samedi 8 octobre 2022

Approfondir La Nuit des Rois( IV): difficultés de mise en scène

Difficultés liées aux travestissements
– Viola endosse une autre identité, en prenant l’apparence d’un frère qu’elle pense mort. On peut aussi faire remarquer aux élèves que les deux personnages féminins principaux, Viola et Olivia, sont, à une lettre près, des anagrammes,ce qui amplifie encore les effets d’échos.
Ajoutons que l’étymologie du nom masculin pris par Viola, Césario, signifie « couper » en latin. Viola, devenue Césario, est donc amputée  d’elle-même, d’où l’affirmation finale « Je suis Viola », , le point essentiel de la pièce : il s’agit avant tout d’une reconquête de l’identité ;
– Feste, tour à tour clown et chanteur (II, 4), se mue en prêtre, Messire Topaze (« Cette cra- pule contrefait à merveille », s’exclame à son
sujet Sir Toby, IV, 2) ;
– Malvolio se métamorphose en démon aux jarretières croisées (III, 4) suivant les directives de Maria, qui se fait passer pour Olivia.
On pourra rapprocher la question du travestissement et donc celle de l’identité avec le mythe de l’androgynie développé par Platon dans Le Banquet : coupés en deux, les hommes vivent continuellement à la recherche de leur moitié, soit masculine soit féminine.

D’autres références sont à mentionner comme Les Jumeaux vénitiens de Carlo goldoni. On insistera ensuite sur l’importance de l’apparence
et donc du costume au théâtre, surtout pour le théâtre baroque.
D’autres dramaturges tirent parti des tensions suscitées par ces travestissements pour renforcer l’effet comique : que l’on songe à Molière et à sa Toinette déguisée en médecin, aux turqueries du Bourgeois gentilhomme, ou dans un registre plus subtil à Marivaux (Le Jeu de l’amour et du hasard, La Fausse Suivante).

Du verbe italien travestire, le terme renvoie à « l’action de changer de vêtement afin de n’être pas reconnu » (Machiavel), un sens figuré apparaît sous la plume de Scarron,il s’agit « de transformer en dénaturant »(Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d'Alain Rey).
Ces deux acceptions du travestissement présentes dans le personnage de Viola relèvent d’une esthétique de l’ambiguïté aux multiples variantes, y compris sexuelle. L’une cherche l’identification, l’illusion complète, l’autre joue sur la création d’un personnage hybride, castrat ou jeune chanteuse : le Chérubin des Noces de Figaro de Beaumarchais ou le page d’Un Bal masqué de Verdi. « Cette inquiétante étrangeté » du travesti, longtemps recherchée, provoque une sorte de dépaysement nécessaire à toute remise en question ou dénonciation des apparences. On la retrouve ainsi dans le cinéma :Certains l'aiment chaud de Billy Wilder, Bawangbieji, « Adieu ma concubine » (1992) de Kaige Chen ou encore Tootsie de Sydney Pollack.

 

Difficultés liées à la pluralité des lieux: 

 
Le spectacle nous transporte d’un lieu à l’autre.On notera que Jean-Michel Déprats a supprimé les didascalies liées aux lieux. Celles-ci ont été « reconstituées de façon généralement naturaliste » 12 par les éditeurs. Voici les didascalies en question : « A room in the Duke’s palace » (« une salle dans le palais du Duc »), « Near the sea-coast » (« Au bord de la mer »), « A room in Olivia’s house » (« une salle dans la maison d’Olivia »), « At the door of Antonio’s house » (« Devant la maison d’Antonio »), « A street near Olivia’s house »(« une rue près de la maison d’Olivia »),« A room in olivia’s house ; at the back a closet with a curtain before it » (« une salle chez Olivia avec, au fond un cabinet voilé d’un rideau en guise de prison »).