2. L’apparition du naturel et de la vérité historique
le « costume d’époque », expression trop souvent utilisée sans référent précis, est une notion relativement récente. Alors qu’au XVIIe siècle, les simples bergers des pastorales « portent des habits de soie et des houlettes d’argent », et que « Polyeucte entrait en scène habillé d’un pourpoint à l’espagnole (...) et coiffé d’une toque à plumes », la comédienne Mademoiselle Clairon révolutionna la scène du XVIIIe siècle en œuvrant avec audace pour l’adéquation du costume aux exigences historiques et sociales du rôle. Adolphe Jullien lui rend hommage, en la citant dans un ouvrage de référence :" Le costume ajoute beaucoup à l’illusion du spectateur, et le comédien en prend plus aisément le ton de son rôle : cependant le costume exactement suivi n’est pas praticable : il serait indécent et mesquin. Les draperies d’après l’antique dessinent et découvrent trop le nu : elles ne conviennent qu’à des statues et des tableaux ; mais, en suppléant à ce qui leur manque, il en faut conserver les coupes, en indiquer au moins les intentions, et suivre, autant qu’il est possible, le luxe ou la simplicité des temps et des lieux. Des bandelettes, des fleurs, des perles, des pierres de couleur, étaient les seuls ornements que les femmes connussent avant les établissements du commerce des Indes, et la conquête du nouveau monde. Je désire surtout qu’on évite avec soin tous les chiffons, toutes les modes du moment. [...] La seule mode à suivre est le costume du rôle qu’on y joue. [...] Le premier coup d’œil que le public jette sur l’actrice doit le préparer au caractère qu’elle va développer."
Lutter contre les anachronismes et les invraisemblances dus à la coquetterie des actrices, explicitement désignées par Adolphe Jullien (« la coquetterie féminine aurait bientôt fait, si on la laissait aller, de jeter la confusion dans l’art théâtral, et de nous faire perdre les bénéfices des efforts tentés pendant plus d’un siècle par tant d’artistes de courage et de goût ») fut l’objectif de cette audacieuse créatrice, sociétaire de la Comédie Française à l’âge de vingt ans .
On peut se référer au superbe ouvrage illustré édité par le Centre National du Costume de Scène de Moulins : L’Art du Costume à la Comédie Française, qui retrace deux siècles de création et de réflexion autour du costume. On y constatera qu’en 1881, les dépenses de toilettes des comédiennes durent être fixées par un « règlement sur les costumes et toilettes de ville des dames artistes ». Dans cet ouvrage indispensable23, de nombreuses illustrations permettent de comprendre que le costume reflète les tendances esthétiques des metteurs en scène invités dans la maison de Molière, et les photographies de spectacles, associées à celles de certains costumes décrits précisément, en gros plan, montrent que le costume est à la fois un magnifique objet, digne de conservation, et prolongement du corps de l’acteur. On y trouvera entre autres, la reproduction de la « cuirasse pourpoint » porté par Jean-Louis Barrault, dans le rôle de Rodrigue, ainsi qu’une photographie d’ensemble du Soulier de satin de Claudel dans la mise en scène de 1943. Les deux facettes de cet objet paradoxal y apparaissent ainsi : création matérielle au service d’un ensemble visuel, et propriété intime de l’acteur qui, en s’emparant de l’intérieur de cet objet, lui donne vie jusqu’à le faire oublier.
Le naturalisme au théâtre, à la fin du XIXe siècle, consacrera l’avènement de la pauvreté sur scène. L’article d’Emile Zola sur L’Assommoir porté à la scène encense la nouveauté que représente aux yeux du public une tenue « d’une vérité qui attendrit et qui fait sourire ». Les « pauvres et laides robes des premiers tableaux » de Gervaise sont à ses yeux le « bijou de la pièce ».« Il faut savoir être mal mis et superbement habillé », énonce Emile Zola24, enthousiaste