Analyse de spectacle : Songe
d’une nuit d’été
« Le
Songe d’une nuit d’été est une de
mes pièces préférées de Shakespeare. Mais c’est avant tout une comédie et c’est
ce caractère qui m’a fait la choisir entre toutes. C’est une des pièces les
plus connues et les plus mystérieuses de Shakespeare. C’est un rêve, symboliste
et profond, un miroir dans lequel chacun de nous peut se découvrir différent de
ce qu’il croyait être. C’est une pièce féerique, une pièce d’acteurs et de mise
en scène, une pièce d’écriture et de sens, un trait d’union entre artistes et
spectateurs. » C’est ce qu’affirme Guy Pierre Couleau, metteur en scène
d’une version du Songe vue le vendredi 17 Mars 2017 à la Comédie de l’Est, dans
une interview. Comment cette vision de la pièce de Shakespeare est-elle
retranscrite sur scène par Guy Pierre Couleau ?
Guy Pierre Couleau est un comédien et un
metteur en scène français né en 1958. S’il est avant tout reconnu pour être le
directeur de la Comédie de l'Est, Centre Dramatique National de Colmar depuis
juillet 2008, il fait ses débuts au théâtre comme acteur en 1986, dans des
mises en scène de Stéphanie Loïk, Agathe Alexis ou Daniel Mesguich. Guy Pierre
Couleau fait également, depuis ses débuts beaucoup de mise en scène, sa
première étant au Théâtre de L’Atalante
en 1994. Il se consacre au jeu et à la mise en scène parallèlement jusqu’en
1998, date à laquelle il décide de se consacrer uniquement à la mise en scène.
Depuis, il est metteur en scène invité du Théâtre national de Lettonie, à Riga, entre 1998 et 2007, il
intervient à l’Université de Houston en 2004 pour une masterclass, il met en
scène Le Baladin du Monde Occidental
de John M. Synge, spectacle qui sera joué plus de trois saisons et notamment au
Théâtre 13… Enfin, en 2000 il fonde sa
compagnie « Des Lumières et Des Ombres » et devient en juillet 2008, directeur
de la Comédie de l’Est, théâtre auquel est associée également l’option de
spécialité théâtre du lycée Camille Sée.
Pour mener à bien ce projet, Guy Pierre
Couleau a choisi la traduction poétique du Songe de Françoise Morvan et André
Markowicz. Carolina Pecheny l’a assisté à la mise en scène, Elissa Bier a fait
les décors, Laurianne Scimemi les costumes, assistée de Blandine Gustin,
Laurent Scheegans pour les lumières, Philippe Miller pour les musiques, Kuno
Schlegelmilch et Camille Penager pour les masques et maquillages, André Muller
pour les images vidéos, Alexandra Guigui pour la régie générale, Grégoire
Harrer pour la régie son, Michel Begamin pour la régie lumière, Bruno Friedrich
et Stéphan Hill pour la régie plateau. Les comédiens étant investis dans ce
projet sont Sébastien Amblard, Clément Bertonneau, François Kergourlay, Marlène
Le Goff, Anne Le Guernec, François Macherey, José Maria Mantilla Camacho,
Adrien Michaux, Ruby Minard, Martin Nikonoff, Carolina Pecheny, Achille
Sauloup, Romaric Séguin, Rainer Sievert, Jessica Vedel et Clémentine Verdier.
“Le monde entier est
un théâtre
Et tous, hommes et
femmes, n'en sont que les acteurs
Et notre vie durant
nous jouons plusieurs rôles.”
Comme il vous plaira, William Shakespeare
William
Shakespeare est sans aucun doute le dramaturge le plus joué, le plus lu et le
plus commenté dans le monde. Son théâtre est un mélange subtil de rires et de
larmes, de sublime et de grotesque, de comique et de tragique : des
paradoxes de la vie humaine en somme. William Shakespeare est né vers le 23
avril 1564 à Stratford-upon-Avon, dans le comté de Warwickshire en Angleterre
et est mort Le 23 avril 1616, à l'âge de 52 ans. Issu d’une vieille et riche
famille catholique, Shakespeare fait des études classiques au collège de
Stratford avant de se consacrer à l’écriture. Ses premières œuvres sont sans
doute Vénus et Adonis (poésie, 1593) et Henri VI (théâtre, 1591-1595). Mais son
premier grand succès sera Roméo et Juliette (tragédie, vers1595-1596).
