lundi 26 avril 2021

Mise en scène de Tartuffe par jacques Lassalle( Padmé, Marie-Morgane)

 

Mise en scène de Tartuffe par Jacques Lassalle


Jacques Lassalle était un dramaturge, écrivain, acteur et metteur en scène décédé en 2018. Il a exercé ses activités durant 51 ans, avec comme principales occupations la direction d’un théâtre, la mise en scène et le jeu de comédien. Il a suivi de prestigieuses études à la Sorbonne qui lui ont permis d’intégrer par la suite l’agrégation de lettres modernes. Il a commencé sa carrière dans le monde du théâtre en fondant le Studio-Théâtre de Vitry en 1967, pour lequel il a écrit plusieurs pièces comme Un couple pour l’hiver en 1974 et Le Soleil entre les arbres en 1975. Par la suite il devient le directeur du Théâtre National de Strasbourg durant 7 ans. Quelques années plus tard, en 2002, il décide de revenir à la mise en scène après un échec au festival d’Avignon de 1994 avec la pièce Andromaque qui n’a pas bien été accueilli. Le théâtre qu’il a crée a mis en scène pas moins de 126 pièces de 1967 à 2014. Grâce à son travail acharné, il obtient plusieurs distinctions et récompenses comme le Grand Prix national du théâtre en 1998. Il est également officier de la Légion d’honneur, chevalier de l’ordre national du Mérite et commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.

En ce qui concerne sa mise en scène du Tartuffe, Bernard Dort nous mettait en garde dans le programme du TNS en nous disant que ce ne serait pas une « prouesse de metteur en scène », mais davantage un spectacle qui s’interroge sur les relations entre les personnages et la compréhension de ceux-ci. Lassalle a tenu à raconter autant l’histoire de Tartuffe et d’Orgon que celle d’une famille « en crise ». Le décor de Yannis Kokkos permet d’accentuer cette ambiance conflictuelle. En effet, les pièces sont grandes, vides, et l’espace froid. Les murs sont blancs et le sol noir. La lumière ne dévoile aucune chaleur. On peut imaginer que le spectacle sera sérieux, voire dramatique. La maison est présentée comme personnage central de la pièce qui est le reflet de la vie que mène ses habitants. Cette idée a également été utilisée par Stéphane Braunschweig où la maison s’enfonce dans le sol au fur et à mesure que la vie des personnages se dégrade. Pour en revenir à la mise en scène de Lassalle, il a été convenu que la maison devait suggérer une joie d’antan qui a laissé sa place à une atmosphère « pesante et obsédante » causée en partie par Tartuffe.

La vision de Lassalle sur le personnage de Tartuffe est par ailleurs singulière. Il ne rempli pas les critères originels qui le veut « gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille ». Il a également du relief qui rend son personnage plus complexe et difficile à condamner. Il n’est pas seulement un faux dévot hypocrite. Son caractère est par conséquent plus complexe à cerner, plus fin. Ce choix permet la réflexion et la remise en question du spectateur qui est également berné par cette nouvelle représentation de Tartuffe plus « séducteur et voyou ». Mais son personnage a aussi une autre fonction. Il ne vient pas semer la pagaille dans une famille où tout allait bien, il vient révéler des vices déjà présents initialement. Tartuffe se serait alors emparé d’un rôle inventé par Orgon, celui de rédempteur. La mise en scène laisse en effet deviner qu’Orgon est victime d’un « double échec ». Échec social d’un homme qui prétend à de puissantes fonctions d’une bourgeoisie montante, et échec familial d’un père autoritaire qui ne saurait se faire défier que par son fils et sa servante, mais inconfortable dans son remariage. Orgon a besoin d’accomplir sa vie par procuration. C’est ainsi que Tartuffe s’est vu attribué ce rôle de « saint », auquel il a finalement su s’attacher. Cette relation entre Orgon et Tartuffe est néanmoins toxique et contribue à rendre une ambiance mortifère à la mise en scène. Mais le reste de la famille ne souffre pas moins. Damis, le fils d’Orgon, souffre de l’invisibilité et du mépris que lui porte son père qui accorde plus d’importance à un étranger. Mariane, sa sœur, se trouve quant-à-elle dans l’incapacité de se libérer d’une emprise paternelle trop importante. Elmire se retrouve elle dans un mariage qui ne semble pas la satisfaire, et se fait par la même occasion, séduire par Tartuffe qui lui accorde l’attention qu’elle souhaiterait. Madame Pernelle, mère possessive et désespérée par les agissements de sa belle-fille ainsi que ceux de ses petits enfants, n’arrive simplement pas à suivre le monde et son évolution. Les seuls personnages qui semblent ne pas céder à la déraison sont Cléante et Dorine. Ils se trouveront pourtant impuissant face à la situation qui frappe cette famille. La place de la femme dans Tartuffe est également importante pour Lassalle, notamment avec Dorine. Elle se place tout de suite comme l’égale de l’homme, voire comme protectrice de la famille. Il y a un vrai jeu de pouvoir qui s’opère entre elle et Tartuffe. Cette mise en scène montre vraiment les souffrances de chaque personnage et rend la pièce plus similaire à une tragédie qu’à une comédie où tout finit bien quand Tartuffe est condamné. Le problème est plus profond que cela, et l’humanité possède des émotions plus complexes. Le traitement des personnages de Jacques Lassalle est très singulier comme nous l’avons vu précédemment. Mais il l’est particulièrement car il accorde autant d’importance à ce qui est initialement qualifié de « second rôle » qu’aux personnages principaux. Chaque personnage a une histoire à nous raconter, des émotions à vivre, et nécessite d’être traité autant qu’un autre pour avoir une vrai sincérité et la même qualité d’écoute. Le metteur en scène prend les personnages tels qu’ils sont, et non par rapport aux rôles qu’ils devraient représenter.

