lundi 26 avril 2021

Mise en scène du Tartuffe par Antoine Vitez ( Eugénie et Aliyah)

 

Mise en scène du Tartuffe par Antoine Vitez ( Travail d’Aliyah et Eugénie)

Antoine Vitez monte le Tartuffe de Molière en 1978, mais décide de ne pas ajouter une nouvelle mise en scène banale et habituelle de la pièce à une liste déjà longue. En réalité, il conçoit dès 1973 un tout autre projet original qui consiste à créer une tétralogie. Tartuffe occupe alors une place très importante, mais fait partie d’une conception d’ensemble en partageant des caractéristiques communes avec les trois autres pièces que sont L’Ecole des femmes, Don Juan et Le Misanthrope.

Vitez précise que cette idée, de monter quatre comédies de Molières, lui était venue à l’esprit depuis bien longtemps déjà avant qu’il ne la réalise vraiment. Il dit qu’il n’avait pas envie d’en choisir une seulement et de la monter, qu’il n’avait pas envie d’en jouer une plutôt qu’une autre. Pour lui, une œuvre de théâtre ne doit pas être éternelle ou définitive, ce n’est pas une « cathédrale de signes ». C’est en honorant ses paroles qu’il monte ce projet, qu’il qualifie plutôt de « machine unique ». Ainsi, son idée était de jouer quatre pièces avec un seul et même groupe de comédiens, un seul décor et une seule gamme de costume également. C’est pour lui une manière de renouer avec l’histoire originale du théâtre, c’est-à-dire lorsqu’il ne s’agissait pas de faire une œuvre nouvelle à chaque pièce nouvelle mais de produire un répertoire de styles avec donc de la comédie, de la farce, de la tragédie ou du drame. Parmi les douze comédiens, presque tous étaient d’anciens élèves du conservatoire, tout comme Antoine Vitez, autrement dit aussi des gens « interchangeables », indépendamment de l’âge du rôle et de toute considération d’emploi. Les seules exceptions étaient les comédiens Gilbert Vilhon et Murray Grönwall. Par ailleurs, Antoine jouait lui-même dans sa tétralogie.

La création de cette tétralogie a donc lieu en 1978 au festival d’Avignon, un divertissement dit-on accueillie favorablement par la critique, mais c’est en réalité la longue tournée de la reprise en octobre 1978 à l’Athénée puis à l’automne 1979 au Théâtre de la porte-Saint-Martin, qui a fait le succès publique.

Dans cette tétralogie, Antoine Vitez a choisi des perruques lourdes et abondantes de l’époque de Molière dans le but de résoudre des problèmes comme : « comment faisait-on pour vivre, la tête ainsi encombrée, comment faisait-on l’amour ? ». D’un autre côté, ce qu’il désirait c’était de reconstituer un langage que l’on dit « perdu ». Il cherchait à tout prix à éviter ce qu’il qualifie de : « l’invraisemblable banalité de la diction traditionnelle » en faisant pleinement entendre l’alexandrin des quatre pièces.

Lorsqu’Antoine Vitez parle du décor choisi, il dit : « je suis parti du décor du théâtre du conservatoire » où il a beaucoup travaillé, c’est-à-dire une boîte avec des murs de style pompéien. La toile du fond faisait d’ailleurs penser qu’elle était empruntée à la villa des Mystères à Pompéi, se rapportant ainsi aux « fractures du temps » dans la mise en scène des classiques.

 