Shakespeare serait à l’origine d’une trentaine de pièces au total dont
l’origine et la datation de certaines ne sont pas encore établies.
Le Songe d’une nuit d’été, de son titre original A
Midsummer Night's Dream est une comédie attribuée à William Shakespeare écrite entre
1594 et 1595. La pièce, métathéâtrale au possible, ne se satisfait pas d’une
intrigue centrale. Les sujets sont dans le Songe d’un foisonnement
fascinant : deux couples d’amoureux, deux mariages forcés, une fuite dans
la forêt, une dispute entre le roi des elfes et la reine des fées, Puck et son
filtre d’amour, une troupe de comédiens amateurs qui préparent une pièce pour
le mariage d'un prince… Toutes ces intrigues vont se rencontrer dans un seul et
même endroit : la forêt. La pièce se déroule dans la ville d'Athènes et
une forêt proche, à quatre jours du solstice d'été. Deux jeunes aristocrates,
Lysandre et Hermia sont amoureux et veulent se marier. Le père d’Hermia,
voulant marier sa fille à Démétrius à qui il a promis la main de cette dernière
s’oppose à son choix et lui pose un ultimatum. La meilleure amie d’Hermia,
Héléna, est-elle amoureuse de Démétrius à qui elle ne cesse de faire des
avances, sans succès. Face au choix épouvantable qu’elle a à faire, Hermia et
Lysandre décident de quitter Athènes pour pouvoir vivre leur amour. Le nœud du
problème réside là : Alerté par Héléna, Démétrius les suit accompagné
contre son gré d’Héléna. Or, trompés par les ombres de la nuit, les quatre
jeunes gens finissent par se perdre dans
la forêt.
De
leur côté, Oberon et Titania, le roi et la reine des fées, ont rassemblé toute
leur cour dans la forêt pour assister à une violente dispute qui a pour cause
le refus de Titania de céder à Obéron ce qu’il désire. Ce dernier, jure de se
venger de l'entêtement de Titania en déposant sur ses paupières le suc d’une
fleur magique qui la rendra amoureuse du premier être qu’elle verra en ouvrant
les yeux. En chemin, il rencontre Héléna venant d’être éconduite par Démétrius
et a pitié de sa détresse. Il ordonne à Puck, son serviteur de déposer sur les
paupières de ce dernier le même suc magique que celui qu’il a administré à
Titania. Puck se trompe d’athénien et dépose le filtre sur les paupières de
Lysandre, qui tombe amoureux d'Héléna.
Au même moment, dans une autre partie de la
forêt, une troupe d'acteurs amateurs d'Athènes a choisi ce bois, au clair de
lune, pour répéter leur pièce. Puck pour s’amuser, dote Bottom, l'un des
acteurs, d’une tête d’âne. Titania, à son réveil voit Bottom en âne et tombe
désespérément amoureuse de lui. Le dénouement se fait lorsqu’Obéron décide de
remettre en ordre le chaos créé par Puck. Il fait en sorte que Démétrius tombe
amoureux d'Héléna, que Lysandre se réconcilie avec Hermia, il enlève la tête
d'âne à Bottom et réussit à récupérer Titania. A l’arrivée de l’aube, les
quatre jeunes gens rentrent à Athènes et se marient avec la personne qu’ils
désirent. Les acteurs amateurs, eux retournent également en ville et la pièce,
étant une comédie se termine par la célébration des mariages.