Pour ce qui concerne le jeu d’acteur, Lassalle privilégie une réelle sincérité qui rendra le jeu naturel. Il n’y a pas d’artifices, de mouvements et gestes exécutés pour « combler ». Il n’y a que la sincérité des corps et des émotions des personnages qui frappent le spectateur. Son théâtre est par ailleurs chuchoté, avec des voix blanches, et un ton parfois monocorde. Cela est vecteur d’émotions. Le spectateur est alors captivé, emmené par les comédiens dans l’histoire. La place laissée au silence est également très importante car il est tout autant important d’écouter ce qui se dit que ce qui ne se dit pas. Comme si les mots n’étaient pas suffisants pour exprimer les émotions et désirs des personnages. Le corps détient donc une place essentielle pour faire comprendre ce qui ne se dit pas. C’est ainsi que beaucoup des enjeux de la pièce nous parviennent : ceux de la faute, du péché, ou encore de l’interdit.

Pour ce qui est de la distribution, elle a été qualifiée de disparate. Il y avait :

Dorine : Yveline Aillaud

Damis : André Wilms

Cléante : Bernard Freyd

Valère : Jean-Marc Roulot

Mariane : Hélène Lapiower

Madame Pernelle : Paule Annen

Orgon : François Périer

Tartuffe : Gérard Depardieu

Jacques Lassalle a subi de nombreuses critiques sur sa mise en scène du Tartuffe, notamment sur le choix des personnages d’Orgon et de Tartuffe lui-même. Après les premières représentations en 1984, on lui reprocha également d’avoir changé l’histoire originale et d’avoir modifié la comédie en tragédie. Il a donc été accusé de ne pas avoir suivi le modèle que nous étudions à l’école, d’être « sorti » des codes en un sens. Les critiques de l’époque auraient donc souhaité une pièce classique, qui n’explore pas des émotions profondes et sincères chez les personnages, et qui finit bien comme si Tartuffe était l’unique source de malheur. Aujourd’hui, cette mise en scène est pourtant considérée comme une référence.

Cette mise en scène a marqué l’histoire du théâtre car elle explorait un classique de Molière d’une manière très singulière et jamais vu auparavant. Avec cette pièce nous avons une tout autre facette de Tartuffe qui s’offre à nous, une facette plus sincère voire « crédible », puisque les personnages sont traversés par des émotions plus nuancées dans lesquelles nous pouvons nous reconnaître. L’atmosphère et le décor du spectacle sont également très étonnants pour une pièce comme celle-ci. Voir cette proposition du Tartuffe est très enrichissante pour découvrir un tout autre aspect de l’histoire et des personnages.

La création du Tartuffe par Jacques Lassalle dans un JT de l'époque. Depardieu y explique aussi la différence entre jouer au cinéma et au théâtre.

Jacques Lassalle invité sur France Culture pour parler de Tartuffe