Tartuffe, en partageant ses caractéristiques, se différencie du reste de la tétralogie, par des influences extérieures du projet de départ. Antoine Vitez travaillait déjà sur les quatre pièces lorsqu’il a été invité par le directeur du Théâtre de la Satire à Moscou, à mettre en scène une des quatre pièces. Antoine Vitez a donc choisi Tartuffe, qui a donc été montée au printemps 1977. Il décide de la jouer « légèrement archaïque ». Il remit en scène Tartuffe plus tard en France et décida de la faire « copiée de la russe », c’est-à-dire les mêmes acteurs, dont la Dorine russe (Nina Kornienko), car il y avait une grande profondeur insoupçonnée du rôle. Antoine Vitez a même trouvé une parenté fondamentale entre le film « Théorème » de Pasolini » et Tartuffe, qui est la morale ambigüe. A la fin du Théorème de Pasolini, le jeune garçon se demande en quoi il a apporté quelque chose au monde. De même, dans Tartuffe, un trouble irréparable est présent à la fin de la pièce. Antoine Vitez s’est donc inspiré du Théorème de Pasolini pour  monter Tartuffe, surtout sur la question de la religion. Pour les Pasoliniens, le Christ est celui qu’on n’a pas invité, qui passe, qui transforme le destin de chacun et laisse derrière lui un champ de ruine. Antoine va donc interpréter cela, et va assimiler le Christ à un imposteur. Antoine va dire : « Tartuffe est une pièce contre la vraie religion et non contre la fausse ». L’imposture est l’idée du salut.

L’alacrité des corps est essentielle pour mettre en scène une pièce. Pour Tartuffe, le jeu est très physique et extériorisé. Par exemple : Tartuffe, éclatant de sa jeunesse et de sa beauté, devait vite se libérer de sa perruque, rectifiait son maquillage à l’approche d’Elmire (III,2). Dans sa séduction, il anticipait les répliques par l’audace de sa gestuelle (III,3) jusqu’à la prise de possession simulée (IV,5). Ce jeu de scène était représentatif du traitement du corps féminin. Et comme disait Antoine Vitez : « Il fallait s’enfoncer tête baissée dans la misogynie. ». Seule Dorine y échappait, elle organisait, pour les membres de la famille regroupés autour d’elle, un petit théâtre, sur une chaise, pour le discours final. C’est Nada Strancar qui interprétait ce rôle, ces incessantes ruptures de ton au principe même de la tétralogie. Antoine Vitez disait : « Je vois une Dorine qui pleure, une Dorine qui a les larmes aux yeux, une Dorine qui enrage ». Par ailleurs, Dorine a un esprit gai, et sa gaité reprenait toujours le dessus.  

Extrait d'un entretien de Vitez avec l'un de ses acteurs Richard Fontana, extraits des pièces aussi

 Sur la référence au film Théorème de Pasolini: 

Théorème (Teorema, 1968) est l’adaptation cinématographique par Pasolini de son propre roman, publié la même année. Un jeune homme angélique visite chaque membre d’une famille bourgeoise milanaise, puis disparaît, les laissant désemparés et enfin conscients de la vacuité de leur existence. Cette visitation sexuelle et amicale les poussera à remettre en question leur mode de vie, sans enrayer un sentiment d’échec et désespoir. La jeune fille amoureuse de son père sombrera dans un état catatonique ; le fils deviendra un artiste moderne raté ; la mère cherchera le salut en s’offrant à des inconnus ; le père donnera son usine à ses ouvriers et, dans le plus total dépouillement – il se déshabille dans une gare – errera nu dans le désert. Seule la bonne de la maison trouvera le salut dans la sainteté. Retournée dans l’exploitation agricole de son enfance, elle accomplira des miracles. C’est le seul personnage qui est touché par la grâce de cette visitation car elle appartient au peuple qui n’a pas perdu le lien avec le sacré et la foi chrétienne. Les membres de la famille, sans aucune conviction religieuse ou idéologique, ne peuvent que s’autodétruire. Point de salut pour la bourgeoisie. Communiste et militant sans appartenir à aucun parti, habité par les figures de Marx, Freud et Jésus, Pasolini avait développé sa propre pensée, en marge des courants gauchistes de l’époque, convaincu que le Christianisme était une force de résistance contre le capitalisme en Italie. Comme son titre l’indique, Théorème propose une démonstration quasi mathématique sur les mécanismes de la foi et la doctrine du poète cinéaste. Elle sera reçue de diverses manières puisque le film obtiendra un fort retentissement critique lors de sa présentation à la Mostra de Venise, le Prix de l’Office Catholique du Cinéma, mais aussi une condamnation du Vatican et un procès pour obscénité.