Le
Songe d’une nuit d’été s’est déroulé le vendredi 17 Mars 2017 dans la
grande salle de la Comédie de l’Est à Colmar. Cette salle est une salle de
théâtre de constitution « moderne » avec un rapport frontal du public
à la scène. Ce rapport frontal permettait au spectateur d’entrer dans le monde
onirique de Shakespeare comme par le trou d’une serrure et d’assister à un
spectacle d’une féerie absolue Le public
présent ce soir-là était presque exclusivement scolaire ce qui donne une autre
ambiance dans la salle et durant le spectacle d’une durée de trois heures avec
entracte. Le Songe était donc un spectacle assez conséquent du point de vue du
temps mais cela permettait aux spectateurs d’entrer totalement dans l’univers
onirique de Shakespeare. Au début du spectacle, les lumières dans la salle et
sur le plateau étaient éteintes. Cette obscurité décuplait l’attente fébrile du
spectateur qui n’attendait qu’une seule chose : que le spectacle
commence.
Le Songe d’une nuit d’été tel que Guy-Pierre Couleau l’a conçu peut être
partagé en trois temps scénographiques distincts. La pièce s’ouvre sur un plan
incliné nu, austère, sombre montrant une ville athénienne au sommet de sa
force. L’épure de cette scénographie et l’absence de couleurs plonge le
spectateur dans un monde froid, impersonnel et rationnel. Le plan incliné qui
est présent tout au long du spectacle est un clin d’œil au dispositif scénique
d u Théâtre du Peuple de Bussang où la pièce a été créée l’été dernier et
permet aux acteurs un jeu sur différents niveaux. Par exemple la première
apparition de la troupe d’artisans amateurs se fait en arrière-scène puis les
comédiens viennent peu à peu en avant-scène et occupent tout l’espace théâtral.
Ce dispositif permet d’instaurer plusieurs espaces de jeu et, comme à l’opéra,
une meilleure visibilité pour les spectateurs et une impression de profondeur.
C’est sur des airs de tragédie que s’ouvre la pièce : Hippolyte se voit
forcée d’épouser Thésée, Egée demande à sa fille d’épouser Demétrius qu’elle
n’aime pas… La scénographie très sombre traduit très bien l’ambiance lourde et
injuste du premier acte. Pour Guy-Pierre Couleau « l’espace vide
correspond à la force de l’invisible et à la puissance de la suggestion ».
Le spectateur est donc libre d’imaginer, d’interpréter la scénographie comme il
le souhaite sans qu’une image trop concrète le bloque. Le deuxième temps de la
représentation commence petit à petit après la première apparition de la troupe
d’acteurs préparant un spectacle. Les lumières s’éteignent et des points de
laser vert viennent illuminer le plateau. Peu à peu, des créatures étranges
font leur apparition et parsèment le plateau de feuilles blanches et vertes.
Cette transition marque le passage du monde de la raison, de la loi au monde
des rêves. Les points de laser vert font au premier abord penser à la nature à
cause de leur couleur. Mais au fur et à mesure que les points se font plus
nombreux, le spectateur peut y voir un ciel étoilé. L’utilisation des lasers intervient plusieurs fois dans la
deuxième partie. Ils délimitent par exemple par un cercle, le lit de la reine
des fées, Titania, ou encore symbolisent l’apparition de l’aurore après
l’entracte. Ce qui est très beau dans ce choix de mise en scène, c’est le jeu
qu’il y a entre ce qui est montré et ce qui est suggéré. Le spectateur comprend immédiatement qu’il est entré dans la forêt
grâce aux feuilles de papier de soie blanches et vertes sur le sol. Cependant
les lasers et même les feuilles ne ferment pas la porte à
l’interprétation et posent même des interrogations : pourquoi des
lasers ? Quelle en est la signification ? Selon Guy-Pierre Couleau la
scénographie de la deuxième partie est « une transposition poétique de la
forêt et, du bois au papier, c'est tout le chemin de la vie réelle à l'écriture
qui est suggéré. » C’est alors à la fois la forêt mais aussi l’écriture,
l’art théâtral qui est montré. Les feuilles ne représentent plus seulement la
forêt mais aussi le mystère, le surnaturel, la capacité de fabuler qui réside
dans l’écriture. Dans la mise en scène de Bussang, la forêt était également symbolisée par l’ouverture
brève du mur du fond qui laisse apparaître les bois comme il est d’usage de le
faire au théâtre du Peuple.
