Le personnage de la Gamine se plaint d’être affublée de noms
d’oiseaux affectueux par ses parents et par sa sœur : mon rossignol, mon
alouette, ma colombe, etc. etc. C’est un motif qui revient tout au long de la
pièce
On fait souvent du rôle de La gamine une petite fille
effrontée, jouant sur le même mode de provocation et de naïveté d’un bout à
l’autre de la pièce. Ainsi, la naïveté apparente de La gamine se transforme en
sincérité absolue, son effronterie en besoin de se libérer du carcan familial
pour rejoindre l’amour de sa vie, Roberto Zucco. Son trajet se termine au
bordel, gamine vieillie avant l’âge, broyée par la machine infernale.
Koltès juxtapose des phrases parfois très littéraires et
d’autres beaucoup plus communes, ce qui est une des grandes particularités de
son écriture qui à la fois colle à la réalité et la dépasse
Roberto Zucco. Il le fallait magnétique, capable de jouer la
tendresse comme la plus extrême violence, la normalité comme la folie
meurtrière.
Le grand défi d’interprétation est d’éviter l’écueil d’un
Zucco petit voyou bêtement méchant ou tendre au grand cœur. Koltès fait de
Roberto Zucco un héros, dans le sens tragique du terme : il dépasse les
autres hommes. Jouer Roberto Zucco c’est se hisser dans un ailleurs, incarner
une autre réalité que celle du quotidien tout en collant au vif des situations.
C’est d’ailleurs le seul personnage de la pièce qui porte un nom. Effrayant,
touchant, imprévisible, méchant, amoureux, violent, doux, Roberto Zucco a
besoin d’un grand acteur.
il faut bien reconnaître que dans cette pièce les forces de
police sont traitées sous leur pire aspect : chacun des policiers,
inspecteurs et commissaires sont successivement de mauvaise foi, méchants,
bêtes ou dépressifs. L’occasion pour nous de construire des scènes
véritablement comiques, en contrepoint à la tragédie qui avance.
Si la plupart des personnages masculins sont traités de
façon négative, il n’en est pas de même pour les femmes, à la fois victimes de
la folie de Zucco et de la folie générale de la société dans laquelle elles
évoluent
Deux personnages en crise, l’une battue par son mari et
l’autre relatant dans un récit saisissant un des premiers meurtres de Zucco, à
la manière du messager dans la tragédie antique. La mère de la gamine, La pute
La mère de Zucco, la patronne
Dans la scène fondatrice de la pièce, Zucco revient chez lui et tue sa mère.
Il est essentiel que la mère soit totalement crédible dans sa douleur,
tiraillée entre l’amour pour un fils et sa détestation de l’avoir mis au monde.
Le spectateur doit être saisi par ce moment qui montre la violence de Zucco à
la recherche d’un habit militaire et le sentiment de panique qui s’empare de sa
mère pour aboutir finalement à son meurtre.Dans un registre totalement différent, la Patronne de l’hôtel représente une espèce de pivot, force immobile recueillant les confessions des uns et des autres. Les personnages qui vont à elle expriment leurs angoisses, leurs terreurs et leurs folies.
Le frère est composé d’un mélange de violence, de tendressr au
grand cœur, de mauvaise foi, de salop et de pauvre type pathétique. Il est
toujours assez étonnant – et déstabilisant – de se retrouver face à un acteur
aussi rapide, avec l’impression qu’on ne saura plus trop quoi lui dire lors des
semaines de répétition précédant la première.
La dame élégante, dont le destin est de croiser le meurtrier
de son fils. Personnage complexe, souffrant d’un ennui profond et détestant son
mari, elle devient l’otage de Zucco après que celui-ci ait tué son enfant. Elle
souhaite pourtant le suivre dans sa fuite.
La
sœur de La gamine. A la fois protectrice, frustrée par sa vie et par sa
famille, étouffée mais magnifiquement rebelle dans sa scène finale, La sœur
raconte le destin brisé d’une femme, écrabouillée par une société machiste
parfaitement représentée par Le frère.
Koltès
a intitulé la scène 13 Ophélie, dans une référence à la folie du personnage
shakespearien avant son suicide. On peut imaginer d'ailleurs qu'à la suite de
ce monologue la soeur, animée d'une rage et d'une détestation du
« mâle », figure de la saleté et du vice, en finit avec sa vie. Ce
monologue a lieu dans le même espace que la scène 12, c'est le seul exemple
dans la pièce où deux scènes se déroulent à la suite dans le même lieu, la
gare, synonyme de départs et de déchirements. La soeur a échoué à protéger la
gamine malgré tout son amour et ses bons soins. Elle en attribue la faute au
frère, « ce rat parmi les rats, ce cochon puant, ce mâle corrompu qui l'a
salie et traînée dans la boue et tirée par les cheveux jusqu'à son
fumier. » L'amour ici est empêché, étouffé, détruit par un tiers.
« J'aurais dû mettre des barbelés autour de la cage de mon amour »,
dit la soeur, ce qui dénote aussi de cette chose à la fois belle et terrible de
l'amour comme champ de bataille.