fées, ont rassemblé toute leur cour dans la forêt pour assister à une violente dispute qui a pour cause le refus de Titania de céder à Obéron ce qu’il désire. Ce dernier, jure de se venger de l'entêtement de Titania en déposant sur ses paupières le suc d’une fleur magique qui la rendra amoureuse du premier être qu’elle verra en ouvrant les yeux. En chemin, il rencontre Héléna venant d’être éconduite par Démétrius et a pitié de sa détresse. Il ordonne à Puck, son serviteur de déposer sur les paupières de ce dernier le même suc magique que celui qu’il a administré à Titania. Puck se trompe d’athénien et dépose le filtre sur les paupières de Lysandre, qui tombe amoureux d'Héléna.                                                                                                                                                                             Au même moment, dans une autre partie de la forêt, une troupe d'acteurs amateurs d'Athènes a choisi ce bois, au clair de lune, pour répéter leur pièce. Puck pour s’amuser, dote Bottom, l'un des acteurs, d’une tête d’âne. Titania, à son réveil voit Bottom en âne et tombe désespérément amoureuse de lui. Le dénouement se fait lorsqu’Obéron décide de remettre en ordre le chaos créé par Puck. Il fait en sorte que Démétrius tombe amoureux d'Héléna, que Lysandre se réconcilie avec Hermia, il enlève la tête d'âne à Bottom et réussit à récupérer Titania. A l’arrivée de l’aube, les quatre jeunes gens rentrent à Athènes et se marient avec la personne qu’ils désirent. Les acteurs amateurs, eux retournent également en ville et la pièce, étant une comédie se termine par la célébration des mariages.
Le Songe d’une nuit d’été s’est déroulé le vendredi 17 Mars 2017 dans la grande salle de la Comédie de l’Est à Colmar. Cette salle est une salle de théâtre de constitution « moderne » avec un rapport frontal du public à la scène. Ce rapport frontal permettait au spectateur d’entrer dans le monde onirique de Shakespeare comme par le trou d’une serrure et d’assister à un spectacle d’une féerie absolue  Le public présent ce soir-là était presque exclusivement scolaire ce qui donne une autre ambiance dans la salle et durant le spectacle d’une durée de trois heures avec entracte. Le Songe était donc un spectacle assez conséquent du point de vue du temps mais cela permettait aux spectateurs d’entrer totalement dans l’univers onirique de Shakespeare. Au début du spectacle, les lumières dans la salle et sur le plateau étaient éteintes. Cette obscurité décuplait l’attente fébrile du spectateur qui n’attendait qu’une seule chose : que le spectacle commence.                                                                                           Le Songe d’une nuit d’été tel que Guy-Pierre Couleau l’a conçu peut être partagé en trois temps scénographiques distincts. La pièce s’ouvre sur un plan incliné nu, austère, sombre montrant une ville athénienne au sommet de sa force. L’épure de cette scénographie et l’absence de couleurs plonge le spectateur dans un monde froid, impersonnel et rationnel. Le plan incliné qui est présent tout au long du spectacle est un clin d’œil au dispositif scénique d u Théâtre du Peuple de Bussang où la pièce a été créée l’été dernier et permet aux acteurs un jeu sur différents niveaux. Par exemple la première apparition de la troupe d’artisans amateurs se fait en arrière-scène puis les comédiens viennent peu à peu en avant-scène et occupent tout l’espace théâtral. Ce dispositif permet d’instaurer plusieurs espaces de jeu et, comme à l’opéra, une meilleure visibilité pour les spectateurs et une impression de profondeur. C’est sur des airs de tragédie que s’ouvre la pièce : Hippolyte se voit forcée d’épouser Thésée, Egée demande à sa fille d’épouser Demétrius qu’elle n’aime pas… La scénographie très sombre traduit très bien l’ambiance lourde et injuste du premier acte. Pour Guy-Pierre Couleau «  l’espace vide correspond à la force de l’invisible et à la puissance de la suggestion ». Le spectateur est donc libre d’imaginer, d’interpréter la scénographie comme il le souhaite sans qu’une image trop concrète le bloque. Le deuxième temps de la représentation commence petit à petit après la première apparition de la