lundi 9 mai 2022

DM sur Tartuffe: propositions de travaux intéressants ( 1)

 

  1. Le Tartuffe, de Molière est une pièce qui fit scandale à l’époque du dramaturge, et qui fut censurée à sa sortie mais qui va connaitre très vite beaucoup de succès. L’auteur y dénonce les faux dévots à travers le personnage de Tartuffe qui va semer la zizanie dans la famille d’Orgon, un riche bourgeois. Molière attaque non pas la foi mais son instrumentalisation dans la société et les enjeux de pouvoir. Au sein même de la famille vont se former deux camps, l’un sous l’emprise de Tartuffe, l’autre essayant de se rebeller. Le patriarche Orgon fait part de sa décision de marier sa fille à Tartuffe, lors de la première scène de l’acte II contrevenant à la parole qu’il avait donné à Valère, le fiancé de Mariane.

La scène 4 de l’acte II que nous allons analyser montre comment la décision d’un père épris d’un faux dévot va jusqu’à impacter( le mot n’est pas beau et anachronique, préfère perturber) l’amour de sa fille et de son fiancé, Marianne et Valère. Dorine, la suivante, est également présente lors de cette scène et assiste à la mésentente/quiproquo des deux amoureux pour voir jusqu’où ils iront. Nous analyserons donc quels choix sont opérés dans la mise en scène quant aux relations entre les personnages. ( Développe l’analyse dramaturgique du passage pour en montrer davantage les enjeux et déjà un questionnement par rapport aux attentes que la mise en scène de Braunschweig viendra ou non combler.)

Lorsque débute la scène 4 de l’acte II, le plateau est presque vide, une chaise de bureau côté jardin symbolise en quelque sorte le salon où va avoir lieu la scène. Cette scène vient juste après de la discussion scène 3 entre Mariane et Dorine à propos de Tartuffe, où la jeune fille se montre vulnérable face à un père tout puissant, la suivante la réprimande tout d’abord avant de la consoler. Sur scène, il y a donc déjà Mariane et Dorine présentes lorsque Valère arrive. La porte de la chambre de Mariane (à fond cour) est entrouverte. Dans l’encadrement de la porte se tient Dorine, spectatrice silencieuse, du moins au début de la scène. De la chambre se dégage une lumière tamisée aux reflets chauds (dans les tons jaunes d’or/orange) qui peut faire penser à une sorte de gynécée, où se tient une partie de la scène III, entre Dorine et Mariane. C’est un espace réservé aux femmes, favorable aux confidences, c’est le domaine de Mariane et Dorine, figure maternelle de la pièce.