La troisième transition scénographique est marquée par la
rencontre des deux mondes : la cité et la forêt, la raison et le rêve.
Thésée, Egée et Hippolyte entrent dans la forêt et interrompent l’onirisme de
la deuxième partie. Ils voient que les couples composés d’Hermia et de Lysandre
et d’Hélène et Démétrius semblent amoureux et décident de célébrer des noces.
Cette interruption dans la deuxième partie met fin au rêve. Le changement de
décor se fait en musique. Des comédiens viennent balayer les feuilles de la
forêt et des rideaux blancs qui suggèrent le mariage, mais peut-être aussi des
colonnes d’une architecture grecque, tombent des cintres. Cette troisième
partie ressemble étrangement à la première : il s’agit du retour au réel.
Cependant cette fois toute la dimension oppressante présente dans la première
partie a disparu. L’ambiance est à la fête et les convives s’installent sur des
chaises blanches à cour (que l’on voit très souvent dans les mariages) pour
regarder une pièce de théâtre avant de célébrer les noces. La scénographie de
la pièce est donc découpée en triptyque, les deux parties à Athènes enchâssant
la partie du songe. Le dispositif scénique du Songe respecte l’atemporalité de
la pièce et entremêle de manière fine et suggestive naturel et surnaturel.
Si la scénographie crée un monde et une ambiance particulière
sur le plateau, la lumière et la musique jouent également un rôle capital dans
la création des espaces du spectacle. Au début du spectacle, dans la partie qui
se déroule dans la société athénienne, la lumière est à l’image de la
scénographie : froide, uniforme, austère et impersonnelle. La lumière
transporte le spectateur dans un milieu presque hostile dans lequel celui qui
gouverne (Thésée) a le droit de vie ou de mort sur ses sujets. Il est pourtant question d’un mariage à venir
entre Thésée et Hyppolyte la reine des Amazones, mais cette dernière ne semble
guère heureuse.On peut voir dans cette première partie une critique du pouvoir
absolu et arbitraire. Cette critique du pouvoir est montrée par la position de
soumission d’Hermia qui se retrouve à genoux devant son père puis devant
Thésée. Cette position de soumission des femmes reviendra plusieurs fois comme
un leitmotiv dans la pièce. La lumière qui illumine l’entièreté du plateau au
premier acte montre aussi l’aspect rationnel de la cité d’Athènes régie par des
lois strictes auxquelles nul ne peut échapper.
L’utilisation de la douche au moment de la première
rencontre de la troupe de théâtre en arrière-scène par exemple met les
personnages en valeur et attire l’attention du spectateur à l’arrière du
plateau. Dans la partie féerique, la lumière change radicalement. D’un éclairage
total, elle passe à une ambiance sombre, tamisée, nocturne. L’utilisation du
laser permet de créer comme évoqué ci-dessus une ambiance atemporelle,
onirique. En outre de ces faisceaux lumineux, la lumière devient soudainement
très douce, bleuté, lunaire. Non sans raisons, la lumière fait immédiatement
penser à la lumière produite par la pleine lune. En effet, la pièce est truffée
de références à la lune, faites selon certaines théories par Shakespeare en
hommage à Elizabeth I qui aurait été présente lors du mariage d’Elizabeth Carey
pour qui la pièce a été écrite. Elizabeth I était comparée à Diane, déesse lunaire. La lune
apparaît non seulement dans le texte mais aussi dans la mise en scène de
Guy-Pierre Couleau. Elle est projetée sur un cyclo en arrière-scène au final de
la pièce lorsque tous les personnages chantent. Hormis le fait que ce soit un
clin d’œil à la mise en scène de Bussang où la forêt apparaît totalement à la
fin de la pièce et où l’on voit apparaître une énorme sphère blanche poussée par
un comédien qui rappelle la lune, la lune a plusieurs significations. La lune
est avant tout un symbole féminin. Elle est associée aux déesses et au principe
féminin dans une majorité des cultures comme par exemple dans l’Antiquité
(Artemis qui symbolise la lune croissante, Héra qui symbolise la pleine lune et Hécate qui est la déesse de la
lune décroissante). Cette association de la lune à la féminité est très
intéressante puisqu’on peut voir dans le Songe un fond féministe ou du moins
pour ne pas faire d’anachronismes une critique quant à la soumission des
femmes. La lune est également et en premier lieu la première source de lumière
la nuit. Transposée à la pièce, l’apparition de la lune au dernier acte
pourrait alors signifier que la pièce a abouti à un éclairage de la raison des
personnages. La lumière change petit à petit tout au long de la deuxième partie
et passe par l’apparition progressive de rayons lumineux de la nuit au jour en
passant par l’aurore. La lumière dans la troisième partie est chaude, orangée
et chaleureuse. Elle fait penser au soleil qui bien évidement symbolise le bonheur,
la joie.