troupe d’acteurs préparant un spectacle. Les lumières s’éteignent et des points de laser vert viennent illuminer le plateau. Peu à peu, des créatures étranges font leur apparition et parsèment le plateau de feuilles blanches et vertes. Cette transition marque le passage du monde de la raison, de la loi au monde des rêves. Les points de laser vert font au premier abord penser à la nature à cause de leur couleur. Mais au fur et à mesure que les points se font plus nombreux, le spectateur peut y voir un ciel étoilé. L’utilisation des lasers intervient plusieurs fois dans la deuxième partie. Ils délimitent par exemple par un cercle, le lit de la reine des fées, Titania, ou encore symbolisent l’apparition de l’aurore après l’entracte. Ce qui est très beau dans ce choix de mise en scène, c’est le jeu qu’il y a entre ce qui est montré et ce qui est suggéré. Le spectateur comprend immédiatement qu’il est entré dans la forêt grâce aux feuilles de papier de soie blanches et vertes sur le sol. Cependant les lasers et même les feuilles ne ferment pas la porte à l’interprétation et posent même des interrogations : pourquoi des lasers ? Quelle en est la signification ? Selon Guy-Pierre Couleau la scénographie de la deuxième partie est « une transposition poétique de la forêt et, du bois au papier, c'est tout le chemin de la vie réelle à l'écriture qui est suggéré. » C’est alors à la fois la forêt mais aussi l’écriture, l’art théâtral qui est montré. Les feuilles ne représentent plus seulement la forêt mais aussi le mystère, le surnaturel, la capacité de fabuler qui réside dans l’écriture. Dans la mise en scène de Bussang, la forêt était également symbolisée par l’ouverture brève du mur du fond qui laisse apparaître les bois comme il est d’usage de le faire au théâtre du Peuple.
La troisième transition scénographique est marquée par la rencontre des deux mondes : la cité et la forêt, la raison et le rêve. Thésée, Egée et Hippolyte entrent dans la forêt et interrompent l’onirisme de la deuxième partie. Ils voient que les couples composés d’Hermia et de Lysandre et d’Hélène et Démétrius semblent amoureux et décident de célébrer des noces. Cette interruption dans la deuxième partie met fin au rêve. Le changement de décor se fait en musique. Des comédiens viennent balayer les feuilles de la forêt et des rideaux blancs qui suggèrent le mariage, mais peut-être aussi des colonnes d’une architecture grecque, tombent des cintres. Cette troisième partie ressemble étrangement à la première : il s’agit du retour au réel. Cependant cette fois toute la dimension oppressante présente dans la première partie a disparu. L’ambiance est à la fête et les convives s’installent sur des chaises blanches à cour (que l’on voit très souvent dans les mariages) pour regarder une pièce de théâtre avant de célébrer les noces. La scénographie de la pièce est donc découpée en triptyque, les deux parties à Athènes enchâssant la partie du songe. Le dispositif scénique du Songe respecte l’atemporalité de la pièce et entremêle de manière fine et suggestive naturel et surnaturel.     
Si la scénographie crée un monde et une ambiance particulière sur le plateau, la lumière et la musique jouent également un rôle capital dans la création des espaces du spectacle. Au début du spectacle, dans la partie qui se déroule dans la société athénienne, la lumière est à l’image de la scénographie : froide, uniforme, austère et impersonnelle. La lumière transporte le spectateur dans un milieu presque hostile dans lequel celui qui gouverne (Thésée) a le droit de vie ou de mort sur ses sujets.  Il est pourtant question d’un mariage à venir entre Thésée et Hyppolyte la reine des Amazones, mais cette dernière ne semble guère heureuse.On peut voir dans cette première partie une critique du pouvoir absolu et arbitraire. Cette critique du pouvoir est montrée par la position de soumission d’Hermia qui se retrouve à genoux devant son père puis devant Thésée. Cette position de soumission des femmes reviendra plusieurs fois comme un leitmotiv dans la pièce. La lumière qui illumine l’entièreté du plateau au premier acte montre aussi l’aspect rationnel de la cité d’Athènes régie par des lois strictes auxquelles nul ne peut échapper.