Sur la porte d’entrée est accroché un crucifix, symbole de l’omniprésence de la religion au sein de la famille. Le dénuement et la froideur de la scénographie, des murs vides et gris, un écran noir éteint est accroché au centre du mur, tout cela renforce le côté austère et répressif de la religion dans la famille. De plus, le crucifix est accroché sur l’œil de bœuf de la porte, le crucifix rappelant, par la religion, Tartuffe, c’est comme si cet objet incarnait la surveillance des membres de la famille et des visiteurs par Tartuffe, et le contrôle qu’il exerce sur leurs vies. La scène commence par l’arrivée surprise de Valère. Il est vêtu d’un costard( familier , à remplacer par costume trois pièces.) et tient à la main une bouteille de champagne et trois flûtes qu’il va remplir et donner à Mariane et à Dorine. Son costume renvoie tout d’abord à son rang social, il provient sûrement d’une famille aisée, dans le type de la famille de Mariane. Mais ce costume peut faire penser également à la fête, il l’a mis pour ‘célébrer’ l’annonce du mariage avec Tartuffe, qu’il tourne à la farce, trouvant la nouvelle trop absurde pour être vraie. Par son costume on peut penser qu’il joue un rôle en tout cas au début, auquel va croire Mariane qui ne va pas comprendre son ironie. Son euphorie va retomber bien vite à partir de la réplique de Julie Lesgages, qui parle, elle, sérieusement : ‘Il est certain que mon père s’est mis en tête ce dessein’. Son humeur festive et sa dérision face à la nouvelle vont laisser place d’abord à de l’incrédulité inquiète puis à de la colère. Il va chercher confirmation de ce que lui révèle Mariane en se retournant vers Dorine, qui elle ne réagit pas, se tenant à l’écart pour mieux les observer. A ‘Votre père madame…’ Valère semble avoir pris un coup, il se courbe et fléchit les genoux, comme sous l’effet d’un choc, on peut donc remarquer par sa posture corporelle son changement intérieur. A la différence de Valère, Mariane est dès le début de la scène sur la réserve car elle est complètement perdue et inquiète par la nouvelle encore récente de son mariage arrangé avec Tartuffe. Elle peut faire penser à Agnès, dans L’Ecole des femmes, car c’est une jeune fille pas très dégourdie, plutôt naïve, et qui a du mal à comprendre l’humour, prenant tout au premier degré. Mariane est le rôle type de l’ingénue de la comédie, innocente et soumise, elle ne sait rien et manque d’aplomb. Face à la réaction ironique de Valère, elle va se montrer encore plus perdue qu’avant ne sachant plus quoi penser de son amant, ni de ce qu’elle doit faire par rapport à Tartuffe. Son étonnement va vite se transformer en colère. De plus, sans l’intervention de Dorine pour la conseiller dans ses réactions, elle va commettre plusieurs maladresses qui vont provoquer l’agacement de Valère, et donner lieu au quiproquo de la scène. Elle semble complètement désemparée. Valère la surprend, tout d’abord en faisant irruption chez elle, (elle est vêtue en habits pour rester à la maison) et ensuite par sa joie et ses questions auxquelles elle ne sait pas comment répondre. Il est visible que Mariane est encore une enfant/adolescente par son costume notamment et par son comportement. Elle est vêtue d’un gilet rose et d’un t-shirt également rose clair, de collants et de baskets. Elle parait plus jeune que Valère, qui lui parait déjà être, physiquement en tout cas un jeune adulte.

La scène bascule dans la dispute, qui va monter en crescendo à partir de ‘je ne sais.’ Cette réplique est ambiguë et va donner lieu à une mauvaise interprétation de la part de Valère, qui comprend par-là que Mariane ne sait pas si elle l’aime encore. Ce qu’elle voulait dire initialement était son incertitude et sa peur face à la décision paternelle, à laquelle elle n’ose obéir et en même temps à laquelle elle se récuse( Ce verbe ne convient pas.) de se soumettre. Elle demande même conseil à son amant dans le but qu’il la guide et qu’il l’aide à voir clair ‘que me conseillez-vous ? ’. Cependant, à nouveau, ce dernier ne va pas comprendre l’intention de Mariane et va lui répondre par l’ironie, ne voyant pas qu’elle l’appelle à l’aide. Il est blessé dans son égo et c’est cette blessure qui va guider sa colère contre Mariane :  ‘Je vous conseille moi de prendre cet époux’. Pourtant, malgré l’attitude qu’il se donne, il y a des signes d'amour dans l'attitude de Valère, qui sont révélés par ses déplacements hésitants entre Mariane et sa place, puis plus tard jusqu’à la porte.   Les personnages de Mariane et de Valère se tiennent tout d’abord côte à côte, à cour, ce qui reflète leur entente, puis quand ils s’éloignent, leur désaccord. Il y a un conflit entre l’amour et l’amour propre ici. Chacun d’eux semble jouer un rôle, prononçant des paroles blessantes et qui vont à l’encontre de leurs pensées/ sentiments réels. Il est visible qu’ils font tout cela sur le coup de la colère et en gardant toujours l’espoir de faire réagir l’autre dans son amour.

