A la suite du bac blanc , approfondir la question du costume au théâtre.
 
Portail du costume de scène et d'écran
"Les costumes des personnages seront autant de petits décors portatifs. Un costume-théâtre doit être ridicule, immettable à la ville. Quand il est beau et vrai, il y serait monstrueux.1"
 Cette formule lapidaire du peintre Lucien Coutaud, créateur du décor et des costumes du Soulier de satin  de  Paul  Claudel,  créé  par  Jean-Louis  Barrault  en  1943,  révèle  la  tension  entre  art  et  naturalisme  sur  scène,  particulièrement  exacerbée  lorsqu’elle  se  matérialise  dans  le  costume.  « Vrai » sur scène, donc faux à la ville : l’antithèse condense le caractère artistique de cet élément prosaïque,  incontournable,  inéluctable  du  spectacle,  qui,  parce  qu’il  est  porté  par  le  comédien,  subit  une tension  extrême  entre  deux  aspects  :  fonctionnel  et  esthétique. 
 L’étymologie  du  terme  (du  latin consuetudo,  habitude),  dérivé  de  «  coutume  »,  emprunté  à  l’italien  costume  (« coutume »)  au XIIIe  siècle,  prouve  son  lien  historique  avec  la  peinture.  Utilisé  d’abord  par  Nicolas  Poussin  pour  définir « l’art de traiter un sujet dans toute sa vérité historique (...) suivant le temps, le génie, le goût, les lois, les richesses, le caractère et les habitudes d’un pays où l’on place la scène d’un tableau »2, le costume est un ensemble de signes plastiques visant à contextualiser et à rendre crédible  une  scène  selon  les  habitudes  locales  de  ce  qu’elle  représente. 
Désignant  l’habit  de  théâtre dès le XVIIIème siècle, il se place au cœur d’une contradiction entre la nécessité d’inscrire le personnage  dans  une  tradition,  afin  de  le  rendre  repérable  scéniquement,  pour  créer  l’adhésion  du  public  avec  la  fiction,  et  celle  de  s’harmoniser  avec  la  scénographie,  la  direction  d’acteur  et  leurs  évolutions historiques.  Le  costume  de  théâtre  est  l’un  des  nombreux  éléments  matériels  de  la  représentation,  mais  sa  particularité  réside  dans  ce  paradoxe  :  son  invraisemblance  (c’est-à-dire  sa  beauté  plastique,  à  en  croire  Lucien  Coutaud)  peut  aussi  frôler  le  ridicule,  au  risque  d’y  sombrer  et  d’entraîner  avec  lui  l’ensemble du spectacle. De « trop beaux » costumes peuvent faire la ruine de belles mises en scène.
  Le costume, un enjeu dramaturgique 
 1.    « Types » et déguisements  
Historiquement,  dans  l’Antiquité  puis  particulièrement  dans  la  commedia  dell’arte4, l’une  des  premières  fonctions  du  costume  est  de  désigner  le  type  de  personnage,  et  de  le  rendre  visible  aux yeux du public. Il serait pertinent d’en déceler l’héritage chez Molière, Corneille, Marivaux, ceux-ci conservant  les  noms,  et  les  type  sociologiques,  voire  psychologiques  des  comédiens  italiens.  Arlequin, Matamore, Scapin, Isabelle en sont les successeurs. 
De nombreuses sources détaillent les types  de  personnages.  Le  personnage-type  de  Matamore  dans  L’Illusion  Comique  de  Corneille  nourrirait  une  analyse  problématisée  de  ce  rapport  du  rôle  à  la  tradition,  à  travers  les  choix  de  costumes accentuant plus ou moins la référence historique selon les metteurs en scène.  
On  trouvera  chez  Molière  de  nombreuses  scènes  de  déguisements.  Mascarille  en  précieux  devant  les  deux  provinciales  ridicules,  Monsieur  Jourdain  en  noble  puis  en  mamamouchi,  Toinette  en  médecin  «  passager  »,  pour  ne  citer  que  les  plus  célèbres,  illustrent  la  fascination  exercée  par  le  costume sur l’acteur « aux rubans verts », et sa force de signification au service de la satire sociale.  Le Bourgeois gentilhomme s’avère particulièrement traversé par la question du déguisement : M. JOURDAIN : [...] vous m’avez aussi fait faire des souliers qui me blessent furieusement. 
 Cette réplique adressée au tailleur condense le conflit douloureux entre le corps et le masque, la vérité  du  personnage  aux  prises  avec  son  rêve  inapproprié.  Les  bas  trop  étroits,  l’épée  trop  lourde,  sont  autant  de  «  moules  »  sociaux  auquel  la  physionomie  du  bourgeois  ne  se  pliera  pas  sans  souffrance.  Comédie  du  masque  et  de  l’aliénation,  Le  Bourgeois  gentilhomme  est  aussi  celle  de  l’inadaptation à la réalité, et des désirs contrariés. La fortune de cette comédie-ballet s’explique certes par la débauche de costumes à laquelle elle invite, mais aussi par la profondeur du questionnement sur l’identité et le regard d’autrui qu’elle soulève. Dans quelle mesure Monsieur Jourdain est-il victime de ses illusions ? La nature de cette « indienne »8 que son tailleur lui a dit devoir porter le matin révèle la gravité de sa folie : elle fera du personnage, selon les mises en scène, un simple vaniteux ou un fou dangereux. Le fou rire de Nicole, dans la scène 2 de l’acte III, se justifie par l’aberration du costume du Bourgeois, que chaque époque est libre de réinventer. Costume et déguisement se rencontrent ici, pour nous permettre de les différencier .
