Woyzeck ou l'ébauche du vertige
Joseph Nadj : Woyzeck ou l’ébauche du vertige (1994) (
analysez le titre complet.)
Des élans qui ne
mènent nulle part
Chorégraphie réalisée alors que la patrie d’origine de Nadj
ex Yougoslavie est encore en guerre civile. Vit en France depuis 10 ans mais
horreurs de la guerre sur le sol européen ont des répercussions sur sa
création.
Titre fait référence à une phrase de Büchner dans le 2ème
état du manuscrit : « Chaque être humain est un abîme, on a le
vertige quand on y plonge le regard. »
Met en scène des êtres perdus dans un monde de violence.
Origine du projet :
commande d’une courte performance par un ami photographe pour le vernissage
d’une expo à Paris. Donc avec deux comédiens de sa compagnie, petit spectacle à
partir de Woyzeck. Rejoint une demi-heure avant la présentation par une
comédienne, il lui demande de rester contre le mur, comme morte. Ce sont les
autres qui la feront bouger et elle devra seulement ouvrir les yeux quand elle
sentira un miroir sur sa joue et vérifier qu’elle a des boucles d’oreilles.
Donc naissance sur le mode d’une improvisation de la 1ère ébauche du
futur spectacle : Marie sera effectivement présentée comme déjà morte au
début, reprenant vie ensuite par instants.
2ème source d’inspiration : « catalogue
d’une exposition organisée à Lausanne où sont présentées des peintures, des
sculptures et des objets faits par des personnes mentalement retardées :
par ex une des scènes, celle qui présente deux personnages obèses à table a été
faite d’après une des images : « le déjeuner ».
Pas intention d’illustrer par une chorégraphie la fable de
Büchner/ reprend le thème de la démence et de la violence. Donc spectacle écho
de la pièce de Büchner.
Mode de travail :
« J’explique aux interprètes ce qu’est l’idée ;
« l’histoire »,les motifs et puis je les laisse improviser.
J’analyse, j’intègre. J’avance sur plusieurs plans. J’ai une idée de séquence
et à l’intérieur une sorte de traitement de l’écriture. »
« Je fonctionne comme cela : je choisis d’abord
l’auteur et après j’essaie de lire tout de lui et autour de lui. J’adore la
littérature, c’est ma nourriture quotidienne, des heures et des heures de
lecture. Forcément comme je n’écris pas moi-même mais je fais du théâtre, je
transpose mes impressions de lecture sur scène. » Nadj s’était toujours
appuyé plutôt sur des textes romanesques, Woyzeck 1ère fois texte de
théâtre .
Un monde cruel et
figé :
Au début du spectacle tout semble pétrifié. Visages
recouverts de boue verdâtre, morts vivants comme sortis d’un marécage. La 1ère
a bougé est Marie, qui en plus de la boue sur le visage a une raie rouge autour
du cou, trace laissée par le couteau de Woyzeck. Action s’engage donc après le
meutre comme dans la mise en scène de Engel La Nuit des chasseurs.
Référence plutôt les spectacles de Tadeuz Kantor Wielepole Wielepole ou la
Classe Morte : personnages morts qui resurgissent sur le plateau.
Atmosphère commune au niveau du décor fait de planches de bois, des costumes de
couleur terne et du jeu parfois mécanique des acteurs. Tables chaises, espace
trop petit pour eux, misérable, semblent bloqués, enfermés.
Décor fondamental dans la mesure où on a le sentiment qu’il
est le moteur des actions : monde étriqué, délabré dans lequel les
personnages se démènent et s’agitent, ce qui leur tient lieu d’existence.
Nadj conserve
quelques éléments caractéristiques de la pièce de Büchner : traces du
crime sur le cou de Marie et les boucles d’oreille, moment du rasage ,
celui où Woyzeck urine ( dans un seau et non dans la rue), l’absorption des
pois, le sentiment que tout est creux. Woyzeck est joué par Nadj lui-même.
Mais le contour des personnages est flou, du mal à les distinguer les uns des
autres., il sont tous l’air dérangés : même folie, actes sans cohérence.
Dans leurs mondes à eux, dans cette boite en bois, eux seuls savent peut-être
pourquoi il sy sont ; actions exécutées consciencieusement mais ni rime ni
raison. Cf passage où Woyzeck tente de grimper une échelle de corde qui lui est
attachée au cou.
Passages retenus de la pièce cependant tous des moments de
violence ou d’humiliation qui viennent s’ajouter à ceux propres au spectacle.
Deux moments caractéristiques : lors que Woyzeck coupe un morceau de son
ventre avec le grand couteau qui avait déjà servi à raser le capitaine et
lorsqu’il arrache un bout de chair du dos d’un des personnages à l’aide d’un
véritable crocher de boucher. : il règne dans la cabane une folie
destructrice.
Mais cela n’exclut pas un certain humour : hiatus entre
la musique à consonance tzigane et ce qui se déroule sur scène.
Spectacle placé sous le signe de la décrépitude, du malheur
d’exister dans un univers oùtout semble hostile et où tous les efforts pour
échapper sont voués à l’échec.
Même si la
chorégraphie de Nadj n’illustre pas la fable de Büchner : « vertigineuse coïncidence, vertigineuse
rencontre entre deux univers qui s’épousant s’exaltent l’un l’autre » (
Myriam Bloedé)
« Comme s’il avait trouvé dans Woyzeck une scène
primitive, le monde de Nadj a pris, au contact de Büchner, des couleurs
minérales, une consistance organique, et il nous apparaît soudain dans toute sa
crudité, à nu, écorché vif, à cœur ouvert. »