mardi 20 novembre 2018

Lenz de Buchner

Retrouver le texte même si la traduction est différente.

une analyse du Lenz De Buchner

Buchner met dans la bouche de Lenz sa propre conception de l'art:

  (...) A table, Lenz retrouva sa bonne humeur ; on parla littérature, il était sur son terrain. Alors commençait la période idéaliste. Kaufmann en était partisan; Lenz le contredit impétueusement. « Les poëtes qui, dit-on, donnent la réalité, n’en ont pourtant aucune idée ; mais ils sont en tout cas beaucoup plus supportables que ceux qui veulent transfigurer cette réalité. Le bon Dieu a bien fait le monde, tout comme il doit être, et nous ne pouvons guère barbouiller quelque chose de mieux ; notre unique effort doit être d’y ajouter un peu. Ce que je réclame en tout, c’est la vie, la possibilité de l’existence, et alors c’est bien; nous n’avons pas à demander ensuite si c’est beau ou laid. Le sentiment d’avoir créé quelque chose de vivant l’emporte sur la beauté ou la laideur, et constitue l’unique critérium dans les choses de l’art. Cette vie, d’ailleurs, ne se rencontre que rarement : nous la trouvons dans Shakespeare, elle renait avec toute sa puissance dans les chants aires, parfois aussi dans Gœthe. On peut jeter le reste au feu. Sans doute, il ne faut pas non plus décrire des chenils. On a voulu des figures lestes, mais tout ce que j’en ai vu ressemble à des poupées en bois. Cet idéalisme est le mépris le plus honteux de la nature humaine. Essayez, une fois de vous plonger dans la vie du plus chétif des êtres et de la rendre avec ses convulsions, ses manifestations, toute sa mimique si subtile et à peine remarquée ; j’ai tenté cela dans le Précepteur et les Soldats. Ce sont les hommes les plus proches qui existent sous le soleil ; mais la veine du sentiment est chez presque tous la même ; il n’y a de différence que dans le plus ou moins d’épaisseur de la peau à traverser. Il suffit d’avoir pour eux des yeux et des oreilles.
Hier, en passant par la vallée, je vis deux jeunes filles assises sur une pierre; l’une nouait ses cheveux ,l’autre l’aidait; la chevelure dorée de la première pendait sur son dos ; son visage était sérieux et pâle, bien qu’elle fût toute jeune, et elle était vêtue de noir; l’autre s’efforçait de lui venir en aide. Les tableaux les plus beaux, les plus intimes, des maîtres allemands,donnent à peine une idée de cela. On désirerait parfois être la tète de Méduse pour pouvoir changer en pierre un tel groupe, et appeler les gens. Elles se levèrent, le groupe était détruit; mais en descendant entre les rochers, elles formèrent un autre tableau. Les tableaux les plus beaux, les notes les plus sonores se groupent, s’évanouissent.
« Il ne reste qu’une chose, une beauté infinie qui d’une forme passe à une autre, éternellement accessible, éternellement variée. On ne peut pas toujours, il est vrai, la fixer et la placer dans les musées ou la traduire en sons, puis convoquer fieux et jeunes en les laissant radoter et s’émerveiller sur ce sujet. On doit aimer l’humanité, pour pénétrer l’essence particulière de chacun ; nul ne doit être à nos yeux trop chétif ou trop laid : c’est le seul moyen de le comprendre. Le visage le plus insignifiant cause une impression plus profonde que la pure sensation du beau, et l’on peut faire sortir les figures d’elles-mêmes sans y ajouter quelque chose copié du dehors, auquel cas on ne sent battre et palpiter ni vie, ni muscles, ni pouls ».
Kaufmann lui objecta qu’il ne trouverait pourtant pas dans la réalité de types pour un Apollon du Belvédère ou une madone de Raphaël. « Qu’importe ! répliqua Lenz ; je dois avouer que cela me laisse absolument froid. En travaillant en moi-même, je puis aussi saisir quelque chose là-dedans; mais tout le mérite en est à moi. Le poète et le sculpteur que je préfère, c’est celui qui me rend le plus fidèlement la nature, de telle sorte que je sente sa création; tout le reste me dérange. J’aime mieux les peintres hollandais que les peintres italiens : ils sont aussi les seuls compréhensibles.(...)