mercredi 29 janvier 2020

Interview de Cécile Laloy chorégraphe de Piscine(s)

Interview de Cécile Laloy : Chorégraphe

 « J’arrive mieux à voir qu’à entendre. »

 1) As-tu déjà travaillé sur un spectacle de théâtre avec des comédiens qui ne sont pas danseurs?

 Depuis 2012, je travaille régulièrement avec des comédiens sur des spectacles de théâtre et de danse.A l’école de la Comédie de Saint-Etienne, j’ai commencé en tant qu’intervenante régulière pour le corp sau théâtre. Petit à petit, j’ai rencontré des metteurs en scène. Avec Matthieu Cruciani c’est la troisième collaboration. La première fois, c’était avec des chanteurs lyriques puis avec des amateurs et deux comédiens professionnels. C’est donc la troisième fois avec Piscine(s).

 2) Depuis combien de temps travailles-tu sur le projet ? En quoi consiste ta collaboration avec Matthieu ? 
On a commencé à travailler ensemble depuis neuf mois à partir du texte. L’écriture de François Bégaudeau induit un travail choral.La chorégraphie et la mise en scène ne sont pas si éloignées. Je ne m’arrête pas à travailler sur les corps.Les corps des comédiens racontent des choses. L’idée est de partir du texte assez rapidement et de dessiner comme un sous texte. Quelque chose qui s’échapperait de cette pièce. L’idée de Matthieu est  de créer deux langages parallèles : ce qui se dit et ce qui se voit. Ce n’est pas forcément raccord.Par exemple : plusieurs femmes s’expriment sur le féminisme. Toutes les trois se mettent à débarrasser les assiettes, ça ne change pas !! 
Je travaille intuitivement. Je pars du texte, je travaille avec les comédiens et je dégage le sous texte.Il y a des moments où on travaille en binôme avec Matthieu. On fait des tentatives pour dessiner la scène physiquement comme s’il y avait une dramaturgie des corps puis on met le texte par-dessus.Par exemple : une tension est générée par la présence de Paul pour que cela se perçoive dans le corps,pas que dans la parole.Les amis de Paul ne sont pas sereins. La parole fuse. Ils sont en déséquilibre dans une société qui leu réchappe. Ce ne sont pas des gens qui agissent, ils parlent. Des fois, nos corps nous trahissent. Le discours n’est pas toujours raccord avec ce qui se dit.Il n’y a pas de la danse à proprement parlé dans le spectacle. Carolyn Carlson dit : « une attention portée à son corps : c’est déjà de la danse », un film de Jacques Tati c’est de la danse !!On travaille scène par scène avec Matthieu sur la dramaturgie. On échange. On se met d’accord sur ce qui se dit, se raconte. Je n’ai pas le même regard sur le texte. C’est ce qui l’intrigue aussi !! La danse admet l’abstraction, la poésie.... Ça alimente nos conversations.

 3) Le mouvement intervient-il tout au long de la pièce ? 

Oui, avec Matthieu nous travaillons conjointement sur la mise en espace de toute la pièce : sur les déplacements, les regards. L’idée qui nous amuse est de tout écrire jusqu’au regard.Nous demandons aux comédiens de refaire le même mouvement en boucle comme une société en déperdition. Je le traduis dans un langage chorégraphique. Ce n’est pas une succession de mouvements techniques et/ou esthétiques c’est plus une société qui repasse par les mêmes erreurs.Cette société est très centrée sur elle-même et vit loin de la nature. La scénographie renforce ce sentiment.Nous travaillons en contraste sur les répercussions de la nature sur eux. Comme par exemple, un orage.Je propose de cartographier l’espace afin de créer des chemins. La scénographie nous aide pour aller dans ce sens-là. C’est très dessiné : les corps surgissent !! 
Je parle souvent de Jacques Tati aux comédiens comme support. C’est nouveau comme travail pour eux.Ils ont une double partition, celle du texte et celle du corps. Parfois, le corps exprime le contraire de ce qu’ils disent.Par exemple, Paul dit : « Tu devrais enlever tes chaussures Célia ». Célia lui répond « oui tu as raison,regarde, je les enlève ». Ce serait dommage qu’elle les enlève à ce moment-là, mais en aparté, cela décale le propos.Par exemple, la présence de Paul provoque un sentiment de malaise chez ses amis. Du coup, quelqu ’un fait tomber une bouteille ou casse quelque chose. Cela devient une petite ritournelle qui agit sur les corps.Le même esprit qu’un leitmotiv en musique. Il y aura une chorégraphie du groupe très cinématographique.

 Cécile Laloy, Décembre 2019