La musique rythme autant que la musique le spectacle et ajoute de la
profondeur au spectacle. Guy-Pierre Couleau a travaillé sur ce projet avec un
compositeur Philippe Miller pour créer des musiques originales chantées par les
comédiens. Le Songe d’une nuit d’été
est parcouru par de la musique. Déjà dans son texte, la pièce est d’une poésie
presque musicale. Ensuite de grands compositeurs mentionnés par Guy-Pierre
Couleau comme par exemple Purcell, Britten ou Weber ont composé sur le Songe. On peut distinguer dans la mise
en scène de Guy-Pierre Couleau deux sortes de musique. Il y a la musique live
et la musique enregistrée, la musique qui accompagne la pièce et la musique qui
la rythme. Il est intéressant de noter que dans la première partie du spectacle
il n’y a pas de musique. Serait-ce par absence de féerie ? La deuxième
partie elle s’ouvre en musique. C’est une musique douce et énigmatique avec des
sons orientaux. Cette musique fait monter le « suspens » du spectateur. Soudain, elle change et se
transforme en bruits de la forêt. Ces bruits sont apaisants dans un premier
temps mais prennent vite trop de place et font monter un peu plus la tension.
Au moment où Titania s’endort sur son lit de feuilles dans la forêt, il y a
également une musique très douce qui accompagne son sommeil. Cette musique
devient stressante quand Obéron apparaît pour déposer
sur ses paupières le suc d’une fleur magique qui la rendra amoureuse du premier
être qu’elle verra. Ici la musique participe activement à créer l’action. La
musique live est présente à trois moments de la pièce. Quand Titania demande à
ses fées de chanter pour Bottom, l’effet créé par ce chœur de fées et
parodique. A la transition entre la deuxième et la troisième partie, un
chanteur seul avec sa guitare chante un air de tango pour couvrir les autres
comédiens qui balaient les feuilles. Enfin, au final de la pièce, tous les
comédiens chantent un air joyeux et entraînant qui fait penser à la présence du chant et de la musique lors des
mariages. Pour Guy-Pierre Couleau il s’agit à travers la musique « d’écrire
les musiques des rêves des personnages. »
Pour finir sur l’aspect esthétique du spectacle, les
costumes prennent une place centrale dans la mise en scène de Guy-Pierre
Couleau et donne le cachet à la représentation. Là encore, se distingue deux
mondes diamétralement opposés. D’une part, le monde social. D’autre part, le
monde des rêves. Les costumes permettent de faire immédiatement cette
distinction. Dans la première partie de la pièce, Thésée et Egée s’accordent
parfaitement à leur environnement. Habillés en costumes-cravate ils paraissent
aussi sombres et graves que le palais. Hippolyte se détache immédiatement de ce
décor sombre. Elle est habillée en costume blanc, les cheveux coupés courts,
une rose blanche considérée comme la rose nuptiale, celle d’un amour pur et pas
encore consommé. Le contraste qu’Hippolyte produit avec les autres personnages
indique qu’elle est un personnage à part, différent, ne venant pas du même
environnement que les autres. En effet, Thésée a gagné Hippolyte « par
l’épée ». Ici encore une fois, la soumission des femmes est montrée. La
couleur blanche que porte Hippolyte symbolise la pureté, l’innocence mais
annonce aussi par avance son mariage forcé avec Thésée. Pour ce qui est des
couples, leurs costumes annoncent déjà le dénouement heureux de la pièce.
