samedi 20 février 2021

La dimension poétique, lyrique de la Chute des Comètes...

 

La pièce est en soi un long poème qui se construit autour de tout un réseau analogique et métaphorique et d’un travail poétique sur la langue. Les monologues sont le lieu privilégié de cette recherche poétique.

lls sont quelquefois en vers libres, séparés par des blancs : I, 1 (Père), I, 2 (Fille), I, 8 (Père).

Cette forme d’écriture poétique se déplie parfois dans une certaine lenteur, un rythme posé, réflexif, qui renvoie à une poésie narrative.

Le plus souvent ce sont de longs blocs poétiques sans ponctuation. Des flux de parole à fleur de conscience. Il y a là une écriture du rythme et de la scansion, un appel à l’oralité. C’est en ce sens que cette écriture poétique appelle la voix, le plateau. Il y a là une dimension masticatoire, sonore.

La phrase se heurte, se disloque, repart à nouveau. L’absence de ponctuation évoque un travail sur la vitesse de diction, le souffle, une rapidité de parole qui tente de suivre celle de la pensée en mouvement dans l’espace crânien. On entend la frénésie, l’obsession, la dimension circulaire des cataclysmes intérieurs.

- Nombreuses allitérations, assonances, anaphores, énumérations, effets d’accélération, échos.

« Just a matter of chemicals » : « craving crave creusent trachées l’estomac tranché traversées d’acide… » p. 22 : allitérations en [k] [r] [t].

« la carrosserie valdingue la carcasse » p. 85 : assonances en [a] ; allitérations [k] et [s]

ad lib.

- Les réseaux métaphoriques :

Fille :

Coup de foudre amoureux = courant électrique mortel (15, 31-32, 53) – séisme universel (32)

Être humain = centrale nucléaire (32)

Moteur de recherche ordinateur, Internet = espace cosmique (42), organisme vivant (42)

Fin du couple = guerre froide, univers qui gravitent sans interaction, URSS disloquée (42, 60)

Être aimé perdu = disparition dans le cosmos (43)

Amour = objet marchand (58)

Corps amoureux = astéroïdes, planètes (66-67)

Choc amoureux = collision astéroïdes et planètes

Individu = planète indépendante et fragile = république autonome de l’URSS (68)

Cerveau amoureux = cosmos carbonisé où tout chute

Fin amour = URSS disloquée, tremblement de terre, dérèglement climatique (69)

Double réseau métaphorique :

1) Comparé : le coup de foudre amoureux, l’amour, fin de l’amour à comparants : l’électricité, la consomption - le système économique - le système planétaire - l’URSS disloquée

2) Comparé : l’individu à comparants : les planètes - les républiques de l’URSS devenues autonomes.

Le point commun entre les deux comparés réside dans les comparants le système l’URSS et le système solaire. Par extension, l’URSS devient le comparé et le système solaire le comparant (69).

Ce réseau métaphorique entre en écho avec une partie du titre : « la chute des comètes » (cf. répétition du terme « chute » p.67).

On peut faire fonctionner une chaîne métaphorique : amour = URSS = système planétaire.

Père :

Soldats russes = cosmonautes (32)

Cerveau humain = moteur dangereux (48)

Exilés = objets marchands (61)

URSS = ogresse anthropophage, amoureuse mortelle (32) – planète Neptune, la plus éloignée du soleil (33)

Dislocation URSS = tasse en morceaux (40) – pulvérisation (68) – tremblement de terre, dérèglement climatique (33, 69)

Le recours à la métaphore est beaucoup moins développé chez le père. On retrouve les mêmes métaphores que chez la fille : URSS – système planétaire et dislocation de l’URSS : tremblement de terre.

L’amour chez le père n’apparaît pas comme un sentiment entre deux personnes. Il n’évoque que l’amour dévorant de la mère patrie pour ses enfants (61-62).

- Intrusion du russe dans le texte

Valeur de la translittération : donner à lire une langue dans un alphabet compréhensible. On gagne en lisibilité sans gagner en sens. C’est un pas vers la sonorité, pas vers le sens. On rejoint une approche poétique, sonore, qui déplace l’appréhension du langage. Ce « russe », c’est parfois celui de cette jeune femme franco-russe, une langue intermédiaire, métissée, accentuée.

expliciter tous les passages en russe n’a pas de sens en tant que tel (puisque souvent ils sont non traduits, c’est un désir de l’autrice.

NB : Quand on écoute des musiques étrangère, on ne comprend pas tout mais on aime la chanson….)

Il n’y a du cyrillique qu’à un seul moment : p. 87 : mélange parole dirigeant soviétique/Gainsbourg/père.

Skalova dit dans des interviews (à propos d’autres œuvres) qu’écrire dans plusieurs langues (deux, trois à la fois) ne consiste pas à se traduire, mais à poursuivre autrement son geste d’écriture.

On pense encore à Beckett, auteur écrivant tantôt en anglais, tantôt en français…


On sent aussi dans la coexistence des deux langues le fossé linguistique qui éloigne le père et la fille.