L’utilisation de la douche au moment de la première rencontre de la troupe de théâtre en arrière-scène par exemple met les personnages en valeur et attire l’attention du spectateur à l’arrière du plateau. Dans la partie féerique, la lumière change radicalement. D’un éclairage total, elle passe à une ambiance sombre, tamisée, nocturne. L’utilisation du laser permet de créer comme évoqué ci-dessus une ambiance atemporelle, onirique. En outre de ces faisceaux lumineux, la lumière devient soudainement très douce, bleuté, lunaire. Non sans raisons, la lumière fait immédiatement penser à la lumière produite par la pleine lune. En effet, la pièce est truffée de références à la lune, faites selon certaines théories par Shakespeare en hommage à Elizabeth I qui aurait été présente lors du mariage d’Elizabeth Carey pour qui la pièce a été écrite. Elizabeth I était comparée à Diane, déesse lunaire. La lune apparaît non seulement dans le texte mais aussi dans la mise en scène de Guy-Pierre Couleau. Elle est projetée sur un cyclo en arrière-scène au final de la pièce lorsque tous les personnages chantent. Hormis le fait que ce soit un clin d’œil à la mise en scène de Bussang où la forêt apparaît totalement à la fin de la pièce et où l’on voit apparaître une énorme sphère blanche poussée par un comédien qui rappelle la lune, la lune a plusieurs significations. La lune est avant tout un symbole féminin. Elle est associée aux déesses et au principe féminin dans une majorité des cultures comme par exemple dans l’Antiquité (Artemis qui symbolise la lune croissante, Héra qui symbolise la pleine lune et Hécate qui est la déesse de la lune décroissante). Cette association de la lune à la féminité est très intéressante puisqu’on peut voir dans le Songe un fond féministe ou du moins pour ne pas faire d’anachronismes une critique quant à la soumission des femmes. La lune est également et en premier lieu la première source de lumière la nuit. Transposée à la pièce, l’apparition de la lune au dernier acte pourrait alors signifier que la pièce a abouti à un éclairage de la raison des personnages. La lumière change petit à petit tout au long de la deuxième partie et passe par l’apparition progressive de rayons lumineux de la nuit au jour en passant par l’aurore. La lumière dans la troisième partie est chaude, orangée et chaleureuse. Elle fait penser au soleil qui bien évidement symbolise le bonheur, la joie.                                                                                                                               La musique rythme autant que la musique le spectacle et ajoute de la profondeur au spectacle. Guy-Pierre Couleau a travaillé sur ce projet avec un compositeur Philippe Miller pour créer des musiques originales chantées par les comédiens. Le Songe d’une nuit d’été est parcouru par de la musique. Déjà dans son texte, la pièce est d’une poésie presque musicale. Ensuite de grands compositeurs mentionnés par Guy-Pierre Couleau comme par exemple Purcell, Britten ou Weber ont composé sur le Songe. On peut distinguer dans la mise en scène de Guy-Pierre Couleau deux sortes de musique. Il y a la musique live et la musique enregistrée, la musique qui accompagne la pièce et la musique qui la rythme. Il est intéressant de noter que dans la première partie du spectacle il n’y a pas de musique. Serait-ce par absence de féerie ? La deuxième partie elle s’ouvre en musique. C’est une musique douce et énigmatique avec des sons orientaux. Cette musique fait monter le « suspens » du spectateur. Soudain, elle change et se transforme en bruits de la forêt. Ces bruits sont apaisants dans un premier temps mais prennent vite trop de place et font monter un peu plus la tension. Au moment où Titania s’endort sur son lit de feuilles dans la forêt, il y a également une musique très douce qui accompagne son sommeil. Cette musique devient stressante quand Obéron apparaît pour   déposer sur ses paupières le suc d’une fleur magique qui la rendra amoureuse du premier être qu’elle verra. Ici la musique participe activement à créer l’action. La musique