Hermia porte un short bleu marine avec des chaussures plates et une petite
veste et s’accorde ainsi à Lysandre qui porte un costume bleu marine. Hélène
porte une robe rose et une veste jaune et s’accorde avec Démétrius qui porte une veste dans les tons ocre. Tous les
costumes des personnages sont modernes et évoluent au long de la pièce. Dans la
deuxième partie Lysandre et Hermia portent des k-ways. Hélène elle porte une
autre tenue. Cette fois-ci elle est entièrement vêtue de jaune, couleur de la
jalousie. Dans la troisième partie, les costumes changent radicalement puisque
les couples vont célébrer leurs mariages. Les membres de la troupe de théâtre
portent eux des costumes plutôt colorés. Bottom par exemple porte une veste
grise avec en-dessous un veston rose et un pantalon violet. Du côté des
créatures féeriques, les costumes sont beaucoup plus travaillés et donnent
réellement une impression de songe. Les fées de Titania sont habillées de robes
blanches avec des feuilles dans les cheveux. Du côté d’Obéron, les fées sont
habillées de noir et de vert avec dans les cheveux des branches et des feuilles
et un maquillage vert sur une partie du visage. Titania, elle a les cheveux roux et est vêtue d’une robe blanche avec des fleurs. Obéron
lui aussi a les cheveux roux, une couronne de feuilles et porte un costume noir
avec une veste en cuir. Les deux mondes sont donc très distincts dans les
costumes à une exception près. Bottom quand il se transforme en âne garde son
costume mais change de tête. On peut dire qu’il devient un mélange entre les
deux mondes, un être hybride. La tête d’âne de Bottom est très stylisée et
esthétiquement très belle. Au-delà de l’aspect visuel, la signification de
l’âne est très intéressante. Bottom est un personnage egocentrique qui veut s’attribuer tous les
rôles au sein de la troupe et qui se comporte en tyran avec les fées de Titania.
La tête d’âne, animal qui a la réputation d’être bête, peut
être une critique à la bêtise humaine. Mais j’ai découvert à l’occasion de mon
analyse que l’âne était surtout un symbole de virilité et de puissance
sexuelle.
Si le spectacle est porté par la dimension scénographique et
plastique, ce sont avant tout les comédiens qui portent
la pièce. Le style de jeu choisit par Guy-Pierre Couleau est un mélange entre
un jeu très physique, très chorégraphié, très comique et un jeu par moments
plus direct et simple. Tout d’abord la diction du texte de Shakespeare est très
bien réalisée. Le spectateur entend tous les mots de la langue shakespearienne
qui oscille entre vers et prose. Pour cela, les comédiens sont obligés
d’articuler énormément le texte et de projeter la voix. Même les moments
chantés sont totalement compréhensibles et sont donc très touchants. Anne le
Guernec qui joue à la fois Hippolyte et Titania change son débit de parole, son
ton et sa manière de parler quand elle change de personnage. Quand elle joue
Titania elle change d’intonation faisant virer son personnage au ridicule. Lors
de la dispute entre Hermia et Hélène, l’intonation de la voix des deux
comédiennes a également changé. Elles ont opté pour une voix un peu plus aigüe
par moments, un débit plus rapide pour donner au spectateur l’impression d’une
dispute presque infantile. La troupe de théâtre amateur avait elle aussi une
diction et une façon de dire le texte assez intéressante. Ils parlaient, à
l‘exception de Bottom, lentement, en hachant leurs mots allant parfois jusqu’à
mal dire le texte. Cette manière de dire le texte donnait l’impression au
spectateur d’une certaine simplicité d’esprit. Un des membres de la troupe de
comédiens amateurs qui devait faire le lion grognait parfois. Dans la troupe, deux comédiens avaient des
accents, ce qui est toujours intéressant. Un des membres de la troupe de
théâtre amateur avait un accent italien ou espagnol, en tout cas un accent
venant du sud. L’acteur jouant Puck, Reinert Sievert, avait un accent allemand
ce qui rendait son personnage de clown encore plus loufoque. Il a même utilisé
à deux reprises une langue étrangère : l’allemand et l’anglais pour clore
la pièce. Outre leurs voix, le travail de jeu corporel était poussé à son
paroxysme. Pendant trois heures les comédiens n’ont cessé de sauter, danser,
ramper, tomber sans jamais laisser tomber le rythme. Cette prestation de jeu
était assez impressionnante et tenait presque parfois de l’acrobatisme. Durant
la scène de la dispute entre Hermia et Hélène par exemple, Hermia ( Jessica
Vedel) veut se jeter sur Hélène ( Clémentine Verdier). La comédienne jouant le
rôle d’Hermia s’est alors élancé et s’est fait rattraper par Lysandre au niveau
de la tête et renverser tête en bas donnant à la dispute un aspect comique.
