Difficultés liées aux travestissements
–
Viola endosse une autre identité, en prenant l’apparence d’un
frère qu’elle pense mort. On peut aussi faire remarquer aux élèves que
les deux
personnages féminins principaux, Viola et Olivia, sont, à une lettre
près, des anagrammes,ce qui amplifie encore les effets d’échos.
Ajoutons
que l’étymologie du nom masculin pris par Viola, Césario,
signifie « couper » en latin. Viola, devenue Césario, est donc
amputée d’elle-même, d’où
l’affirmation finale « Je suis Viola », , le point essentiel de la
pièce : il s’agit avant tout d’une reconquête de l’identité ;
–
Feste, tour à tour clown et chanteur (II, 4), se mue en prêtre,
Messire Topaze (« Cette cra- pule contrefait à merveille », s’exclame
à son
sujet
Sir Toby, IV, 2) ;
–
Malvolio se métamorphose en démon aux jarretières croisées (III, 4) suivant les
directives de Maria, qui se fait passer pour Olivia.
On
pourra rapprocher la question du travestissement et donc
celle de l’identité avec le mythe de l’androgynie développé par
Platon
dans Le Banquet :
coupés en deux, les hommes vivent continuellement à la recherche
de
leur moitié, soit masculine soit féminine.
D’autres références sont à mentionner comme Les Jumeaux vénitiens de
Carlo goldoni. On insistera
ensuite sur l’importance de l’apparence
et
donc du costume au théâtre, surtout pour le théâtre baroque.
D’autres
dramaturges tirent parti des tensions suscitées par ces
travestissements pour renforcer l’effet comique : que l’on
songe à Molière et à sa Toinette déguisée en médecin, aux
turqueries du Bourgeois
gentilhomme, ou dans un registre plus subtil à Marivaux (Le Jeu de l’amour et du hasard, La Fausse Suivante).
Du verbe italien travestire, le terme renvoie à «
l’action de changer de vêtement afin de n’être pas reconnu »
(Machiavel), un sens figuré apparaît sous la plume de Scarron,il
s’agit « de transformer en dénaturant »(Dictionnaire historique de la langue française, sous
la direction d'Alain Rey).
Ces
deux acceptions du travestissement présentes dans le personnage
de Viola relèvent d’une esthétique de l’ambiguïté aux multiples
variantes, y compris sexuelle. L’une cherche l’identification,
l’illusion complète, l’autre joue sur la création d’un
personnage hybride, castrat ou jeune chanteuse : le Chérubin des Noces de Figaro de Beaumarchais ou le page
d’Un Bal masqué de
Verdi. « Cette inquiétante étrangeté » du travesti, longtemps
recherchée, provoque une sorte de dépaysement nécessaire à toute
remise en question ou dénonciation des apparences. On la retrouve ainsi dans le
cinéma :Certains
l'aiment chaud de Billy Wilder, Bawangbieji, «
Adieu ma concubine » (1992) de Kaige Chen ou encore Tootsie de
Sydney Pollack.
Difficultés liées à la pluralité des lieux:
Le
spectacle nous transporte d’un lieu à l’autre.On notera que Jean-Michel Déprats
a supprimé les didascalies liées aux lieux. Celles-ci ont été
« reconstituées de façon généralement naturaliste » 12 par les éditeurs. Voici les
didascalies
en question : « A room
in the Duke’s palace » (« une salle dans le palais du Duc
»), « Near the sea-coast
»
(« Au bord de la mer »), « A room in Olivia’s house » (« une salle dans la maison
d’Olivia »), « At the
door of Antonio’s house » («
Devant la maison d’Antonio »), « A street near Olivia’s house »(« une rue près de la maison d’Olivia »),« A room in olivia’s house ; at the back a closet with a
curtain before it » (« une salle chez Olivia avec, au fond un
cabinet
voilé d’un rideau en guise de prison »).