live est présente à trois moments de la pièce. Quand Titania demande à ses fées de chanter pour Bottom, l’effet créé par ce chœur de fées et parodique. A la transition entre la deuxième et la troisième partie, un chanteur seul avec sa guitare chante un air de tango pour couvrir les autres comédiens qui balaient les feuilles. Enfin, au final de la pièce, tous les comédiens chantent un air joyeux et entraînant qui fait penser à la  présence du chant et de la musique lors des mariages. Pour Guy-Pierre Couleau il s’agit à travers la musique « d’écrire les musiques des rêves des personnages. »                                                                                                             
Pour finir sur l’aspect esthétique du spectacle, les costumes prennent une place centrale dans la mise en scène de Guy-Pierre Couleau et donne le cachet à la représentation. Là encore, se distingue deux mondes diamétralement opposés. D’une part, le monde social. D’autre part, le monde des rêves. Les costumes permettent de faire immédiatement cette distinction. Dans la première partie de la pièce, Thésée et Egée s’accordent parfaitement à leur environnement. Habillés en costumes-cravate ils paraissent aussi sombres et graves que le palais. Hippolyte se détache immédiatement de ce décor sombre. Elle est habillée en costume blanc, les cheveux coupés courts, une rose blanche considérée comme la rose nuptiale, celle d’un amour pur et pas encore consommé. Le contraste qu’Hippolyte produit avec les autres personnages indique qu’elle est un personnage à part, différent, ne venant pas du même environnement que les autres. En effet, Thésée a gagné Hippolyte « par l’épée ». Ici encore une fois, la soumission des femmes est montrée. La couleur blanche que porte Hippolyte symbolise la pureté, l’innocence mais annonce aussi par avance son mariage forcé avec Thésée. Pour ce qui est des couples, leurs costumes annoncent déjà le dénouement heureux de la pièce. Hermia porte un short bleu marine avec des chaussures plates et une petite veste et s’accorde ainsi à Lysandre qui porte un costume bleu marine. Hélène porte une robe rose et une veste jaune et s’accorde avec Démétrius qui  porte une veste dans les tons ocre. Tous les costumes des personnages sont modernes et évoluent au long de la pièce. Dans la deuxième partie Lysandre et Hermia portent des k-ways. Hélène elle porte une autre tenue. Cette fois-ci elle est entièrement vêtue de jaune, couleur de la jalousie. Dans la troisième partie, les costumes changent radicalement puisque les couples vont célébrer leurs mariages. Les membres de la troupe de théâtre portent eux des costumes plutôt colorés. Bottom par exemple porte une veste grise avec en-dessous un veston rose et un pantalon violet. Du côté des créatures féeriques, les costumes sont beaucoup plus travaillés et donnent réellement une impression de songe. Les fées de Titania sont habillées de robes blanches avec des feuilles dans les cheveux. Du côté d’Obéron, les fées sont habillées de noir et de vert avec dans les cheveux des branches et des feuilles et un maquillage vert sur une partie du visage. Titania, elle a les cheveux roux et est vêtue  d’une robe blanche avec des fleurs. Obéron lui aussi a les cheveux roux, une couronne de feuilles et porte un costume noir avec une veste en cuir. Les deux mondes sont donc très distincts dans les costumes à une exception près. Bottom quand il se transforme en âne garde son costume mais change de tête. On peut dire qu’il devient un mélange entre les deux mondes, un être hybride. La tête d’âne de Bottom est très stylisée et esthétiquement très belle. Au-delà de l’aspect visuel, la signification de l’âne est très intéressante. Bottom est un  personnage egocentrique qui veut s’attribuer tous les rôles au sein de la troupe et qui se comporte en tyran avec les fées de Titania. La tête d’âne, animal qui a la réputation d’être bête, peut être une critique à la bêtise humaine. Mais j’ai découvert à l’occasion de mon analyse que l’âne était surtout un symbole de virilité et de puissance sexuelle.