Beaucoup de disputes ressemblaient à des courses poursuites de dessins animés.
Le jeu donnait par moment également l’impression d’avoir été chorégraphié.
Quand Lysandre explique à l’acte I à Hélène que lui et Hermia vont fuir, il
exécute toute une chorégraphie pour accompagner ses paroles. Durant
l’affrontement entre Lysandre et Démétrius pour le cœur d’Hélène, les deux
comédiens s’adonnent à une sorte de sport de combat chorégraphié hilarant. Cela
donne un côté vivant au texte de Shakespeare. Il y a aussi des
jeux sur les mots qui ont été fait par Guy-Pierre Couleau pour accentuer
l’effet comique du Songe. Quand Lysandre demande par exemple à Démétrius
d’aller se battre avec lui au coude à coude, les deux comédiens s’en vont
ensemble les coudes collés. Le spectacle que les comédiens font à la fin de la
pièce est également très drôle et joue encore une fois sur les mots. Mais le
personnage comique du Songe est Puck. Rainer Sievert excelle dans le rôle de
cet elfe loufoque, exubérant et toujours prêt à faire un mauvais coup. Tout le
talent comique de Rainer Sievert réside dans le fait qu’il arrive à faire rire
juste en écarquillant les yeux. Son jeu corporel est extrêmement précis et fin.
La scène où il goûte la fleur de l’amour et n’arrive plus à contrôler son corps
est assez exceptionnelle. Si l’ensemble de la pièce est très drôle, il y a dans
le jeu des comédiens aussi quelque chose de profondément touchant. La soumission des
femmes est dans le Songe assez flagrante grâce à la position d’agenouillement
qui revient plusieurs fois tout au long du spectacle. A l’acte I, Hermia est
forcée de s’agenouiller devant son père puis devant Thésée. Dans la deuxième
partie, lorsqu’Hélène suit Démétrius dans la forêt elle s’agenouille aussi
devant lui en le suppliant. Même Titania s’agenouille devant Bottom. Le seul
homme qui inverse la tendance dans la pièce est Lysandre qui met un genou à
terre pour demander à Hermia de fuir. Peut-être est-ce seulement le véritable
amour qui peut mettre un terme à l’inégalité des
sexes ?
Au terme de ce parcours nous pouvons dire que Le Songe
d’une nuit d’été mis en scène par Guy-Pierre Couleau est un grand succès.
Bien sûr entendre le texte de Shakespeare est un délice pour les oreilles mais
l’explosion d’idées de scénographie, le jeu fabuleux des comédiens, le mélange
audacieux entre comédiens professionnels et amateurs, la diction très précise
du texte et le plaisir que les comédiens ont pris à jouer participe à la
réussite de cette pièce. Personnellement j’ai été bluffée par l’énergie et la
ténacité des comédiens à qui Guy-Pierre Couleau a demandé un engagement sans
failles.