   Alors  que  le  «  costume  »  renvoie  à  l’habitude  et  au  rituel,  le  «  déguisement  »,  inversement,  est  un  habit  qui  choque  en  s’opposant  à  ce  qui  fait  la  manière  d’être  habituelle  (« coutumière ») d’une personne. Le « déguisement » dissimule et travestit, quand le « costume » confirme une identité en soulignant une référence sociale, professionnelle ou historique. Cette  subtilité  sémantique  irrigue  de  nombreux  textes  dramatiques,  notamment  dans  le  registre  comique  :  le  déguisement  carnavalesque,  ingrédient  efficace,  n’est  pas  négligé  dans  les  grandes  comédies de Molière (l’Acte III de Dom Juan montre Sganarelle « en habit de médecin » et son maître « en  habit  de  campagne  »,  permettant  ainsi  le  quiproquo  dont  est  victime  Don  Carlos  à  la  scène  3). 
 L’histoire de la pièce Tartuffe montre que le costume du faux dévot, emprunté aux Jésuites lors de la  création  en  1664,  a  pu  alors  indisposer  le  père  Lachaise,  aumônier  du  roi,  et  ainsi  contrarier  la  création  de  la  pièce,  malgré  les  concessions  ultérieures  de  Molière,  prêt  à  «  déguiser  »  son  personnage en homme du monde. 
Plus tard, chez Marivaux, L’Île des esclaves et Le jeu de l’amour et du hasard reposent sur un jeu de masques sociaux, échangés en vue de l’éducation des maîtres ou d’une reconnaissance amoureuse 
Citons l’adaptation cinématographique du Jeu de l’amour et du hasard, signée Valérie Donzelli, qui montre  avec  un  humour  grinçant  l’embarras  physique  autant  que  moral  infligé  aux  protagonistes  «  masqués  ».  Les  costumes  y  sont  intentionnellement  rigides,  posés  sur  les  acteurs  comme  des  panneaux  entravant  leur  gestuelle  jusqu’à  la  douleur.  La  rigidité  des  codes  sociaux,  le  conflit  entre  sensibilité individuelle et statut social, y éclatent dans un registre burlesque proche sans doute de ce que pouvait signifier aux yeux du public du XVIIIème siècle l’échange d’habits « coutumiers ». 
 Le  mariage  de  Figaro  de  Beaumarchais  s’achève  quant  à  lui  dans  une  explosion  de  quiproquos,  machinés  par  Suzanne  vêtue  en  comtesse,  elle-même  vêtue  en  Suzanne,  recevant  ainsi  les  hommages de son propre époux. Chérubin (déguisé auparavant en jeune fille avant d’être rapidement démasqué) entre en scène (scène 6, acte V), sans raison apparente, sinon pour décupler les effets burlesques dus aux échanges d’habits : CHERUBIN se baisse en regardant de loin. Me trompé-je ? Á cette coiffure en plumes qui se dessine au loin dans le crépuscule, il me semble que c’est Suzon. L’obscurité,  les  déguisements,  le  jeu  d’espionnage  auquel  se  livrent  Suzanne  et  Figaro  font  du  costume l’un des accessoires essentiels de cet épilogue : Chérubin veut embrasser la Comtesse ; le Comte se met entre eux deux et reçoit le baiser. [...] CHERUBIN, tâtant les habits du Comte. (A part) C’est Monseigneur ! 
Cette  dimension  comique  du  thème  du  déguisement  explique  la  difficulté  particulière  d’inventer  des  costumes  appropriés  au  genre  tragique.  Rien  de  plus  fatal  à  la  catharsis  qu’un  héros  romain  en  collants  du  XVIIe  siècle.  Le  costume  tragique  ne  souffre  pas  d’être  dénoncé,  au  risque  de  rejoindre  le  déguisement  au  rayon  des  erreurs  esthétiques.  Une  étude  iconographique  des  grands  rôles  tragiques  montrerait  que  les  créateurs  des  XXe  et  XXIème  siècles  ont  adopté  une  esthétique hybride, mêlant les références historiques et géographiques pour réactualiser les mythes. L’Agamemnon  de  Sophocle  mis  en  scène  par  Peter  Stein  en  1980  accumulait  les  références  à  l’Allemagne des années 30, Médée d’Euripide, dans la mise en scène de Jacques Lassalle en 2000, convoquait le Moyen-Orient, celle de Deborah Warner en 2003 se jouait en jeans et chemises, Electre de Sophocle, mis en scène en 1986 par Antoine Vitez semble se dérouler dans la Grèce des années 1940