Mariane a toujours du mal à s’imposer face aux autres, nous pouvons l’observer par la longueur de ses répliques par exemple. Valère parle beaucoup plus qu’elle, elle va surtout reprendre ce que dit son amant le contredisant ou bien questionnant ce qu’il dit ‘Je vous conseille moi de prendre cet époux.’ ‘Vous me le conseillez ?’ Et pourtant, Mariane va pour la première fois montrer sa colère et essayer de s’imposer répondant avec véhémence à son amant, en s’éloignant de lui par exemple ou tapant du pied. Sa colère enfouie semble lors de cette scène éclater Elle réagit comme en décalé car c’est à son père qu’elle aurait dû répondre. Mais sa colère est plus un sentiment de résignation et de douleur face à la conduite de son amant, elle se sent trahit, déjà qu’elle manque de confiance en elle. Mariane est un personnage sensible et timide, que sa famille ne respecte pas vraiment, son père lui impose ses décisions, Dorine la dispute face à sa passivité. Lors de cette scène, les choix de la mise en scène quant aux relations entre les personnages transparaissent notamment dans la relation dominé/dominant qui peut être perceptible. Mariane n’est pas très à l’aise dans son corps, elle ne fait pas beaucoup de gestes, elle se replie sur elle-même, elle n’est pas apprêtée, elle est très pâle, et lorsque commence la dispute, elle boit d’une traite son verre comme pour se donner du courage pour répondre à son amant grâce aux effets de l’alcool. Au contraire Valère se tient droit, il est bien vêtu et est sûr de lui ‘Mais j’espère aux bontés qu’une autre aura pour moi ; Et j’en sais de qui l’âme, à ma retraite ouverte, consentira sans honte à réparer ma perte.’ Il sait bien parler et s’exprime avec assurance, il gesticule beaucoup plus que Mariane, sa gestuelle trahit son agressivité et sa colère. Mariane se rabaisse d’une certaine façon ‘la perte, certes, n’est pas grande’, même si c’est ironique on voit son dépit. Les stichomythies accentuent l’intensité de la dispute. Mariane a toujours besoin de se tenir à quelque chose pour reprendre courage, se tenant à la chaise par exemple. La captation est réalisée par Braunschweig lui-même ce qui montre la volonté de maîtriser les différents modes de diffusion de son spectacle. Les choix du metteur en scène-réalisateur concernant le cadrage et le montage sont assez simples : les plans sont tournés suivant un angle « normal », qui ne déforme par conséquent pas l’espace scénique, mais en souligne au contraire la géométrie et la simplicité ; mais les plans dans l’ensemble sont des plans américains-plans moyens, qui montrent le haut du corps et bien le visage, sans recours aux gros plans. L’enchaînement des plans est plutôt fluide, il évite les contrastes abrupts entre les images. La caméra alterne les points de vue, car à plusieurs reprises, Braunschweig filme seulement le personnage qui est en train de parler ou au contraire celui qui écoute.( On parle au cinéma de champ/contre champ.) L’acteur est ici au centre du travail de la mise en scène. 

Parfois, cependant, il choisit d’élargir le point de vue en filmant toute la scène, pour montrer la réaction de tous les personnages et cela donne l’impression aux spectateurs de la captation d’être dans la salle, renforcé par le maintien hors champ du public (qu’on ne voit jamais et qu’on n’entend que rarement) d’autre part. L’action se déroule ainsi dans un lieu coupé du monde, espace mental des névroses familiales. Le jeu des comédiens en l’action/réaction est accentué par le montage, qui alterne les plans moyens sur le visage des personnages, montrés séparément. L’avantage de la captation est de pouvoir observer les réactions faciales des personnages de très près, de plus, la caméra de Braunschweig est dynamique, ce qui intensifie la dispute. Les plans sur les personnages ne prenant que le haut du corps, le visage et les bras, cela permet au spectateur de se concentrer sur la véhémence de la dispute. Cela donne vraiment l’impression d’être des voyeurs, d’observer toute la scène par une fenêtre, car le quatrième mur est bien respecté, mais les plans de la caméra apportent un côté intimiste à la scène. Parfois, nous avons aussi des plans sur Dorine seule, mais qui est en pleine action, participant par son écoute très active à la scène, elle se tient dans le coin à cour, hochant la tête ou même parfois on la voit en fond derrière les personnages. Il arrive aussi qu’on ne voie qu’un bras de Dorine, juste pour rappeler sa présence. Ce qui est intéressant c’est d’entendre la voix de Valère et d’observer la réaction silencieuse de Mariane et vice-versa. (7/8)