   
Si le spectacle est porté par la dimension scénographique et plastique, ce sont avant tout les comédiens qui portent la pièce. Le style de jeu choisit par Guy-Pierre Couleau est un mélange entre un jeu très physique, très chorégraphié, très comique et un jeu par moments plus direct et simple. Tout d’abord la diction du texte de Shakespeare est très bien réalisée. Le spectateur entend tous les mots de la langue shakespearienne qui oscille entre vers et prose. Pour cela, les comédiens sont obligés d’articuler énormément le texte et de projeter la voix. Même les moments chantés sont totalement compréhensibles et sont donc très touchants. Anne le Guernec qui joue à la fois Hippolyte et Titania change son débit de parole, son ton et sa manière de parler quand elle change de personnage. Quand elle joue Titania elle change d’intonation faisant virer son personnage au ridicule. Lors de la dispute entre Hermia et Hélène, l’intonation de la voix des deux comédiennes a également changé. Elles ont opté pour une voix un peu plus aigüe par moments, un débit plus rapide pour donner au spectateur l’impression d’une dispute presque infantile. La troupe de théâtre amateur avait elle aussi une diction et une façon de dire le texte assez intéressante. Ils parlaient, à l‘exception de Bottom, lentement, en hachant leurs mots allant parfois jusqu’à mal dire le texte. Cette manière de dire le texte donnait l’impression au spectateur d’une certaine simplicité d’esprit. Un des membres de la troupe de comédiens amateurs qui devait faire le lion grognait parfois.  Dans la troupe, deux comédiens avaient des accents, ce qui est toujours intéressant. Un des membres de la troupe de théâtre amateur avait un accent italien ou espagnol, en tout cas un accent venant du sud. L’acteur jouant Puck, Reinert Sievert, avait un accent allemand ce qui rendait son personnage de clown encore plus loufoque. Il a même utilisé à deux reprises une langue étrangère : l’allemand et l’anglais pour clore la pièce. Outre leurs voix, le travail de jeu corporel était poussé à son paroxysme. Pendant trois heures les comédiens n’ont cessé de sauter, danser, ramper, tomber sans jamais laisser tomber le rythme. Cette prestation de jeu était assez impressionnante et tenait presque parfois de l’acrobatisme. Durant la scène de la dispute entre Hermia et Hélène par exemple, Hermia ( Jessica Vedel) veut se jeter sur Hélène ( Clémentine Verdier). La comédienne jouant le rôle d’Hermia s’est alors élancé et s’est fait rattraper par Lysandre au niveau de la tête et renverser tête en bas donnant à la dispute un aspect comique. Beaucoup de disputes ressemblaient à des courses poursuites de dessins animés. Le jeu donnait par moment également l’impression d’avoir été chorégraphié. Quand Lysandre explique à l’acte I à Hélène que lui et Hermia vont fuir, il exécute toute une chorégraphie pour accompagner ses paroles. Durant l’affrontement entre Lysandre et Démétrius pour le cœur d’Hélène, les deux comédiens s’adonnent à une sorte de sport de combat chorégraphié hilarant. Cela donne un côté vivant au texte de Shakespeare. Il y a aussi des jeux sur les mots qui ont été fait par Guy-Pierre Couleau pour accentuer l’effet comique du Songe. Quand Lysandre demande par exemple à Démétrius d’aller se battre avec lui au coude à coude, les deux comédiens s’en vont ensemble les coudes collés. Le spectacle que les comédiens font à la fin de la pièce est également très drôle et joue encore une fois sur les mots. Mais le personnage comique du Songe est Puck. Rainer Sievert excelle dans le rôle de cet elfe loufoque, exubérant et toujours prêt à faire un mauvais coup. Tout le talent comique de Rainer Sievert réside dans le fait qu’il arrive à faire rire juste en écarquillant les yeux. Son jeu corporel est extrêmement précis et fin. La scène où il goûte la fleur de l’amour et n’arrive plus à contrôler son corps est assez exceptionnelle. Si l’ensemble de la pièce est très drôle, il y a dans le jeu des comédiens aussi quelque chose de profondément touchant. La soumission des femmes est dans le Songe assez flagrante grâce à la position d’agenouillement qui revient plusieurs fois tout au long du spectacle. A l’acte I, Hermia est forcée de s’agenouiller devant son père puis devant Thésée. Dans la deuxième partie, lorsqu’Hélène suit Démétrius dans la forêt elle s’agenouille aussi devant lui en le suppliant. Même Titania s’agenouille devant Bottom. Le seul homme qui inverse la tendance dans la pièce est Lysandre qui met un genou à terre pour demander à Hermia de fuir. Peut-être est-ce seulement le véritable amour qui peut mettre un terme à l’inégalité des sexes ?  

Au terme de ce parcours nous pouvons dire que Le Songe d’une nuit d’été mis en scène par Guy-Pierre Couleau est un grand succès. Bien sûr entendre le texte de Shakespeare est un délice pour les oreilles mais l’explosion d’idées de scénographie, le jeu fabuleux des comédiens, le mélange audacieux entre comédiens professionnels et amateurs, la diction très précise du texte et le plaisir que les comédiens ont pris à jouer participe à la réussite de cette pièce. Personnellement j’ai été bluffée par l’énergie et la ténacité des comédiens à qui Guy-Pierre Couleau a demandé un engagement sans failles.