Georg Büchner / Jean-Louis Besson
Collec « Le théâtre de », édition Ides et Calendes
Biographie :
Les
portraits le montrent comme digne fils du docteur Ernst
Büchner (médecin, expert des tribunaux) et de Caroline Reuss, fille d’un
haut fonctionnaire.
Avenir prometteur : il étudie la médecine. Meurt à 24 ans du typhus.
Seul
un point détonne : sa veste épaisse est une « polonaise », un vêtement
qui, depuis l’invasion de la Pologne par le tsar en février 1831 est «
considéré comme signe extérieur de solidarité antiaristocratique »
Ce
vêtement apparaît dans le signalement fait de lui quand il est poursuivi
pour la rédaction et la diffusion du libelle politique Le Messager
hessois mais on ignore s’il avait insisté pour le porter lorsque
Hoffmann fit son portrait.
Son identité est complexe :
révolutionnaire, scientifique, philosophe, auteur dramatique, homme de
lettres, c’est un touche-à-tout, un génie et un talentueux bricoleur qui
a laissé une œuvre inouïe.
Mystère d’une œuvre lacunaire qui se
laisse difficilement saisir. Elle tient à garder son ouverture et sa
diversité, elle n’aime pas les systèmes, les généralisations, les
globalisations, elle préfère les questions qui fâchent ; c’est sans
doute pourquoi toutes les idéologies qui ont tenté de se l’approprier
n’ont jamais réussi. C’est une œuvre aux multiples facettes, parfois
contradictoires. Elle est fulgurante, insolite, sensuelle, drôle et
terrifiante à la fois.
I Sur les pas d’un homme traqué / Le Messager hessois
Très
politisé, il était membre d’un groupe d’étudiants en théologie,
association Eugenia. On le perçoit comme une tête chaude, un patriote
allemand au sentiment républicain ardent et tranché, il dénonce la
corruption des petits états germaniques et foudroie tout ce qui se nomme
prince ou roi.
Rappel : agitation politique en France et en Allemagne après 1830
* révolte des canuts à Lyon en décembre
* émeute de bouchers qui avaient tenté de prendre d’assaut le poste de douane sur le Rhin (droits d’importation)
*
opposition virulente des Républicains au régime de Louis-Philippe /
révolution de Juillet : on l’accuse de trahir l’idéal de liberté,
égalité, fraternité. (B a sans doute été en contact avec les
Républicains de Strasbourg)
* putsch de Francfort, 3 avril 1833 :
tentative de prendre d’assaut la garde principale de la ville avec
espoir de provoquer un soulèvement général. Mais le peuple ne suit pas.
Echec et amertume.
B réagit « Mon opinion, la voici ; s’il est
une chose à notre époque qui puisse être utile, c’est la violence. Nous
savons ce que nous pouvons attendre de nos princes. Tout ce qu’ils ont
concédé leur a été arraché par la nécessité. Et même les concessions
nous ont été jetées comme une grâce mendiée et un misérable jouet
d’enfant, pour faire oublier à l’éternel jobard qu’est le peuple qu’il
est emmailloté trop à l’étroit. »
* 1834 création de la Société des droits de l’homme en Hesse par B, organisation révolutionnaire clandestine
>
Il constate que les révoltes n’opèrent pas de bouleversement profond,
ne bousculent pas le pouvoir en place. Il souhaite donc créer l’adhésion
massive des opprimés qui ne sont pas encore prêts à prendre les armes.
Le
Messager hessois : l’urgence pour B est de s’adresser, sous forme de
brochure, aux victimes de l’organisation sociale, c’est-à-dire en Hesse,
aux paysans.
Il ne s’agit pas de leur faire prendre conscience
de la situation. Mais de leur montrer en termes simples et percutants la
nature profonde de l’organisation sociale responsable de leur misère et
d’orienter les esprits sur les moyens de la modifier, voire renverser.
Leur montrer, chiffres à l’appui, qu’ils appartiennent à un Etat dont
ils ont à supporter la plus grande partie des charges, tandis que
d’autres en tirent des avantages, que les lois qui décident de leur vie
sont dans les mains de la noblesse, des riches, des fonctionnaires.
B
prend contact avec le pasteur Friedrich Weidig qui dispose depuis
plusieurs années d’une organisation subversive. Celui-ci atténue d’abord
les formulations de B qu’il juge excessives et radicales. Quand B
dénonce les « riches » W s’en prend plutôt aux « privilégiés ». Il
parsème le texte d’allusions bibliques. Le texte sacré, respecté de
tous, fournit de bons arguments pour dénoncer l’exploitation des pauvres
et le caractère immoral du comportement des dirigeants de l’Etat.
Le 3 juillet, B participe à un rassemblement de démocrates.
Un de ses amis est arrêté avec 139 exemplaires cachés sur lui.
B
se réfugie à Strabourg. Il s’installe chez le pasteur Johann Jakob
Jaeglé, un homme de presque 70 ans, veuf, personnage cultivé, auteur de
cantiques, de poèmes, admirateur des Lumières, de la littérature
sentimentale allemande du XVIIIe. Liaison avec la fille de celui-ci.
9
mars 1835 (il a 21 ans, lettre à sa famille) « Depuis que j’ai franchi
la frontière, j’ai une vitalité toute fraîche, je suis tout seul
dorénavant, mais c’est précisément ce qui accroît mes forces. C’est un
grand bienfait que d’être débarrassé de cette peur secrète et constante
d’une arrestation et d’autres poursuites. »
II La Mort de Danton / Le drame de la Révolution
Jean
Vilar met en scène cette pièce en 1948 : presse élogieuse. Elle
convient à son projet oécuménique de rassemblement sous une bannière
commune après la guerre, tentative de reconstituer une unité nationale.
