Les suivantes :
la tradition en faisait souvent des potiches.
C’est à elles que Molière donne vraiment un rôle nouveau :
• Insolence à la limite du supportable
• Elles sont le contrepoint des manies de leur maître
• Elles soulignent le ridicule de leur maître
• Elles expriment le bon sens populaire sagesse. Elles sont en quelque sorte l’expression du discours social. Molière enrichit leur fonction de faire-valoir et les points de vue qu’elles défendent sont souvent plein de bon sens. Dans Le Malade imaginaire, Toinette ne se gêne pas pour dire à Argan en parlant de Fleurant et Purgon : “ ils ont en vous une bonne vache à lait ”
Les valets et
servantes de Molière assument une responsabilité plus grande :
quand il leur est donné de participer à l’action de la pièce, c’est toujours pour défendre le parti de la jeunesse
contre les lubies des pères abusifs ou maniaques ou d’adultes vicieux ou
intéressés, de vieillards lubriques… C’est ainsi sans doute qu’ils illustrent le
mieux la pensée de Molière.
Se développe, avec Molière, une domesticité plus familière aux spectateurs, comme la suivante ou le laquais, signes extérieurs de prestige. Les valets et les servantes ont une proximité et une intimité avec les maîtres plus vraisemblables que vraies, et indispensables à l’action. Loin de toute tendance “naturaliste”, ces emplois* demeurent donc des emplois de convention dans des intrigues de convention. Ils se répartissent à des degrés divers en deux grandes catégories :
1. d’une part le serviteur un peu balourd ou simple: Sganarelle de Dom Juan*,par exemple
2. d’autre part le serviteur rusé et vif d’esprit: Scapin des Fourberies*, Lisette, Toinette
C’est Molière qui va donner au fourbe ses rôles prestigieux de protagoniste (qu’il tenait lui-même) et qui va l’étendre aux servantes, en particulier avec Toinette du Malade imaginaire*. Dès lors, les ruses, pur plaisir dramatique et clou de la comédie, se succèdent sur un rythme frénétique et enjoué.
La vérité humaine se mêle à la plus folle fantaisie. Molière, surtout grâce à ses servantes qui jouent un peu le rôle de mères (étrangement absentes de ses comédies), a su doter son personnel domestique d’une lucidité morale pittoresque et rude, dans une langue savoureuse et chaleureuse qu’on ne trouvait pas avant lui, et qui frappe le public. En même temps, sous ces couleurs réalistes, Molière a su faire des valets et des servantes, doubles dégradés (et enviés) des jeunes maîtres, une des plus belles illustrations dramatiques et comique du “monde inversé”, cher à Ch. Mauron. Leur gloutonnerie et leur ivrognerie (discrètes), leur franc parler, l’absence de bienséances, de scrupules et de honte, provoquent un sentiment de liberté et d’euphorie. Le serviteur immoral mais désintéressé, qui oeuvre toujours pour le bonheur des jeunes maîtres, donne libre cours à ses instincts, domine allègrement le supérieur, le juge sans ménagements, le raille, le ridiculise.
C’est lui, non les amoureux, qui berne les personnages d’autorité. Cette fête de l’inconvenance peut se rattacher à la fantaisie du carnaval où tout est permis, revanche magique sur les répressions morales et sociales. Elle prend, surtout avec les comédies-ballets, les allures rassurantes, ludiques et poétiques, d’une récréation, d’une fête de la liberté.
Aucun domestique ne pouvait se permettre dans la société du XVlIe siècle les audaces et les écarts qu’il se permet sur scène. Alors que le confident de tragédie, respectueux des bienséances, sobre représentant du bon sens face aux égarements de la passion, n’a qu’un rôle effacé et passif, la puissance du serviteur de comédie dans la course au bonheur des amoureux constitue une médiation nécessaire.
Les fils et les filles ne peuvent se permettre eux-mêmes, sous peine de tensions graves, de malaise et de remords, d’affronter ouvertement les pères. La révolte, les paroles et les actes d’opposition sont donc délégués à des serviteurs “hors-jeu”, en marge des valeurs établies.
Molière a ainsi considérablement renouvelé, enrichi, diversifié une fonction, il a dotées les domestiques à la fois de vérité et d’irréalité, de finesse et de burlesque, de naturel et de fantaisie. Cette alliance rare et inégalable ne se rencontrait pas dans les farces ni chez les écrivains de comédie qui ont précédé.