jeudi 3 février 2022

Remarques sur la captation du Tartuffe de Braunschweig ( cours du jeudi 3 février)

 

La singularité de cette captation tournée en public lors de deux représentations en mai 2008, au Théâtre national de Strasbourg, consiste en ce qu’elle a été réalisée et montée par Stéphane Braunschweig lui-même. La démarche n’est pas inédite (Benoît Jacquot a par exemple réalisé lui-même la captation de sa mise en scène de l’opéra de Jules Massenet Werther, en 2010, Ariane Mnouchkine réalise elle-même également les films de ses pièces), mais elle est rare et témoigne d’une volonté, de la part du metteur en scène, de maîtriser les différents modes de diffusion de son spectacle, dans un geste « auteuriste » affirmé.

Les choix du metteur en scène-réalisateur concernant le cadrage et le montage sont d’une apparente simplicité : les plans sont tournés suivant un angle « normal », qui ne déforme par conséquent pas l’espace scénique, mais en souligne au contraire la géométrie et la simplicité ; les valeurs sont dans l’ensemble moyennes (plans américains, plans moyens), sans recours aux gros plans ; l’enchaînement des plans est par conséquent fluide, serein, évitant les contrastes trop violents entre les images. En vérité, c’est la vision du Tartuffe de Molière du metteur en scène qui guide les choix de réalisation : la maison d’Orgon se révèle être une prison aux murs aveugles, comme le découvrira la scénographie évolutive à l’acte III (murs qui montent), et cet enfermement est doublement souligné ; par le plan large frontal qui filme l’ensemble du décor (une boîte grisâtre) d’une part, en inscrivant dans l’image son encadrement noir (l’effet de surcadrage sépare encore la maison d’Orgon du reste du monde), et par le maintien hors champ du public (qu’on ne voit jamais et qu’on n’entend que rarement) d’autre part. L’action se déroule ainsi dans un lieu littéralement coupé du monde et dans un temps suspendu, sans lien avec l’extérieur (extérieur de la maison, extérieur de la scène), métaphore de l’espace de l’enfermement physique et psychique d’Orgon, à l’intérieur duquel la volonté de puissance mortifère de Tartuffe peut se déployer.