C’est l’occasion d’une grande fête en l’honneur de la République. Sujet
fédérateur.
Mais la pièce montre : un peuple alcoolique et
assoiffé de sang, incapable de prendre en main les rênes de la
Révolution. Deux figures principales en deçà de leur rôle historique :
Robespierre ne parvient pas à justifier la Terreur, Danton ne prendrait
pas la Révolution au sérieux.
B s’est bq documenté. Et a ajouté
des anecdotes puisées à d’autres sources que L’Histoire de la révolution
française de Thiers : elles dénoncent les exactions et les dérives de
la Révolution (ex : un jeune homme menacé parce qu’il a un mouchoir,
signe d’aristocratie). Il fera de même dans Woyzeck, ajoutant des scènes
périphériques à la trame du meurtre. Il emprunte des traits
caractéristiques des personnages de Shakespeare. Ex : folie de Lucie
(Ophélie), hésitations de Danton (Hamlet) + figures populaires. Traits
fictionnels. Les personnages sont en quelque sorte arrachés à
l’Histoire pour être mis sur une orbite théâtrale. Dans la même optique
de déréalisation, B parsème son œuvre de citations bibliques et chants
populaires allemands.
Si l’on excepte les scènes de procès où
Danton vend chèrement sa peau, le propos essentiel est alors la
condition de l’homme face à l’absence de Dieu, à la souffrance, à
l’amour et à la mort. C’est en fin de compte la sphère intime qui
l’emporte dans ce drame historique. L’Histoire reflue.
Choix
esthétiques de B : la tâche de l’écrivain est de montrer les régions les
plus intimes de l’être humain, de le comprendre de l’intérieur. Il s’en
prend aux auteurs « idéalistes » qui affuble l’être humain de
sentiments et qualités qui lui sont étrangers.
Danton trahit une
part de sa résignation politique (« je me suis senti comme anéanti sous
l’atroce fatalisme de l’histoire » écrit-il en écho à sa fiancée » mais
c’est pourtant à cet époque qu’il conçoit le projet du Messager hessois)
:
« Des marionnettes dont les fils sont mus par des forces
inconnues, voilà ce que nous sommes ; rien, rien par nous-mêmes ! Les
épées avec lesquelles les esprits se battent, seulement on ne voit pas
les mains, comme dans les contes. »
S’en est fini de la
conception idéaliste qui voudrait que l’Histoire soit portée par
l’action des héros. D’où le sentiment d’obéir à une nécessité, un « il
faut », d’être une marionnette guidée par une main étrangère (thème
récurrent dans la pièce).
La Terreur y est remise en question.
III Lenz / L’errance d’un poète
Une
nouvelle lacunaire qui met en scène Lenz. B admirait l’œuvre de ce
poète né en 1751, chef de fil du Sturm und Drang (« tempête et élan »,
mouvement littéraire précurseur du Romantisme), proche de Goethe
(retentissement des Souffrances du jeune Werther). Personnage talentueux
et fantasque.
B avait été sujet à des accès de mélancolie après son retour de Strasbourg, comme le personnage.
Lenz s’en prend aussi à l’idéalisme (aux dépens de la vraisemblance dans son récit).
B
développe une empathie avec la souffrance de L pour mieux comprendre sa
folie, à travers des descriptions précises qui semblent provenir des
recherches récentes sur la schizophrénie (progrès de la psychiatrie). A
la poétique de l’empathie s’ajoute la démarche du scientifique.
On
retrouve sa minutie, comme une observation à la loupe des nerfs de
poissons pour la rédaction de sa thèse. Il aime savoir comment
fonctionne la créature dans sa tête et dans son corps. Même démarche
dans ses travaux scientifiques et littéraires.
IV Le scientifique et le philosophe / La Vie est en elle-même sa propre fin
Il n’aime guère la médecine en vérité.
Sa thèse : Mémoire sur le système nerveux du barbeau
Analogie
entre sa manière de disséquer les poissons et de décortiquer les textes
philosophiques : comprendre de l’intérieur, à partir d’eux-mêmes, et
non de principes généraux.
V Léonce et Léna / Les tribulations d’un triste sire
Le prince Léonce s’ennuie / mélancolique.
Il
s’enfuit avec un traîne-savates rencontré par hasard. Sa promise a
peur du mariage. Elle s’enfuit aussi. Ils se rencontrent par hasard.
C’est
une comédie au second degré, truffée de littérature. Mais portrait d’un
dangereux mélancolique. Ces êtres de chair et de sang font l’éloge de
la paresse (comme B parfois dans sa correspondance). L’artificialité du
théâtre renvoie à l’artificialité d’un monde qui ne survit que comme
parodie de lui-même. B écrit conjointement cette œuvre et Woyzek : il
hisse au rang de figure tragique un pauvre hère humilié et raillé de
tous, tandis qu’il fait d’un prince un personnage de comédie. Ce
renversement des valeurs, qui marque la fin d’une genre, annonce aussi
la fin d’un monde encore puissant, mais à bout de souffle.
VI Chapitre consacré à Woyzeck / Une balade tragique.
Je vous ai photocopié ces parties.
Epilogue
Le théâtre n’occupe pas une place centrale dans la courte carrière de B.
Ecriture de Danton en qq semaines. Léonce répond à un appel d’offre pour revivifier la comédie.
Cette pratique en dilettante à côté d’autres activités lui donne une grande liberté de ton et une inventivité étonnante.
Certains
ont évoqué une écriture qui serait précurseur du théâtre contemporain :
fragmentaire, fondée sur le montage d’éléments disparates.
Importance plutôt de son refus de l’idéalisme, d’une image forcée de l’être humain. Il fait preuve d’une fraternelle humanité.